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L’effondrement d’un tunnel agricole sous le poids de la neige pose, devant les juridictions civiles, la question classique de la qualification contractuelle et des causes exonératoires de responsabilité. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 4 septembre 2025 illustre cette problématique dans le contexte particulier des installations agricoles en altitude.
Un groupement agricole avait confié à une société spécialisée la fourniture et l’installation d’un tunnel d’élevage, implanté à 700 mètres d’altitude dans le département de l’Ardèche. Le devis accepté en juillet 2018 prévoyait la pose d’un tunnel en forme d’ogive de 10,30 mètres sur 40 mètres de hauteur, équipé d’un portail coulissant et d’un tableau électrique. L’installation fut réalisée en août 2018 et intégralement réglée. Le 14 novembre 2019, à la suite de chutes de neige, le tunnel s’effondra en fin d’après-midi. Le groupement agricole déclara le sinistre à son assureur, lequel missionna un expert amiable.
Par acte du 14 juin 2021, le groupement et son assureur assignèrent la société installatrice devant le tribunal judiciaire de Privas en réparation de leurs préjudices. L’installatrice appela en garantie le fabricant des éléments de structure ainsi que leur assureur commun. Par jugement du 12 mars 2024, le tribunal condamna la société installatrice à indemniser les demandeurs et retint partiellement la garantie de l’assureur. L’installatrice interjeta appel, contestant tant sa responsabilité que l’étendue de la garantie assurantielle.
La cour d’appel de Nîmes était ainsi saisie de plusieurs questions. Quelle était la nature juridique du contrat liant le groupement agricole à la société installatrice ? L’épisode neigeux pouvait-il constituer un cas de force majeure exonératoire ? Un vice caché affectait-il les éléments fournis par le fabricant ? Dans quelle mesure l’assureur devait-il sa garantie ?
La cour confirme la qualification de contrat d’entreprise retenue par les premiers juges, rejette l’existence d’une cause exonératoire, écarte la garantie des vices cachés faute de preuve suffisante et étend la condamnation à garantie de l’assureur au montant total des préjudices, déduction faite de la franchise contractuelle.
La solution retenue permet d’analyser successivement la qualification du contrat emportant obligation de résultat (I), puis les conditions d’exonération et la répartition finale des charges indemnitaires (II).
I. La qualification de contrat d’entreprise génératrice d’une obligation de résultat
La cour procède d’abord à la caractérisation du contrat d’entreprise par opposition à la vente (A), avant d’en déduire le régime de responsabilité applicable (B).
A. La distinction opérée entre vente et louage d’ouvrage
L’appelante soutenait qu’elle s’était « contentée de vendre le tunnel litigieux » sans fournir « aucun travail spécifique destiné à répondre à un besoin particulier ». La cour écarte cette qualification en relevant que « des spécifications ont été convenues » entre les parties, portant notamment sur « l’altitude à laquelle devait être installé le tunnel, la pose d’un tableau électrique et d’un portail coulissant ».
Cette motivation s’inscrit dans la jurisprudence constante distinguant la vente, portant sur une chose de genre, du contrat d’entreprise impliquant la réalisation d’un ouvrage adapté aux besoins du maître. L’arrêt relève que l’installatrice ne produit pas « la preuve du caractère standardisé de l’ensemble de l’installation ». La cour observe en outre, s’appuyant sur un document du fabricant, que « chaque tunnel Nordiclair est unique et obligatoirement conforme à la norme EN 13031-1 en fonction de la région et de l’altitude de construction ». Cette référence technique renforce la qualification d’ouvrage sur mesure.
La solution témoigne de l’attention portée par les juges aux circonstances concrètes de la commande. L’installation en altitude à 700 mètres, l’adjonction d’équipements électriques et la configuration spécifique du portail excluaient tout caractère standardisé. Le critère déterminant réside dans l’adaptation de la prestation aux besoins particuliers du client, conformément à l’article 1710 du code civil définissant le louage d’ouvrage.
B. Les conséquences attachées à l’obligation de résultat
De la qualification de contrat d’entreprise, la cour déduit que « la société MSE était tenue d’une obligation de résultat ». L’arrêt énonce que « par l’absence du résultat attendu, en l’espèce la solidité de l’installation, sa responsabilité est engagée ».
Cette formulation reprend le régime classique de l’obligation de résultat pesant sur l’entrepreneur. Le créancier n’a pas à prouver une faute ; la seule constatation de l’inexécution suffit à engager la responsabilité du débiteur. Seule la preuve d’une cause étrangère peut l’en exonérer.
L’effondrement du tunnel caractérise de manière évidente le manquement à l’obligation de solidité. La charge de la preuve se trouve dès lors renversée : il appartient à l’entrepreneur de démontrer l’existence d’une cause exonératoire. La cour applique ce mécanisme avec rigueur, examinant successivement les moyens de défense invoqués sans atténuer les exigences probatoires.
II. Le rejet des causes exonératoires et l’étendue de la garantie assurantielle
La cour refuse de caractériser tant la force majeure invoquée par l’installatrice (A) que le vice caché allégué à l’encontre du fabricant, tout en précisant les modalités de la garantie d’assurance (B).
A. L’absence de caractère exceptionnel de l’épisode neigeux
L’appelante arguait du caractère imprévisible et irrésistible des précipitations neigeuses du 14 novembre 2019, invoquant notamment des articles de presse relatant un épisode « d’exceptionnelle ampleur ». Elle produisait également un courriel de Météo France qualifiant cette journée de « mémorable par des chutes de neige conséquentes jusqu’en plaine ».
La cour écarte ces éléments par une appréciation circonstanciée. Elle relève que les articles de presse concernent des communes situées « à une altitude très inférieure à celle de la commune » où se trouvait l’installation. Quant au courriel de Météo France, la cour observe qu’il ne prouve pas « le caractère exceptionnel des précipitations neigeuses » et n’énonce que « de simples projections d’épaisseur de neige », émises « presque six ans après l’épisode en question ».
Cette motivation révèle l’exigence probatoire pesant sur celui qui invoque la force majeure. L’enneigement en région de plaine ne saurait établir le caractère exceptionnel de précipitations sur une installation située à 700 mètres d’altitude. La cour souligne que l’installation était « susceptible de subir des précipitations neigeuses hivernales », ce qui exclut toute imprévisibilité.
Concernant le défaut d’entretien reproché au groupement agricole, la cour examine la notice préconisant le déneigement. Elle juge ce document « insuffisant en ses recommandations » car il ne « mentionne aucune mise en garde sur l’accumulation de neige sur le toit du tunnel ». L’arrêt ajoute que « les perturbations en question ne pouvaient pas permettre une action de déneigement sans risque », neutralisant ainsi l’argument tiré du comportement de la victime.
B. L’extension de la garantie d’assurance aux préjudices consécutifs
L’assureur contestait l’étendue de sa garantie en invoquant plusieurs clauses d’exclusion et l’absence d’aléa lors de la souscription du contrat. La cour procède à une interprétation rigoureuse des stipulations contractuelles.
L’arrêt constate d’abord que la pose d’un tunnel agricole « ne relève pas de la garantie décennale des articles 1792 et suivants du code civil, aucun travail de maçonnerie ou d’ancrage au sol n’étant prévu ». L’exclusion visant les dommages engageant la responsabilité des constructeurs ne trouve donc pas à s’appliquer.
Sur la seconde exclusion relative au coût de remplacement des produits, la cour retient que les conditions particulières de la police prévoient expressément la garantie des « dommages matériels et immatériels consécutifs » ainsi que des « frais de dépose repose ». Elle juge que ces stipulations particulières ne peuvent être « contrariées » par les exclusions générales, conformément au principe selon lequel les conditions particulières prévalent.
Quant à l’absence d’aléa, la cour relève que la police applicable a été souscrite « avant qu’une décision définitive soit rendue » dans un litige antérieur concernant les mêmes sociétés. Elle ajoute que la preuve n’est pas rapportée que « l’objet de ce litige soit transposable à la présente affaire ». L’existence d’un précédent ne suffit pas à démontrer la connaissance certaine du risque par l’assuré.
La cour étend la condamnation à garantie de l’assureur à la somme de 64 659,28 euros, après déduction de la franchise de 3 000 euros, soit la quasi-totalité des préjudices. Cette solution renforce la protection de la victime subrogée tout en préservant l’économie du contrat d’assurance.