Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, n°24/02948

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 4 septembre 2025, la 5e chambre, pôle social, a confirmé le refus d’indemnisation opposé à une personne se disant victime d’une exposition prénatale aux pesticides. Le litige portait sur un insulinome pancréatique diagnostiqué en 2021, attribué à une exposition in utero à l’oxyde d’éthylène du fait de l’activité professionnelle maternelle. Après un avis défavorable de la commission compétente, le fonds a notifié un refus, et l’intéressée a interjeté appel pour faire reconnaître son droit à réparation. Elle sollicitait la reconnaissance du lien causal et, subsidiairement, une expertise judiciaire, tandis que le fonds contestait l’imputabilité faute de données scientifiques spécifiques. La question tranchée tenait à l’existence d’un lien de causalité direct entre cette pathologie rare et l’exposition prénatale alléguée, au sens des textes régissant l’indemnisation des enfants exposés. La cour a jugé la preuve insuffisante, rappelé la compétence de la commission et l’absence d’études ciblées, puis rejeté les demandes, les dépens restant à la charge du fonds en application de l’article R.491-17.

I. Le cadre légal de l’indemnisation prénatale et l’office du juge

A. Les conditions légales et la charge de la preuve

Le régime applicable est structuré autour d’une exigence de causalité directe entre l’exposition prénatale et la pathologie. Le texte visé énonce que bénéficient d’une indemnisation « Les enfants atteints d’une pathologie résultant directement de leur exposition prénatale du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou l’autre de leurs parents à des pesticides mentionnés au premier alinéa du présent article ainsi que leurs ayants droit. » L’exigence de directivité de l’imputabilité commande une démonstration circonstanciée reliant l’agent incriminé à l’affection en cause.

La décision rappelle en outre le principe probatoire gouvernant l’instance indemnitaires: « Il appartient au demandeur ou à son représentant légal de produire des éléments de nature à établir l’exposition à des pesticides et à justifier de son état de santé. » Cette règle, combinée à l’objet spécifique du dispositif de solidarité, ferme la voie aux présomptions générales et impose un dossier médical et scientifique orienté vers la pathologie invoquée. L’affaire présente consacrait d’ailleurs l’accord des parties sur l’exposition et sur le diagnostic, concentrant le débat sur la seule imputabilité.

B. Le rôle décisif de la commission et l’étendue du contrôle juridictionnel

Le mécanisme confie à la commission spécialisée une mission d’appréciation du lien de causalité, selon une temporalité encadrée. Le texte règlementaire, expressément cité, précise : « La commission se prononce sur le lien de causalité entre la pathologie de l’enfant et l’exposition aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un des parents. » L’avis de cette instance, composée de médecins experts et de spécialistes des pathologies liées aux pesticides, constitue un pivot de l’instruction.

L’office du juge d’appel, saisi d’un recours contre la décision du fonds, consiste à vérifier la correcte application de la règle de droit et la pertinence de l’appréciation au regard des pièces versées. La cour souligne le seuil probatoire préalable à toute mesure d’instruction supplémentaire, en énonçant : « la juridiction n’ayant pas à pallier la carence probatoire de la requérante, il n’y a pas lieu d’ordonner une mesure d’expertise. » L’expertise n’a donc pas une fonction exploratoire générale ; elle suppose un début de preuve sur la causalité exigée par les textes. Ce cadre contraint oriente la discussion vers la qualité et la spécificité des publications scientifiques produites par le demandeur.

II. L’appréciation du lien de causalité et ses implications

A. Une motivation ancrée dans l’état des connaissances disponibles

Le cœur de la motivation réside dans la confrontation des pièces scientifiques à la pathologie déclarée. La commission, puis la cour, relèvent le caractère général des sources, centrées sur des risques de malformations, de pertes fœtales ou sur des cancers pédiatriques, sans ciblage sur l’insulinome pancréatique, entité rare et le plus souvent bénigne. La motivation reprend l’avis selon lequel « l’absence de données actuelles de la littérature scientifique sur le lien entre l’oxyde d’éthylène et la désignée pathologie ne permet pas à la commission de retenir la possibilité d ‘un lien de causalité entre la pathologie déclarée et ce biocide. » L’écart ainsi constaté entre une toxicologie générale de l’oxyde d’éthylène et l’imputabilité spécifique de l’insulinome conduit, logiquement, au rejet.

Cette solution se comprend à l’aune de l’exigence textuelle de causalité directe. La référence à la finalité de l’indemnisation des enfants exposés demeure inchangée, mais la démonstration requise s’avère ciblée et documentée. En creux, la cour signale que l’argument tiré de la classification CMR de la substance ou de ses propriétés génotoxiques, à lui seul, ne franchit pas le seuil d’imputabilité clinique pour une tumeur neuroendocrine du pancréas. La stricte articulation « exposition spécifique – pathologie spécifique » structure ainsi l’analyse.

B. Portée et critique mesurée de l’exigence probatoire

La portée de l’arrêt tient à la consolidation d’un standard probatoire exigeant, fondé sur l’état de la littérature scientifique disponible au moment de l’avis. En marquant que des travaux généraux sur les effets prénataux des pesticides ne suffisent pas, la décision incite les demandeurs à produire des études épidémiologiques ou mécanistiques directement consacrées à la pathologie litigieuse. Elle confirme simultanément que, sans cet ancrage, le juge ne mobilise pas l’expertise pour suppléer les manques du dossier, conformément au rappel selon lequel « Il appartient au demandeur […] de produire des éléments » pertinents et circonstanciés.

Cette rigueur présente des vertus de sécurité juridique et de cohérence scientifique, surtout pour des affections rares et d’étiologie plurifactorielle. Toutefois, elle expose les victimes à une difficulté probatoire élevée lorsque l’état des connaissances ne documente pas, encore, certaines associations spécifiques. Le risque est celui d’un angle mort indemnisatoire pour des pathologies peu étudiées, malgré une plausibilité toxicologique générale des expositions prénatales. L’arrêt, en refusant l’expertise faute d’éléments initiaux suffisants, entérine une logique de filtre qui privilégie les dossiers appuyés par des publications ciblées et concordantes.

La conséquence pratique est claire: l’indemnisation des expositions prénatales suppose un faisceau probant articulant niveau d’exposition, fenêtre prénatale pertinente et littérature spécifique sur l’agent concerné et l’affection invoquée. À défaut, le rejet s’impose, comme le constate la formule conclusive selon laquelle « Les demandes de la requérante sont donc en voie de rejet. » Le maintien des dépens à la charge du fonds, prévu par l’article R.491-17, ne modifie pas l’économie de la solution, qui confirme une lecture stricte de la causalité directe posée par le texte.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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