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Par un arrêt rendu le 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Nîmes tranche un litige d’indemnisation du préjudice économique par ricochet lié à l’amiante. La victime, atteinte d’une maladie professionnelle, est décédée en 2020 après reconnaissance du caractère professionnel de l’affection. Plusieurs postes de préjudice ont été indemnisés amiablement, la conjointe survivante contestant toutefois l’évaluation du seul préjudice économique.
Saisie dans le cadre du recours prévu, la juridiction examine la proposition de l’organisme d’indemnisation et les prétentions adverses. La requérante réclame une réparation intégrale calculée in concreto, en intégrant rentes et pensions dans les revenus de référence, et en écartant la méthode des coefficients OCDE. L’organisme soutient une méthode harmonisée: comparaison des revenus du foyer avant et après le décès, revalorisation par l’indice des prix, intégration des rentes selon leur valeur pertinente, et application d’un coefficient familial.
La question porte sur les critères et paramètres d’évaluation du préjudice économique du conjoint survivant, la date de départ de l’indemnisation, la valeur des rentes à retenir et le mode de versement pour l’avenir. La Cour valide l’approche par comparaison des revenus et la date d’évaluation au jour de la décision, fixe le départ au lendemain du décès, retient l’indice des prix et l’échelle OCDE, et approuve la valeur de rente fonctionnelle arrêtée à la date de l’offre. Elle alloue 58 449,06 euros pour les arriérés, puis une rente trimestrielle de 2 224,21 euros à compter du 1er janvier 2024.
I. Les critères d’évaluation du préjudice économique
A. Référence aux revenus antérieurs et à la temporalité du calcul
La Cour rappelle le principe directeur, en des termes généraux et constants: «Il ressort de la jurisprudence que le préjudice économique du conjoint survivant doit être calculé en comparant les revenus du ménage avant le décès et, après déduction de la part d’auto-consommation du défunt, à ceux qu’il continue de percevoir après le décès». Cette formulation consacre une méthode comparative, centrée sur la réalité des ressources du foyer, qui exclut toute abstraction excessive.
La juridiction détermine également le bon temps de l’évaluation: «Par ailleurs, le préjudice économique subi par l’ayant droit d’une victime du fait du décès de celle‑ci, doit être évalué au jour de la décision qui le fixe en tenant compte de tous les éléments connus à cette date». La temporalité du calcul irrigue ensuite deux choix complémentaires: l’indemnisation des arriérés jusqu’à la dernière année justifiée, et le point de départ «à compter du lendemain du décès», ce que la Cour énonce sans ambiguïté: «Il ne peut être sérieusement contesté que le préjudice économique subi par ricochet doit être indemnisé à compter du lendemain du décès». Le cadre temporel se trouve ainsi verrouillé autour d’une comparaison actualisée et d’un dies a quo certain.
B. Paramètres concrets: rentes, revalorisation et part d’autoconsommation
La méthode s’adosse à la nomenclature de référence, que l’arrêt convoque utilement: «Pour déterminer la perte ou la diminution de revenus affectant ses proches, il y a lieu de prendre comme élément de référence, le revenu annuel du foyer avant le dommage […] en tenant compte de la part d’autoconsommation». La Cour retient un revenu de référence revalorisé par l’indice des prix à la consommation, ce qui garantit une base objective et stable, adaptée à un contentieux sériel.
S’agissant des rentes, deux options sont distinguées. La rente versée par l’organisme de sécurité sociale est intégrée pour son montant applicable aux périodes considérées. La rente d’incapacité fonctionnelle allouée du vivant de la victime est, quant à elle, réintégrée au revenu de référence pour sa valeur en vigueur à la date de l’offre chiffrant ce poste. Cette solution préserve l’homogénéité des paramètres au fil des périodes comparées, en évitant de faire varier un élément exogène selon les aléas procéduraux. Pour la part d’autoconsommation, la Cour valide l’usage d’un barème harmonisé, en reprenant la précision institutionnelle suivante: «Il est rappelé que les parts de consommation à l’intérieur du ménage sont établies conformément à l’échelle de l’OCDE». Le coefficient familial de 1,5, appliqué à un foyer sans enfant à charge, emporte la méthode. La cohérence d’ensemble est assumée, la juridiction estimant que «cette méthode mérite d’être approuvée», notamment au regard de la nécessité d’une évaluation intelligible et reproductible.
II. Valeur et portée de la solution
A. Un équilibre entre réparation intégrale et égalité de traitement
Le raisonnement s’inscrit dans la logique de réparation intégrale, sans céder à une majoration artificielle contraire à l’égalité des victimes. L’évaluation «au jour de la décision» demeure le principe, mais la fixation de la valeur de la rente fonctionnelle à la date de l’offre chiffrant ce poste répond à une exigence de symétrie: indemnisant la perte de revenus du foyer, la Cour reconstitue la situation telle qu’elle se présentait lorsque la valeur de ce poste a été déterminée, pour éviter une sur‑indemnisation liée à de simples décalages temporels. L’égalité de traitement des demandeurs, quelles que soient leurs options procédurales, s’en trouve préservée.
Le choix du versement futur sous forme de rente par périodes, et non en capital, s’inscrit dans la même logique prudentielle. La Cour le justifie en rappelant qu’«il échet de privilégier l’indemnisation sous forme de rente», solution d’autant plus cohérente que «le débiteur ne peut être contraint à s’acquitter d’une dette non échue». Le quantum futur est donc indexé sur la dernière année de référence (16 014,27 euros), multiplié par la durée d’espérance de vie théorique restante, puis servi trimestriellement selon l’espérance de vie du bénéficiaire. Le mécanisme assure une adéquation continue entre préjudice et indemnité.
B. Conséquences pratiques et harmonisation du contentieux indemnitaire
L’arrêt conforte une grille de calcul stabilisée, lisible et transposable. La revalorisation par l’indice des prix, l’intégration structurée des rentes, et l’échelle OCDE pour l’autoconsommation offrent des repères fermes aux praticiens. La prise en compte des revenus effectivement perçus via les avis d’imposition renforce la fiabilité du contrôle, tout en responsabilisant les parties dans l’administration de la preuve financière.
La solution relative à la valeur de la rente fonctionnelle, arrêtée à la date de l’offre qui la chiffre, ferme la porte aux revalorisations opportunistes dépendant des délais procéduraux. Le recours à une table d’espérance de vie de l’INSEE pour fixer l’horizon d’indemnisation future ancre l’évaluation dans des données démographiques publiques, favorisant la prévisibilité. Enfin, le versement par rente trimestrielle, ici fixé à 2 224,21 euros, assure une continuité de ressources tout en protégeant le principe de l’exigibilité des obligations, ce qui paraît adapté à la nature du préjudice et à son rythme de réalisation.
L’application combinée de ces critères conduit ainsi la Cour d’appel de Nîmes à retenir, pour les arriérés allant du 14 avril 2020 au 31 décembre 2023, un solde de 58 449,06 euros, puis à indemniser l’avenir sous forme de rente périodique. La décision articule pédagogiquement les sources méthodologiques et les impératifs d’équité, en consolidant une pratique d’indemnisation cohérente avec le droit positif et la lisibilité attendue dans ce type de contentieux.