Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, n°24/03326

La détection du travail dissimulé et le recouvrement des cotisations éludées constituent un enjeu majeur pour le financement de la protection sociale. La Cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 4 septembre 2025, précise les contours de la procédure applicable en la matière et ses interactions avec l’autorité de la chose jugée au pénal.

Un auto-entrepreneur exploitant une activité de nettoyage dans des établissements hôteliers a fait l’objet d’un contrôle inopiné de l’organisme de recouvrement à la suite de plaintes de salariés contestant la régularité de leurs déclarations. L’inspecteur a dressé un procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés. Une lettre d’observations a été adressée au cotisant mentionnant que le contrôle portait sur la recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé. Une mise en demeure d’un montant de 100 263 euros, majorations comprises, lui a été notifiée. La commission de recours amiable a rejeté sa contestation.

Le tribunal des affaires de sécurité sociale a confirmé le redressement. La Cour d’appel de Montpellier a infirmé cette décision en retenant l’irrégularité des opérations de contrôle. Sur pourvoi de l’organisme de recouvrement, la Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale n’étaient pas applicables dès lors que l’objet du contrôle était la recherche d’infractions de travail dissimulé.

Devant la cour de renvoi, le cotisant soutenait l’irrégularité du contrôle fondé sur des déclarations de personnes étrangères à l’entreprise et opposait l’autorité de la chose jugée d’un jugement de relaxe rendu par le tribunal correctionnel. L’organisme de recouvrement défendait la régularité de la procédure et contestait l’applicabilité de l’autorité de la chose jugée au pénal.

La question posée à la cour était double : les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale s’appliquent-elles à un contrôle ayant pour objet la recherche d’infractions de travail dissimulé ? Un jugement pénal de relaxe fait-il obstacle au redressement de cotisations fondé sur les mêmes faits ?

La Cour d’appel de Nîmes confirme le jugement de première instance. Elle retient que « les dispositions de l’article R. 243-59 ne sont pas applicables aux opérations de contrôle ayant pour objet la recherche et la constatation d’infractions constitutives de travail illégal engagées sur le fondement des articles L. 8271-1 et suivants du code du travail ». Elle écarte l’autorité de la chose jugée au pénal en constatant que « les faits visés par ce jugement ne correspondent pas à ceux visés dans le procès-verbal d’infraction ».

L’autonomie des procédures de contrôle en matière de travail dissimulé confère aux agents des pouvoirs étendus (I). L’autorité de la chose jugée au pénal ne s’oppose au redressement civil que sous des conditions strictes d’identité des faits (II).

I. L’autonomie de la procédure de contrôle du travail dissimulé

La distinction entre les deux procédures de contrôle emporte des conséquences sur les pouvoirs des agents (A). Le choix de la procédure engage l’organisme de recouvrement dans un régime juridique déterminé (B).

A. La dualité des procédures de contrôle

Le code de la sécurité sociale organise un contrôle de droit commun de l’application de la législation selon les articles L. 243-7 et R. 243-59. Le code du travail institue parallèlement une procédure spécifique de recherche des infractions de travail dissimulé selon les articles L. 8271-1 et suivants. La cour rappelle que « ces deux procédures de contrôle présentent un caractère autonome et l’organisme de recouvrement doit respecter les dispositions relatives à la procédure qu’il a initialement engagée ».

Cette autonomie procédurale trouve son fondement dans la finalité distincte de chaque contrôle. Le contrôle de droit commun vise à vérifier l’exactitude des déclarations du cotisant. La procédure de recherche du travail dissimulé poursuit un objectif répressif de détection des fraudes. La lettre d’observations mentionnait expressément que « l’objet du contrôle était la recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées aux articles L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail ».

La Cour de cassation avait déjà censuré la cour d’appel de Montpellier sur ce point. L’arrêt de renvoi rappelle que les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale « ne sont pas applicables aux opérations de contrôle ayant pour objet la recherche et la constatation d’infractions constitutives de travail illégal ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante distinguant les régimes applicables selon l’objet du contrôle.

B. L’extension des pouvoirs d’investigation des agents

La procédure de recherche du travail dissimulé confère aux agents des prérogatives plus étendues que le contrôle de droit commun. L’article L. 8271-6 du code du travail autorise les agents à « entendre toute personne susceptible de fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission ». Cette faculté n’est pas limitée aux seuls salariés de l’entreprise contrôlée.

La cour relève que dans le cadre du contrôle de droit commun, « les agents de contrôle ne peuvent pas entendre d’autres personnes que celles rémunérées par l’employeur ». Cette restriction ne s’applique pas au contrôle du travail dissimulé. Les agents ont pu légitimement « procéder à l’audition d’autres personnes que celles rémunérées par l’employeur » et recueillir les témoignages des hôteliers donneurs d’ordres.

Cette extension des pouvoirs d’investigation se justifie par la nature même de l’infraction recherchée. Le travail dissimulé suppose par définition l’absence de documentation régulière. Les agents doivent pouvoir reconstituer la réalité des relations de travail à partir de sources extérieures à l’entreprise. Le procès-verbal mentionne que l’inspecteur a recueilli auprès des hôteliers « les factures de prestations » et « les plannings avec les prénoms correspondant aux employés ».

II. Les limites de l’autorité de la chose jugée au pénal

L’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose au juge civil que sous des conditions strictes (A). L’absence d’identité des faits permet le maintien du redressement malgré une relaxe pénale (B).

A. Les conditions de l’autorité de la chose jugée au pénal

L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil revêt un caractère absolu. Elle « s’impose à toute partie présente au procès civil, quand bien même elle aurait été absente au procès pénal ». Cette autorité s’attache aux décisions définitives statuant sur le fond de l’action publique, qu’il s’agisse de condamnations ou de relaxes.

La cour précise toutefois une limite importante : « exception faite des relaxes motivées par un défaut d’intention frauduleuse ». Cette restriction s’explique par la différence de régime entre l’action pénale et le recouvrement des cotisations. La cour rappelle qu’il « n’est pas nécessaire, s’agissant d’un redressement portant sur les cotisations, d’établir l’intention frauduleuse de l’employeur ».

L’autorité de la chose jugée « s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale ». Elle porte sur le fait matériel, sa qualification et la culpabilité de la personne poursuivie. Elle s’étend aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif.

B. L’exigence d’identité des faits

Le cotisant opposait un jugement du tribunal correctionnel de Perpignan du 4 février 2015 prononçant sa relaxe pour travail dissimulé. La cour examine minutieusement le périmètre de cette décision. Le jugement pénal visait des faits « commis du 30 septembre 2011 au 1er mars 2012 à Canet en Roussillon ».

Or le procès-verbal de l’organisme de recouvrement « fait état de faits constatés le 2 mars 2012 » et mentionne une période allant « du 01/01/2011 au 30/06/2012 ». Les lieux diffèrent également puisque le contrôle a été effectué dans des hôtels situés dans une autre commune. La cour constate que « le jugement correctionnel ne mentionne pas quels étaient les salariés concernés par l’infraction de travail dissimulé ».

Ces différences factuelles excluent l’identité des faits nécessaire à l’autorité de la chose jugée. La cour relève en outre qu’il n’est « pas démontré que le jugement susvisé serait devenu définitif ». Le caractère définitif constitue une condition préalable à l’autorité de la chose jugée. En l’absence de cette preuve, l’exception ne pouvait prospérer. Le redressement fondé sur des faits distincts de ceux ayant donné lieu à la relaxe demeure pleinement opposable au cotisant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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