Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, n°25/00038

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 4 septembre 2025, saisi de l’appel d’un jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 11 décembre 2024, il est statué sur des mesures urgentes en indivision successorale. À la suite d’un décès survenu en 2022, les deux héritiers se retrouvent en indivision, l’un étant placé sous curatelle renforcée depuis 2015. L’actif, essentiellement immobilier, avoisine un million d’euros. Le curateur, autorisé par ordonnance du 1er décembre 2023 à représenter le majeur protégé dans la succession, a assigné son coïndivisaire pour obtenir reddition des comptes, part de bénéfices et mesures de sauvegarde.

Le premier juge a ordonné la remise de doubles des clés de plusieurs biens, autorisé une action en nullité d’un bail dit commercial conclu à loyer nul, permis de conclure des mandats et vendre deux immeubles à prix plancher, confié au notaire le dépôt et la perception des fonds indivis, et ordonné une expertise sur les fruits et revenus depuis le décès. L’appelante a sollicité l’infirmation des injonctions matérielles et des autorisations de vendre, contestant l’urgence et la qualification du bail, en invoquant un échéancier fiscal et l’existence d’un compte de gestion. Le curateur a conclu à la confirmation, soutenant l’urgence au regard du passif, l’opacité de la gestion et la conclusion de baux sans accord requis, ainsi que l’intérêt de centraliser les flux chez le notaire. Entre-temps, un jugement du 30 avril 2025 a requalifié le bail en prêt à usage et fixé le principe d’une indemnité d’occupation, décision devenue définitive par acquiescement.

La question posée portait sur l’étendue des pouvoirs conférés par l’article 815‑6 du code civil pour prescrire des mesures urgentes requises par l’intérêt commun de l’indivision, applicables ici à la remise des clés, à l’autorisation d’ester, à la vente de biens et à la centralisation des fonds. La cour rappelle que « Aux termes de l’article 815-6 du code civil, le président du tribunal judiciaire peut prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun ». Elle infirme l’injonction de remise des clés, constate l’absence d’urgence au stade de l’appel, confirme l’autorisation d’ester malgré la résolution ultérieure du litige de fond, confirme l’autorisation de vendre pour apurer le passif et de désigner le notaire dépositaire, et condamne l’appelante aux dépens et au paiement d’une somme au titre de l’article 700.

I – Le filtre de l’urgence au sens de l’article 815‑6

A – La remise des clés: disparition de l’urgence en appel
La cour contrôle strictement la condition d’urgence, appréciée au jour où elle statue, et non au seul jour du premier jugement. Elle relève que l’agence mandatée disposait déjà des clés d’une parcelle, et que la déclaration de succession a été signée avec des valeurs désormais fixées pour les lots concernés. Dès lors, l’objet initial — permettre l’estimation en vue d’une vente — ne justifie plus la contrainte matérielle. Elle énonce que « Il en résulte que l’urgence n’étant plus caractérisée la remise des clés ne se justifie plus ». L’analyse illustre la nature circonstancielle des mesures de l’article 815‑6: elles s’éteignent si la circonstance qui fonde l’urgence disparaît, même si l’intéressée détient matériellement les clés et que les biens sont loués. La cour marque ainsi la frontière entre le pouvoir d’injonction conservatoire et la gestion courante de l’indivision, laquelle relève d’autres instruments.

B – L’autorisation d’ester: confirmation malgré la résolution du litige principal
Le premier juge avait autorisé l’action en nullité du bail à loyer nul. L’exécution provisoire a permis de saisir le tribunal qui, par un jugement du 30 avril 2025, a retenu un prêt à usage et l’extinction au décès, avec indemnité d’occupation à fixer. La cour constate que « Les deux parties ont les 30 avril et 12 mai 2025 acquiescé à ce jugement, qui est donc définitif » et ajoute, s’agissant de l’autorisation initiale, « Par conséquent, le jugement est confirmé sur ce point ». Elle assume la logique propre à l’article 815‑6: l’autorisation d’ester s’apprécie comme mesure d’accès au juge au service de l’intérêt commun, indépendamment de l’issue au fond. La solution traduit une autonomie de la mesure procédurale d’urgence, distincte du débat sur la qualification du contrat, clos par l’autorité de la chose jugée acquise.

II – L’intérêt commun comme boussole: vente et centralisation des flux

A – La vente pour apurer le passif et prévenir la dérive contractuelle
La cour caractérise l’urgence sur une double base: l’ampleur du passif successoral et la conclusion unilatérale de baux portant sur des biens indivis, dépourvus des accords requis. Elle cite des stipulations de reconduction équivalant en pratique à des engagements de long terme, et rappelle que, « Même dérogatoire et portant sur un local commercial, ce bail a constitué un acte de disposition qui nécessitait l’accord de tous les coindivisaires et du curateur ». Elle retient ensuite que « L’urgence est ainsi caractérisée par la nécessité de régler au plus vite le passif successoral et les dettes indivises », et constate que « Il est ainsi établi que seule la vente de certains biens immobiliers dépendant de la succession permettra de régler son passif ». La mesure ordonnée n’est pas dictée par la recherche d’un meilleur prix, mais par la sauvegarde de l’indivision face à un endettement persistant et à des actes irréguliers, au service d’un intérêt commun qui prime les préférences de conservation alléguées.

B – La centralisation des fonds par le notaire: transparence et protection du majeur
Le juge du fond avait confié au notaire la perception des loyers et du prix de vente, et l’affectation au paiement des dettes. La cour confirme, relevant l’opacité de la gestion opérée sur un compte ouvert au seul nom de l’appelante et l’imputation de dépenses étrangères à l’indivision. Elle souligne que le coïndivisaire sous curatelle renforcée n’a pas la libre disposition de ses biens, ce qui renforce l’exigence de contrôle. Le motif est net: « La désignation d’un tiers, en l’occurrence le notaire en charge de la succession, pour percevoir les loyers, le prix de vente des biens indivis et régler les dettes de la succession, permettra de s’assurer que toutes ces opérations seront réalisées dans le seul intérêt de l’indivision ». Cette solution s’inscrit dans la finalité protectrice de l’article 815‑6, qui autorise, en présence d’un majeur protégé et d’une gestion litigieuse, des mesures de canalisation des flux assurant traçabilité et neutralité.

L’arrêt opère ainsi un tri conforme au texte: il révoque une injonction devenue sans objet urgent, maintient l’autorisation procédurale rendue efficiente par l’exécution provisoire, et consacre des mesures structurelles — vente ciblée et notaire dépositaire — en réponse à un endettement avéré et à des actes non consensuels, au bénéfice de l’intérêt commun de l’indivision.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture