Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, n°25/00066

Par un arrêt du 4 septembre 2025, la cour d’appel de Nîmes s’est prononcée sur la délicate question de la répartition des compétences entre le juge de la mise en état et le juge du fond en matière de fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre d’un assureur.

Une société de courtage en assurance avait souscrit un contrat d’assurance de responsabilité civile professionnelle auprès d’un assureur étranger à compter du 22 avril 2014. Ce contrat, à reconduction tacite, avait pris fin le 28 février 2021, date à laquelle un nouvel assureur avait pris le relais. Confrontée à une réclamation d’un tiers postérieure à cette date, la société de courtage et son gérant ont assigné l’ancien assureur en garantie par acte du 12 mai 2023 devant le tribunal judiciaire de Nîmes.

L’assureur assigné a soulevé devant le juge de la mise en état une fin de non-recevoir tirée de son défaut de qualité à défendre. Par ordonnance du 19 décembre 2024, le juge de la mise en état a accueilli cette exception et déclaré l’action irrecevable, considérant que le contrat ayant pris fin le 28 février 2021, l’assureur n’avait plus qualité à défendre au jour de la réclamation, et que la garantie subséquente ne pouvait s’appliquer en présence d’un nouvel assureur. Les demandeurs ont interjeté appel.

L’assureur intimé soutenait que les appelants devaient établir sa qualité d’assureur et qu’à défaut, leur action était irrecevable. Les appelants répliquaient que la question de la couverture d’assurance et de la garantie subséquente relevait du fond et non de la recevabilité.

La question soumise à la cour était de déterminer si le juge de la mise en état pouvait, au stade de l’examen de la qualité à défendre d’un assureur, trancher la question de l’application de la garantie subséquente ou si cette question relevait de la compétence du juge du fond.

La cour d’appel de Nîmes infirme l’ordonnance entreprise. Elle juge que si « l’intimée, bien que n’étant plus l’assureur des appelants depuis le 1er mars 2021, a qualité à défendre en ce qu’elle peut être éventuellement tenue au titre de la garantie subséquente », l’appréciation de cette garantie suppose « un débat sur le fond sur le contenu des stipulations contractuelles et leur opposabilité ». La cour relève que le juge de la mise en état « a excédé ses pouvoirs » en tranchant ces questions.

Cette décision invite à examiner successivement la délimitation de la compétence du juge de la mise en état en matière de fins de non-recevoir (I), puis la singularité de la garantie subséquente comme fondement de la qualité à défendre (II).

I. La compétence limitée du juge de la mise en état en matière de fins de non-recevoir

A. Le contrôle de la qualité à défendre comme condition de recevabilité

L’article 32 du code de procédure civile dispose qu’« est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». La qualité à défendre constitue ainsi une condition de recevabilité de l’action dont le contrôle relève, aux termes de l’article 789 6° du même code, de la compétence exclusive du juge de la mise en état.

La cour d’appel de Nîmes rappelle ce principe en affirmant que « la recevabilité de l’action relève de la compétence du juge de la mise en état, et non du juge du fond ». Elle précise également la règle probatoire applicable en énonçant qu’« il incombe à l’assuré de rapporter la preuve de l’existence du contrat d’assurance ».

En l’espèce, la cour relève que les appelants ont produit un bulletin de souscription à effet du 22 avril 2014. L’intimée a quant à elle versé aux débats une attestation établissant que la garantie couvrait la période du 1er mars 2020 au 28 février 2021, ainsi qu’un courriel de l’Orias attestant qu’un nouvel assureur avait pris le relais depuis le 1er mars 2021. La cour en déduit que « la société a été assurée par la société Starstone du 22 avril 2014 au 28 février 2021 ».

La cour retient également l’existence d’un aveu judiciaire. Les appelants avaient, dans le cadre d’un litige similaire devant le tribunal judiciaire de Bobigny, reconnu dans leurs conclusions que l’intimée « n’était effectivement plus son assureur responsabilité civile professionnelle » avant de se désister. La cour qualifie cette reconnaissance d’« aveu judiciaire, dont celle-ci se prévaut à juste titre ». Cette qualification emporte des conséquences probatoires importantes puisque l’aveu judiciaire est, aux termes de l’article 1383-2 du code civil, irrévocable.

B. L’interdiction de trancher les questions de fond sous couvert de recevabilité

Si le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, cette compétence ne l’autorise pas à trancher des questions relevant du fond du litige. La distinction entre recevabilité et bien-fondé de l’action constitue un principe cardinal de la procédure civile.

La cour d’appel de Nîmes censure le raisonnement du premier juge en relevant que « l’opposabilité des conditions générales du contrat dont se prévalent les appelants, et la prise en charge du sinistre par l’intimée au titre de la garantie subséquente, sont des questions de fond qui ne relevaient pas des pouvoirs du juge de la mise en état qui les a excédés en les tranchant ».

Le juge de la mise en état avait en effet considéré que la garantie subséquente ne pouvait s’appliquer en présence d’un nouvel assureur. Ce faisant, il avait interprété le contrat d’assurance et ses conditions d’application, ce qui relevait de l’examen au fond du litige. La cour sanctionne cet excès de pouvoir en infirmant l’ordonnance.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui veille à ce que le juge de la mise en état n’empiète pas sur les prérogatives du juge du fond. La fin de non-recevoir doit pouvoir être appréciée sans qu’il soit nécessaire d’examiner le fond du droit.

II. La garantie subséquente comme fondement autonome de la qualité à défendre

A. La nature particulière de la garantie subséquente en assurance de responsabilité

La garantie subséquente constitue une spécificité des contrats d’assurance de responsabilité civile en base réclamation. Elle permet à l’assuré de bénéficier d’une couverture pour les réclamations formulées après la cessation du contrat, dès lors que le fait générateur est antérieur à cette cessation.

L’article L. 124-5 du code des assurances encadre ce mécanisme. Le délai de garantie subséquente ne peut être inférieur à cinq ans pour les assurances de responsabilité civile professionnelle. Cette garantie légale vise à protéger l’assuré contre les réclamations tardives.

La cour d’appel de Nîmes reconnaît la spécificité de cette garantie en jugeant que l’ancien assureur « a qualité à défendre en ce qu’il peut être éventuellement tenu au titre de la garantie subséquente ». La simple circonstance qu’un nouvel assureur ait pris le relais ne suffit pas à exclure automatiquement toute obligation de l’ancien assureur. La garantie subséquente constitue un fondement juridique distinct qui peut justifier l’action contre l’ancien assureur.

Cette analyse se justifie par la finalité protectrice de la garantie subséquente. Exclure ab initio la qualité à défendre de l’ancien assureur reviendrait à priver l’assuré de la possibilité de faire valoir ses droits au titre de cette garantie légale.

B. Le renvoi nécessaire au juge du fond pour l’appréciation de la garantie

L’appréciation de l’application de la garantie subséquente suppose un examen approfondi des stipulations contractuelles. La cour d’appel de Nîmes souligne cette exigence en renvoyant au « débat sur le fond sur le contenu des stipulations contractuelles et leur opposabilité ».

Plusieurs questions demeurent en effet pendantes. Les appelants contestaient l’opposabilité des conditions générales dont se prévalait l’intimée, les estimant postérieures à la souscription du contrat et non remises lors de celle-ci. Ils invoquaient également un éventuel cumul de garanties entre l’ancien et le nouvel assureur. Ces contestations touchent directement au contenu et à l’interprétation du contrat d’assurance.

La détermination du régime applicable à la garantie subséquente, l’appréciation de son étendue temporelle et matérielle, l’examen des causes d’exclusion ou de limitation relèvent d’un débat contradictoire sur le fond. Seul le juge du fond dispose de la plénitude de juridiction pour trancher ces questions.

La solution retenue par la cour d’appel de Nîmes assure ainsi un équilibre entre deux impératifs. Elle préserve les droits de l’assuré en lui permettant de soumettre au juge du fond la question de la garantie subséquente. Elle garantit simultanément les droits de l’assureur qui pourra faire valoir l’ensemble de ses moyens de défense dans le cadre d’un débat au fond.

Cette décision présente une portée pratique significative pour le contentieux de l’assurance de responsabilité civile professionnelle. Elle rappelle que la cessation formelle d’un contrat d’assurance n’épuise pas nécessairement les obligations de l’assureur. La garantie subséquente constitue un mécanisme autonome dont l’application ne peut être écartée au stade de la recevabilité sans excès de pouvoir du juge de la mise en état.

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Hassan KOHEN
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