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L’article L. 1224-1 du code du travail, issu de la directive européenne du 12 mars 2001, organise le transfert automatique des contrats de travail en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur. Ce mécanisme légal, d’ordre public, s’impose tant à l’employeur qu’au salarié. Une question distincte se pose lorsque le transfert résulte non de la loi mais d’une convention collective sectorielle. Le secteur de la propreté a institué un dispositif conventionnel de maintien de l’emploi lors des changements de prestataires. La portée impérative de ce mécanisme a fait l’objet de débats jurisprudentiels. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 8 juillet 2025 apporte une contribution significative à cette question.
Une salariée avait été embauchée en 2002 en qualité d’agent de service par une société de nettoyage. Son contrat avait été transféré en janvier 2021 à une nouvelle société adjudicataire du marché sur lequel elle était affectée. Des difficultés sont apparues entre les parties, l’employeur reprochant à la salariée des prestations défectueuses et celle-ci contestant son changement d’affectation géographique. En novembre 2021, le marché a été réattribué à une autre société. L’employeur a informé la salariée du transfert de son contrat au nouvel adjudicataire. Par courrier daté du 30 novembre 2021, adressé le 2 décembre suivant, la salariée a refusé ce transfert. L’employeur lui a transmis ses documents de fin de contrat le 7 décembre 2021.
La salariée a saisi le conseil de prud’hommes pour faire qualifier la rupture de son contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle soutenait que le transfert conventionnel de son contrat nécessitait son accord et que l’envoi des documents de fin de contrat constituait une rupture unilatérale imputable à l’employeur. Elle sollicitait également des rappels de salaire pour les périodes où elle avait été placée en absence injustifiée. Le conseil de prud’hommes l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes.
La question posée à la cour d’appel était double. D’une part, le transfert du contrat de travail organisé par l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté s’impose-t-il au salarié sans que son accord soit requis. D’autre part, le refus du salarié peut-il faire obstacle à ce transfert et permettre de qualifier la remise des documents de fin de contrat en licenciement.
La cour d’appel de Nîmes confirme le jugement. Elle juge que « le transfert des contrats de travail s’effectue de plein droit par l’effet du présent dispositif et s’impose donc au salarié ». Elle en déduit qu’à compter du changement de prestataire, le contrat de travail était transféré à l’entreprise entrante. Le refus adressé postérieurement à cette date est déclaré « sans conséquence sur ce transfert ».
L’arrêt mérite attention en ce qu’il affirme le caractère impératif du transfert conventionnel à l’égard du salarié (I) et précise les conséquences du refus opposé par ce dernier (II).
I. Le caractère impératif du transfert conventionnel
La cour consacre l’effet de plein droit du mécanisme conventionnel (A) tout en écartant les arguments tirés de la nécessité d’un accord du salarié (B).
A. L’effet de plein droit du transfert
L’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté institue un mécanisme de maintien de l’emploi lors des changements de prestataires. Ce dispositif, issu d’un accord du 29 mars 1990, vise à « améliorer et renforcer la garantie offerte aux salariés affectés à un marché faisant l’objet d’un changement de prestataire ». La convention prévoit expressément que l’entreprise entrante « s’engage à garantir l’emploi de 100 % du personnel affecté au marché ». Le texte précise que « le maintien de l’emploi entraînera la poursuite du contrat de travail au sein de l’entreprise entrante ».
La cour d’appel reprend la formulation conventionnelle selon laquelle « le transfert des contrats de travail s’effectue de plein droit par l’effet du présent dispositif et s’impose donc au salarié ». Cette rédaction établit une analogie avec le mécanisme légal de l’article L. 1224-1 du code du travail. Le transfert opère automatiquement à la date du changement de prestataire, sans qu’aucune formalité particulière soit requise. L’information du salarié n’est pas une condition de validité du transfert mais une simple obligation procédurale. La cour relève d’ailleurs que la salariée ne peut valablement contester avoir été informée puisqu’elle a été « en capacité de formaliser son refus ».
Le caractère automatique du transfert répond à la finalité protectrice du dispositif conventionnel. Il s’agit d’éviter que les salariés ne perdent leur emploi du seul fait du changement de prestataire. La cour souligne que « le but de celui-ci est de protéger le salarié, son emploi et sa rémunération ». Le transfert conventionnel constitue ainsi « l’un des vecteurs stabilisateurs du marché de la propreté ».
B. Le rejet de l’exigence d’un accord du salarié
La salariée invoquait deux arrêts de la Cour de cassation pour soutenir que le transfert conventionnel nécessitait son accord. La cour d’appel écarte ces précédents comme non transposables à l’espèce. Le premier, du 12 septembre 2018, concernait une situation de fractionnement du contrat de travail lorsqu’un salarié affecté sur plusieurs chantiers voit un seul d’entre eux transféré. Le second, du 24 mai 2023, visait un transfert volontaire entre sociétés d’un même groupe. Ces hypothèses se distinguent du transfert intégral organisé par la convention collective.
La cour distingue implicitement entre le transfert partiel, qui suppose un accord car il modifie la situation contractuelle du salarié, et le transfert total qui s’opère de plein droit. Lorsque le salarié est affecté exclusivement sur le marché transféré, aucun fractionnement de son contrat n’intervient. Le transfert opère dans sa globalité sans porter atteinte aux droits du salarié. La convention collective prévoit d’ailleurs le maintien des éléments essentiels du contrat, notamment l’ancienneté et la rémunération.
La solution retenue s’inscrit dans la logique des transferts d’entreprise. La Cour de cassation juge de manière constante que le salarié ne peut s’opposer au transfert de son contrat en application de l’article L. 1224-1 du code du travail. Ce principe a été étendu aux transferts conventionnels lorsque ceux-ci présentent un caractère comparable au transfert légal. Le dispositif de l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté répond à cette exigence en organisant un transfert automatique et intégral des contrats.
II. Les conséquences du refus du salarié
La cour analyse l’inefficacité juridique du refus opposé par la salariée (A) et en tire les conséquences sur la qualification de la rupture (B).
A. L’inefficacité du refus postérieur au transfert
La salariée avait formalisé son refus par courrier daté du 30 novembre 2021, adressé le 2 décembre suivant. Le transfert était intervenu le 1er décembre 2021, date du changement de prestataire. La cour relève que « le refus adressé à la SARL HSE Propreté et services le 2 décembre 2021 est sans conséquence sur ce transfert ». La chronologie des événements prive le refus de toute portée juridique.
La cour souligne une contradiction dans l’argumentation de la salariée. Celle-ci prétendait n’avoir pas reçu le courrier d’information du 17 novembre 2021. Elle ne pouvait expliquer dans ces conditions comment elle avait pu formaliser son refus avant même la date du transfert. Cette incohérence conforte l’analyse selon laquelle la salariée avait bien été informée du transfert à venir.
Le refus du salarié, même antérieur à la date du transfert, n’aurait d’ailleurs pas davantage fait obstacle à celui-ci. Le caractère impératif du dispositif conventionnel exclut toute faculté d’opposition du salarié. La seule voie ouverte à ce dernier serait de démissionner ou de solliciter une rupture conventionnelle. Le refus de se présenter chez le nouvel employeur pourrait constituer un abandon de poste susceptible de justifier un licenciement par l’entreprise entrante.
B. L’absence de licenciement imputable à l’employeur sortant
La salariée soutenait que l’envoi des documents de fin de contrat par l’employeur sortant constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour écarte cette analyse. Elle juge que la salariée « ne peut se prévaloir d’aucun licenciement imputable à la SARL HSE Propreté et services à la date d’envoi des documents de fin de contrat le 7 décembre 2021, puisqu’elle faisait partie à cette date des effectifs de la société ODE ».
Le raisonnement repose sur l’effet automatique du transfert. À compter du 1er décembre 2021, le contrat de travail liait la salariée à l’entreprise entrante. L’employeur sortant n’était plus partie au contrat. La remise des documents de fin de contrat ne constituait qu’une formalité administrative consécutive au transfert. Elle ne pouvait être qualifiée de rupture unilatérale puisque le contrat n’existait plus entre les parties.
La solution invite à s’interroger sur la situation de la salariée à l’égard de l’entreprise entrante. Celle-ci, en refusant le transfert, s’est placée en situation d’abandon de poste vis-à-vis de son nouvel employeur. La convention collective prévoit que le contrat se poursuit « sans limitation de durée » chez l’entreprise entrante. Le refus du salarié de prendre ses fonctions pourrait justifier son licenciement pour faute par le nouvel employeur. La protection offerte par le mécanisme conventionnel suppose que le salarié accepte de continuer à exécuter sa prestation de travail.