Cour d’appel de Nîmes, le 8 septembre 2025, n°24/00566

Par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 8 septembre 2025, la formation sociale statue sur la rupture anticipée d’un CDD pour faute grave. Le litige naît dans un service éducatif, où un salarié assure l’encadrement de mineurs en difficulté.

Le salarié avait été recruté du 7 juin au 7 décembre 2021 comme assistant éducatif. Après convocation fin août, une rupture anticipée lui est notifiée le 14 septembre 2021, l’employeur invoquant un désintérêt pour le poste, des absences matinales prolongées, une non‑participation aux tâches du quotidien et une vigilance insuffisante lors de l’administration de traitements.

Le conseil de prud’hommes de Nîmes, le 6 février 2024, a retenu la faute grave et débouté l’intéressé de ses demandes indemnitaires et salariales. L’appel a été interjeté pour contester la qualification retenue et solliciter des rappels de salaire, une indemnité de préavis, des dommages‑intérêts et l’indemnité de fin de contrat.

La question posée tenait à la caractérisation d’une faute grave au sens de l’article L.1243‑1 du code du travail, justifiant une rupture anticipée du CDD, avec les conséquences attachées en matière d’indemnités et de salaires. La cour confirme la solution, retenant que « La faute grave est caractérisée » et que l’insuffisance d’implication était, en l’espèce, de nature à mettre en péril la sécurité des jeunes.

I. L’appréciation de la faute grave en contexte éducatif spécialisé

A. Le cadre légal et la finalité de la rupture anticipée du CDD

La décision rappelle la norme applicable en ces termes: « Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail(…) ». Le texte encadre strictement la faculté de rompre, afin de préserver la stabilité contractuelle qui caractérise le CDD.

Appliquée au secteur éducatif, l’exigence de gravité se mesure au regard des obligations essentielles attachées à la mission. La cour insiste sur la présence et l’écoute requises de façon continue en raison de la vulnérabilité des adolescents accueillis. Elle souligne que « En effet, le défaut d’implication d’un membre d’une équipe éducative particulièrement réduite pour accompagner des adolescents en grande difficulté, nécessitant une présence et une écoute de chaque instant, a des conséquences sur la sécurité des jeunes pris en charge ».

Le critère directeur demeure l’impossibilité de maintenir le collaborateur dans ses fonctions, même provisoirement. Cette impossibilité se déduit de manquements qui affectent le cœur des tâches confiées, ici la surveillance, l’accompagnement et la participation effective à la vie collective du lieu de vie.

B. Les éléments matériels retenus et la cohérence du raisonnement

La cour fonde son appréciation sur des témoignages pluriels et circonstanciés, décrivant une passivité persistante, un isolement répété et des absences matinales prolongées. Les attestations relatent une non‑participation aux activités et tâches quotidiennes, ainsi qu’une faible implication lors des sorties, laissant le binôme gérer seul le groupe.

Le raisonnement ne méconnaît pas les éléments à décharge, comme l’intervention efficace lors d’un incident violent. Pour autant, il confronte ces occurrences ponctuelles à l’insuffisance structurelle observée le reste du temps, ce qui prévaut en raison de la continuité d’encadrement attendue. La décision précise qu’« Une adolescente a d’ailleurs fait une tentative de suicide par prise de médicaments au cours du séjour ». Si ce fait n’est pas imputé, il illustre le niveau d’exigence attaché à la vigilance éducative.

La controverse relative à l’absence de mentions d’absences sur les bulletins de paie ne suffit pas à infléchir l’ensemble probatoire. La cour constate des absences longues non sérieusement contredites et, surtout, une insuffisance d’engagement quotidien. Elle en déduit que « La faute grave est caractérisée », ce qui justifie la rupture anticipée et l’exclusion corrélative des indemnités de préavis, de fin de contrat et des dommages‑intérêts.

II. Valeur et portée de la solution rendue

A. Une solution alignée sur l’exigence de sécurité dans l’action éducative

La motivation s’inscrit dans une logique de prévention des risques pour des mineurs vulnérables. En soulignant la petite taille de l’équipe, la cour rappelle que la moindre défaillance de l’un affecte immédiatement la sécurité de tous. D’où l’accent placé sur la participation active aux tâches, la présence effective et la coordination avec le binôme.

Le passage suivant éclaire la ratio decidendi: « En effet, le défaut d’implication d’un membre d’une équipe éducative particulièrement réduite […] a des conséquences sur la sécurité des jeunes pris en charge ». L’articulation entre défaillance professionnelle et risque pour les personnes protégées justifie la gravité, au‑delà d’une simple insuffisance professionnelle.

Cette approche cadre avec la finalité du dispositif contractuel: le CDD ne peut être rompu qu’en présence de manquements rendant impossible toute poursuite, ce qui est le cas lorsque la mission de protection ne peut plus être assurée avec fiabilité et constance.

B. Les enseignements probatoires et les garanties pour l’avenir

La décision illustre la valeur probatoire d’attestations concordantes, détaillées et ancrées dans des périodes précisément datées. Elle montre que la prise en compte de quelques interventions ponctuelles ne neutralise pas des manquements réitérés aux obligations quotidiennes essentielles. L’analyse globale prime, dès lors que les pièces convergent et décrivent des faits précis, vérifiables et contemporains.

La cour veille à ne pas confondre faute et résultat, en refusant d’imputer un événement grave non documenté à la personne mise en cause. Ce « filtre » protège contre les surinterprétations, tout en rappelant le niveau d’attention dû. L’équilibre se retrouve dans la conclusion opératoire qui, confirmant l’analyse des premiers juges, « Confirme le jugement déféré sauf sur les dépens ».

La portée pratique est nette. Dans les structures d’accueil à effectif réduit, une passivité persistante, des retraits répétés du collectif et une non‑participation aux tâches communes peuvent caractériser une faute grave. À l’inverse, l’employeur doit documenter précisément les périodes, actes et conséquences, afin d’établir l’impossibilité du maintien sans se reposer sur des appréciations vagues ou des imputations globales.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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