Cour d’appel de Nîmes, le 8 septembre 2025, n°24/00613

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 8 septembre 2025, un litige relatif à la prime annuelle conventionnelle a été tranché. Le différend portait sur l’assiette de calcul de cette prime, la recevabilité d’une demande afférente à 2019 et diverses demandes indemnitaires accessoires.

Le salarié, engagé depuis plusieurs années, réclamait des rappels de prime annuelle pour 2019, 2020 et 2021. Il soutenait que doivent entrer dans l’assiette les primes fixes, les heures supplémentaires régulières et les majorations pour travail de nuit, dimanche et jours fériés, à l’exclusion des seules heures supplémentaires exceptionnelles et de l’intéressement.

Le conseil de prud’hommes d’Alès, par jugement du 8 février 2024, avait accueilli en grande partie ces prétentions, assortissant la remise de bulletins rectifiés d’une astreinte et allouant des dommages-intérêts au salarié et au syndicat. L’employeur a interjeté appel, invoquant notamment la prescription au titre de 2019 et une assiette restreinte centrée sur le salaire de base de novembre.

La cour d’appel confirme la recevabilité de 2019, retient le salaire forfaitaire comme référence, incluant primes fixes, heures supplémentaires régulières et majorations, tout en excluant les heures supplémentaires exceptionnelles et l’intéressement. Elle déboute en revanche le salarié de ses demandes indemnitaires pour exécution déloyale et résistance abusive, mais confirme l’intérêt à agir du syndicat et la réparation de l’atteinte à l’intérêt collectif.

I – Exigibilité et assiette de la prime annuelle

A – Exigibilité et prescription triennale

La difficulté portait d’abord sur le point de départ de la prescription triennale de l’action en paiement. La cour rappelle le principe selon lequel « En matière salariale, le jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer est la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. » La solution se noue ensuite autour de l’échéancier conventionnel de la prime, que la juridiction précise sans ambiguïté.

La cour énonce ainsi que « Il en résulte que la prime annuelle est payable en deux échéances, la première au 30 juin et la seconde au 31 décembre et non ‘début décembre’ comme soutenu à tort par l’employeur dans ses écritures, au motif que le salarié a perçu le solde de sa prime le 9 décembre. » Ce rappel des échéances, adossé à l’accord d’harmonisation, fonde le rejet de l’exception de prescription.

En conséquence, la juridiction retient l’exigibilité au 31 décembre 2019 et entérine la recevabilité de la demande. Elle l’énonce nettement: « C’est par conséquent à bon droit que les premiers juges ont retenu la date du 31 décembre 2019 comme date d’exigibilité de la prime annuelle 2019 et donc comme point de départ de la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail sus-visé. » La cohérence avec la jurisprudence sociale antérieure sur l’exigibilité du salaire ressort sans affectation.

B – Notion de salaire forfaitaire et éléments inclus dans l’assiette

Le débat portait ensuite sur la référence textuelle à retenir, entre salaire forfaitaire et salaire de base, à la suite de la réécriture à droit constant de la convention collective. La cour articule l’accord d’harmonisation et la convention de branche en privilégiant la lettre des stipulations relatives aux modalités de calcul, éclairées par leur finalité.

Elle retient la notion de salaire forfaitaire comme socle pertinent et précise le contenu positif et négatif de l’assiette. La formule est précise: « Dés lors , le salaire brut de référence à retenir, qui exclut expressément les heures supplémentaires exceptionnelles et les primes d’intéressement, doit comporter, a contrario, les autres heures supplémentaires, les majorations au titre des heures de nuit ou de week end ainsi que toutes les autres primes fixes. » Cette lecture concilie la logique de complète rémunération du mois de référence et les exclusions textuelles ciblées.

La qualification des heures supplémentaires régulières est, de plus, clarifiée au regard des bulletins produits. La cour écarte une conception excessivement stricte de la régularité et rappelle que « En soutenant que pour être régulières, les heures supplémentaires doivent être effectuées chaque mois, l’employeur ajoute une condition qui ne relève pas de la notion de régularité des dites heures. » Le raisonnement rejoint la pratique jurisprudentielle qui privilégie la stabilité d’ensemble plutôt que la répétition mensuelle ininterrompue.

Enfin, la définition des primes fixes est posée avec netteté, indépendamment de leur montant variable d’une échéance à l’autre. La cour souligne que « Il est constant que le caractère de fixité d’une prime résulte de ce qu’elle est déterminée selon un mode de calcul convenu entre le salarié et l’employeur ou selon des critères précis et fixes, et non d’un montant constant d’une échéance sur l’autre. » L’intégration des primes de productivité dans l’assiette s’en trouve logiquement déduite.

II – Responsabilités accessoires et intérêt collectif

A – Absence de faute autonome d’exécution et de résistance abusive

Restait la question des dommages-intérêts sollicités au titre de l’exécution déloyale et de la résistance abusive. La cour retient une ligne de principe stricte, dissociant la discussion sérieuse sur l’interprétation des textes de toute faute autonome. Elle rappelle en effet que « Le seul fait de résister à l’exécution d’une obligation ou au paiement d’une somme ne caractérise ni l’exécution déloyale du contrat de travail, ni la résistance abusive. » L’existence d’un contentieux nourri, sans solution définitive, milite contre la caractérisation d’un abus.

Ce choix est conforme à l’économie du droit positif, qui requiert la démonstration d’un comportement fautif distinct de la simple contestation judiciaire. Il contribue à distinguer la réparation du rappel salarial, acquise par l’interprétation conventionnelle, des préjudices autonomes allégués, non établis en l’espèce. Il en résulte le débouté des demandes indemnitaires individuelles.

B – Reconnaissance du préjudice collectif et conséquences pratiques

Sur l’action du syndicat, la cour opère une distinction nette, en reconnaissant l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession au regard de la portée normative du différend. Elle affirme que « Le litige portant sur l’interprétation de textes conventionnels déterminant les modalités de calcul de la prime annuelle due aux salariés remplissant les conditions d’attribution de cette prime, la position de l’employeur porte effectivement une atteinte à l’intérêt collectif de la profession. » La condamnation prononcée au titre de l’article L. 2132-3 s’en trouve confortée.

Les conséquences pratiques sont ordonnées avec mesure. La remise des bulletins rectifiés est prescrite sans astreinte, dans un délai raisonnable, ce qui favorise l’exécution volontaire tout en assurant l’effectivité du droit reconnu. Le point de départ des intérêts légaux est fixé conformément à la nature salariale des créances et à la notification de la convocation prud’homale.

L’arrêt stabilise ainsi le régime de la prime annuelle autour du salaire forfaitaire et de l’exigibilité calendaire, tout en réservant les sanctions aux seuls cas de préjudice collectif avéré et distincts des débats interprétatifs de bonne foi. Cette clarification renforce la sécurité juridique des acteurs et harmonise les pratiques de paie avec le texte conventionnel.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture