Cour d’appel de Nîmes, le 8 septembre 2025, n°24/00653

La cour d’appel de Nîmes, statuant le 8 septembre 2025, tranche un litige relatif à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise. Une salariée, engagée en 2007 comme opératrice de conditionnement, reprochait à son employeur de ne pas avoir mis en place un accord de participation alors que le seuil de cinquante salariés avait été atteint. Elle exerçait par ailleurs des mandats de déléguée syndicale et de représentante syndicale au comité social et économique.

La salariée avait saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon pour obtenir le paiement de sommes au titre de la participation pour les années 2018, 2019 et 2020. Le jugement du 25 janvier 2024 avait partiellement fait droit à ses demandes en retenant un manquement de l’employeur uniquement à partir de l’exercice 2020 et en lui allouant diverses sommes. La salariée comme l’employeur ont interjeté appel de cette décision.

L’employeur soutenait que la conclusion d’un accord d’intéressement en 2018 avait valablement reporté l’obligation de mettre en place la participation. Il invoquait subsidiairement la prescription biennale des demandes antérieures à 2019 et l’application d’une clause de sauvegarde prévue à l’accord d’intéressement. La salariée contestait ces arguments et réclamait le paiement de la participation pour les trois exercices ainsi que des dommages et intérêts pour discrimination syndicale et entrave.

La question centrale soumise à la cour était de déterminer si une entreprise ayant franchi le seuil de cinquante salariés pouvait s’exonérer de l’obligation légale de participation en concluant un accord d’intéressement, et dans quelle mesure les sommes réclamées étaient prescrites ou devaient être réduites par application d’une clause de sauvegarde.

La cour d’appel de Nîmes réforme partiellement le jugement. Elle rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, condamne l’employeur à verser à la salariée des rappels de participation pour les années 2018, 2019 et 2020, mais réduit les montants en application de la clause de sauvegarde. Elle rejette les demandes de dommages et intérêts pour discrimination et entrave.

I. L’encadrement de l’obligation de participation au regard du dispositif d’intéressement

A. L’inapplicabilité du report de l’obligation de participation par un accord d’intéressement postérieur au franchissement du seuil

La cour énonce que « l’article L.3322-3 n’envisageait le report de l’obligation de proposer un accord de participation que lorsque le seuil des cinquante salariés était franchi postérieurement à l’accord d’intéressement ce qui n’est pas le cas en l’espèce ». Cette interprétation repose sur une lecture stricte du texte alors en vigueur, qui conditionnait le bénéfice du report à la préexistence de l’accord d’intéressement par rapport au franchissement du seuil.

L’employeur avait soutenu que la conclusion de l’accord d’intéressement du 25 juin 2018, ratifié aux deux tiers des salariés, avait pour effet de reporter l’obligation de participation à 2021. La cour écarte cet argument au motif que le seuil de cinquante salariés avait été franchi dès 2015. Le bilan de l’année 2017 mentionnait un effectif moyen de cinquante-deux salariés, sans compter les intérimaires.

Cette solution s’inscrit dans la logique protectrice du droit de la participation. Le législateur a entendu garantir aux salariés le droit de participer aux résultats de l’entreprise dès lors que certains seuils d’effectifs sont atteints. Permettre à un employeur de contourner cette obligation par la conclusion tardive d’un accord d’intéressement aurait vidé de sa substance le caractère obligatoire de la participation. La cour applique ainsi le principe selon lequel les exceptions aux obligations légales doivent être interprétées restrictivement.

B. Le rejet de la prescription biennale au regard de l’indisponibilité des informations

La cour relève que « la SAS Hyteck ne peut prétendre qu’elle avait connaissance des données économiques et sociales de l’entreprise, et notamment des bilans et des effectifs, au 22 décembre 2019, alors que ces documents n’avaient toujours pas été remis aux représentants du personnel au mois de juillet 2021 ». Cette motivation fonde le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

L’employeur invoquait la prescription biennale de l’article L.1471-1 du code du travail, en soutenant que la salariée connaissait les effectifs depuis 2018 du fait de ses mandats représentatifs. La cour distingue la connaissance des effectifs de celle des éléments permettant d’apprécier l’existence d’une créance de participation. Les bilans des années 2018 et 2019 n’avaient été déposés au greffe du tribunal de commerce que le 22 février 2021.

Cette solution est conforme à la jurisprudence constante selon laquelle la prescription ne court que du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. L’employeur ne pouvait se prévaloir de sa propre carence dans la communication des documents sociaux pour opposer la prescription à la salariée. La cour rappelle que l’entreprise avait elle-même admis ne pas avoir pu mettre en place la base de données économiques et sociales dans les délais requis.

II. L’articulation entre participation et intéressement dans le cadre de la clause de sauvegarde

A. L’interprétation stricte de la clause de sauvegarde au bénéfice de la salariée

La cour retient que « c’est la prime d’intéressement qui doit être minorée en fonction de la participation versée, et non l’inverse » et que « c’est uniquement la prime individuelle d’intéressement qui peut être réduite ou supprimée le cas échéant en fonction du montant de la participation versée au salarié individuellement ». Elle refuse ainsi l’interprétation extensive proposée par l’employeur.

L’accord d’intéressement contenait une clause prévoyant que « la prime d’intéressement telle définie serait minorée, le cas échéant, du montant des charges suivantes » incluant le « Montant de la participation des salariés éventuellement due ». L’employeur soutenait que cette clause devait s’interpréter comme permettant de déduire l’intéressement de la participation. La cour écarte cette lecture en relevant qu’une telle interprétation irait « à l’encontre même du texte ».

La décision illustre le principe d’interprétation contra proferentem des clauses ambiguës. L’employeur, rédacteur de l’accord, ne pouvait bénéficier d’une lecture favorable qui aurait eu pour effet de priver les salariés d’une partie substantielle de leurs droits. La cour maintient ainsi l’équilibre voulu par le législateur entre les dispositifs d’intéressement et de participation, sans permettre que l’un neutralise indûment l’autre.

B. Le rejet des demandes indemnitaires fondées sur l’entrave et la discrimination syndicale

La cour énonce qu’« aucune mauvaise foi ne peut être reprochée à la SAS Hyteck » dès lors que « l’accord d’intéressement a été conclu à une large majorité ». Elle ajoute que « seul le comité social et économique peut se prévaloir d’un préjudice en la matière » s’agissant du défaut de mise à disposition de la base de données économiques et sociales.

La salariée invoquait une entrave à l’exercice de ses fonctions représentatives et une discrimination syndicale résultant du défaut de négociation préalable avec elle. La cour rejette ces arguments en distinguant les droits propres du représentant du personnel de ceux de l’institution représentative. Le défaut d’engager des négociations ne constitue pas une mesure discriminatoire au sens de l’article L.1132-1 du code du travail.

Cette solution rappelle que la protection contre la discrimination syndicale suppose l’existence de mesures individuelles défavorables prises en raison de l’activité syndicale. L’absence de mise en place d’un régime collectif ne relève pas de cette catégorie. La cour préserve ainsi la distinction entre les recours collectifs, relevant des institutions représentatives, et les recours individuels des salariés protégés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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