Cour d’appel de Nîmes, le 8 septembre 2025, n°24/00657

La Cour d’appel de Nîmes, 8 septembre 2025, statue sur le contentieux de la participation dans une entreprise ayant franchi le seuil de cinquante salariés avant la conclusion d’un accord d’intéressement triennal. Saisie de deux appels joints, la juridiction tranche la mise en place de la participation au titre des exercices 2018, 2019 et 2020, la prescription des demandes, l’articulation avec la clause de sauvegarde, et les intérêts de retard.

Les faits tiennent à l’absence de dispositif de participation malgré un effectif supérieur à cinquante dès 2017, et à la signature d’un accord d’intéressement couvrant 2018 à 2020. En première instance, le conseil de prud’hommes a limité l’obligation de participation à l’exercice 2020, alloué un rappel pour cette année, et rejeté le surplus. La salariée a sollicité l’extension aux exercices 2018 et 2019, des intérêts légaux spécifiques et des dommages-intérêts. L’employeur a opposé le report prévu par l’article L.3322-3 ancien, la prescription biennale, et la clause de sauvegarde neutralisant le cumul.

La question de droit principale portait sur la portée du report prévu par l’article L.3322-3, dans l’hypothèse où le seuil de cinquante salariés était franchi avant l’intéressement, ainsi que sur le point de départ de la prescription biennale posé par l’article L.1471-1. Accessoirement, la Cour devait déterminer l’articulation exacte entre intéressement et participation au regard d’une clause de sauvegarde, et le régime des intérêts de retard applicable.

La Cour retient que le report de l’obligation de participation n’est pas ouvert lorsque le seuil est antérieur à l’accord d’intéressement, écarte la fin de non-recevoir fondée sur la prescription, calcule la réserve spéciale de participation pour 2018, 2019 et 2020, puis impute l’intéressement individuel perçu au titre de la clause de sauvegarde. Elle alloue en conséquence des rappels bruts pour les trois exercices, assortis des intérêts prévus à l’article D.3324-25, ordonne la capitalisation, et rejette la demande indemnitaire.

I. L’assujettissement à la participation et la prescription

A. Le seuil de cinquante salariés et l’inopérance du report de l’article L.3322-3

La Cour rappelle, au vu des textes applicables, que la participation devient obligatoire lorsque l’entreprise emploie habituellement au moins cinquante salariés, selon les critères alors en vigueur. Le nœud du litige réside dans l’articulation avec l’intéressement existant. Elle énonce que « Or l’article L.3322-3 n’envisageait le report de l’obligation de proposer un accord de participation que lorsque le seuil des cinquante salariés était franchi postérieurement à l’accord d’intéressement ». La formulation est dépourvue d’ambiguïté et cantonne le report à l’hypothèse d’un franchissement ultérieur.

Cette lecture s’accorde avec la finalité combinée des dispositifs: l’intéressement demeure facultatif et souple, tandis que la participation est d’ordre public social en présence du seuil. En constatant que le seuil était franchi avant l’accord, la Cour rétablit la temporalité exacte de l’assujettissement. La solution évite de neutraliser la participation par un intéressement opportunément antérieur, et préserve la hiérarchie des sources issue des articles L.3322-1 et L.3322-2.

B. La prescription biennale au prisme de la connaissance des faits

L’employeur invoquait la prescription biennale applicable aux actions nées de l’exécution du contrat. Il soutenait que la salariée connaissait le dépassement du seuil, à tout le moins en 2019, rendant irrecevables les demandes pour 2018 et 2019. La Cour vérifie concrètement la connaissance des éléments nécessaires et retient que l’accès aux données sociales et financières n’était pas effectif, notamment faute de communication régulière et de dépôt dans les délais.

La motivation est ramassée et claire: « Il convient donc d’écarter la fin de non-recevoir. » En adoptant un point de départ subordonné à la connaissance raisonnable des faits déterminants, la Cour concilie la sécurité juridique avec le droit à l’information des salariés. La solution respecte la lettre de l’article L.1471-1 et sanctionne utilement les carences d’information, évitant une prescription par surprise sur des créances dépendant d’éléments occultés.

II. La mise en œuvre financière: clause de sauvegarde, intérêts et accessoires

A. La clause de sauvegarde et l’imputation de l’intéressement sur la participation

Le débat portait sur la portée de la clause de sauvegarde insérée dans l’accord d’intéressement, l’employeur soutenant la minoration de la réserve spéciale de participation par l’intéressement global. La Cour refuse cette lecture et rappelle la hiérarchie des masses et des droits. Elle souligne que « De même, le fait que la clause de sauvegarde vise “le montant de la participation des salariés” ne renvoie pas nécessairement à la réserve spéciale de participation. » L’accent est mis sur les droits individuels, et non sur l’enveloppe globale.

La Cour fixe alors la règle opérationnelle: « Effectivement, en application de la clause de sauvegarde, la prime d’intéressement doit être diminuée du montant de la prime de participation. » L’intéressement ne peut se cumuler avec la participation pour un même exercice; l’intéressement déjà versé s’impute donc sur la créance de participation. La méthode protège l’intégrité de la réserve spéciale et aligne l’exécution sur le texte de la clause, sans dénaturer le régime légal. Les montants nets retenus au dispositif pour 2018, 2019 et 2020 en découlent mécaniquement.

B. Les intérêts de retard et le rejet des dommages-intérêts

S’agissant des intérêts, la Cour écarte le cumul entre le régime spécial du code du travail et les intérêts moratoires du code civil. Elle affirme que « Il est vrai que le texte spécial concernant les intérêts à appliquer a vocation à se substituer au texte d’application générale tiré du code civil. » Le rappel de la spécialité, ici l’article D.3324-25, s’impose et fixe des taux par périodes à compter du premier jour du sixième mois suivant la clôture de chaque exercice.

La Cour ajoute une précision d’exécution conforme au code civil en matière de capitalisation: « Ordonne la capitalisation des intérêts, laquelle prend effet à la date à laquelle les intérêts sont dus pour la première fois pour une année entière, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ». La demande de dommages-intérêts additionnels est rejetée, faute de mauvaise foi démontrée et de préjudice distinct, ce qui maintient la frontière entre l’accessoire légal de la créance et la responsabilité délictuelle ou contractuelle.

La solution emporte alors des effets pratiques cohérents: rejet de la prescription, assujettissement à la participation dès 2018 malgré l’intéressement, imputation de l’intéressement individuel sur la participation individuelle, application exclusive des intérêts spéciaux avec capitalisation. L’économie générale de l’arrêt articule la norme impérative et la liberté conventionnelle sans sacrifier les droits collectifs des salariés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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