Cour d’appel de Nîmes, le 8 septembre 2025, n°24/01128

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail constitue un mode de rupture par lequel le salarié met fin au contrat en imputant à l’employeur des manquements graves à ses obligations. Lorsque ces manquements ne sont pas établis, cette prise d’acte produit les effets d’une démission, avec toutes les conséquences financières qui en découlent pour le salarié. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes le 8 septembre 2025 illustre cette problématique dans un contexte particulier marqué par la crise sanitaire de 2020.

Une salariée avait été engagée en février 2019 en qualité de coiffeuse hautement qualifiée. Après deux mutations intragroupe, elle conclut le 27 février 2020 un contrat de travail en qualité de manager confirmée d’un nouveau salon. Dès le 29 février 2020, elle adresse un courrier à son employeur dénonçant des faits de harcèlement moral de la part de l’animatrice de réseau. Elle est placée en arrêt de travail du 2 au 14 mars 2020, puis en chômage partiel du 16 mars au 10 mai 2020 en raison du confinement national. Le 19 mai 2020, elle prend acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant le harcèlement moral subi et l’absence de mesures prises par l’employeur.

La salariée saisit le conseil de prud’hommes de Nîmes le 8 avril 2021. Par jugement du 1er mars 2024, cette juridiction dit que le harcèlement moral n’est pas caractérisé, que la prise d’acte produit les effets d’une démission et déboute la salariée de l’ensemble de ses demandes. La salariée interjette appel le 28 mars 2024, sollicitant que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse. L’employeur forme un appel incident tendant notamment à la condamnation de la salariée au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis.

La cour d’appel de Nîmes devait déterminer si les faits invoqués par la salariée établissaient l’existence d’un harcèlement moral et d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, de nature à justifier que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement.

La cour confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle juge que la salariée n’a pas fait l’objet de harcèlement moral, que l’employeur n’a pas méconnu son obligation de sécurité et que la prise d’acte s’analyse en une démission. Elle condamne la salariée au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de 7 035 euros.

La décision mérite examen tant sur l’appréciation des faits de harcèlement moral invoqués (I) que sur les conséquences attachées à la requalification de la prise d’acte en démission (II).

I. L’appréciation rigoureuse des faits de harcèlement moral

La cour procède à un examen méthodique des éléments avancés par la salariée (A) avant de retenir les justifications apportées par l’employeur (B).

A. L’examen des éléments présentés par la salariée

La cour rappelle le mécanisme probatoire applicable au harcèlement moral tel qu’il résulte des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. Le salarié doit présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Il incombe ensuite à l’employeur de « prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».

La salariée invoquait plusieurs griefs : le délaissement lors de l’ouverture du salon, l’imposition d’une co-manager sans concertation, des propos dénigrants tenus devant les clients, le placement du salon en sous-effectif et son remplacement au poste de manager. La cour relève que « ces faits, pris dans leur ensemble laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral », ce qui déclenche l’examen des justifications de l’employeur.

Cette approche respecte la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui impose au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués, pris dans leur globalité, avant de se prononcer. La cour n’écarte pas d’emblée les griefs mais procède à leur analyse contradictoire.

B. Les justifications objectives retenues par la cour

La cour retient plusieurs éléments pour écarter la qualification de harcèlement moral. Elle observe d’abord la brièveté de la période litigieuse : « embauchée le jeudi 27 février 2020, Mme [B] porte ses reproches sur une période d’à peine trois jours ouvrés dès lors qu’elle a été placée en arrêt maladie dès le lundi 2 mars 2020 ».

Elle qualifie ensuite les décisions contestées d’actes relevant du pouvoir de direction. Le recrutement d’une co-manager « n’est pas en soi un acte de harcèlement moral ». L’attribution du même jour de repos à deux salariées « n’affecte en rien les conditions de travail » de l’intéressée.

La cour écarte également les témoignages produits. L’attestation du collègue est jugée « imprécise et connotée subjectivement ». Le témoignage d’un prétendu client « rapporte les propos qui lui ont été tenus » par la salariée, ce qui lui ôte « tout intérêt ».

Elle relève enfin que la nouvelle manager n’a intégré les effectifs qu’à compter du 1er juin 2020, « soit postérieurement à la prise d’acte de la rupture ». Le grief tenant au remplacement anticipé tombe ainsi de lui-même.

II. Les conséquences de la requalification en démission

La requalification de la prise d’acte emporte des effets sur l’obligation de sécurité alléguée (A) et sur les obligations financières de la salariée (B).

A. L’absence de manquement à l’obligation de sécurité

La cour examine le grief tiré du manquement à l’obligation de prévention et de sécurité prévue aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. Elle rappelle que l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par ces textes ne méconnaît pas cette obligation.

La cour juge qu’ « en l’absence de tout harcèlement moral démontré, la carence de l’employeur à réaliser toute enquête ne peut être source de préjudice ». Elle ajoute que « rien ne permet d’établir une corrélation entre l’arrêt de travail de Mme [B] et ses conditions de travail ».

Elle observe que « dès sa prise de fonction, Mme [B] a critiqué ses conditions d’emploi et l’organisation interne de l’entreprise lesquelles n’avaient pas été adoptées dans le but de lui nuire ». La salariée « exprimait ainsi son désaccord avec les directions managériales qui ne lui convenaient pas ».

Cette analyse peut susciter la réflexion. L’obligation de sécurité impose à l’employeur de réagir face à une dénonciation de harcèlement, indépendamment de sa réalité ultérieurement établie. Toutefois, la cour relève que l’employeur a proposé une rencontre par courrier du 14 avril 2020, ce qui témoigne d’une réaction face aux doléances exprimées.

B. La condamnation au paiement du préavis non effectué

La cour fait droit à la demande reconventionnelle de l’employeur tendant au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis. Elle condamne la salariée à verser la somme de 7 035 euros sur le fondement de l’article L. 1237-1 du code du travail.

Cette disposition prévoit qu’en cas de démission, l’existence et la durée du préavis sont fixées par la loi, la convention collective ou les usages. Le salarié qui ne respecte pas son préavis peut être condamné à indemniser l’employeur du préjudice subi.

La cour relève que la demande n’est « pas contestée en son quantum ne serait-ce qu’à titre subsidiaire » par la salariée. Cette précision révèle l’importance pour le salarié de contester subsidiairement les demandes adverses, même lorsqu’il estime sa prise d’acte fondée.

La solution illustre le risque attaché à la prise d’acte. Le salarié qui rompt le contrat en invoquant des manquements non établis s’expose non seulement au rejet de ses demandes indemnitaires mais également à une condamnation au titre du préavis non effectué. La prise d’acte apparaît ainsi comme un mode de rupture particulièrement aléatoire dont les conséquences peuvent s’avérer défavorables au salarié.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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