Cour d’appel de Nîmes, le 8 septembre 2025, n°24/03517

Par un arrêt du 8 septembre 2025, la Cour d’appel de Nîmes, 5e chambre sociale, statuant sur renvoi après cassation, a été saisie du seul quantum des dommages-intérêts dus pour un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le salarié, engagé en 2011 comme éducateur de voile, avait été déclaré inapte en décembre 2014 puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le conseil de prud’hommes de Béziers, le 8 novembre 2018, l’avait débouté de l’ensemble de ses demandes. La Cour d’appel de Montpellier, le 18 mai 2022, avait retenu l’absence de cause réelle et sérieuse mais limité la réparation à 6 000 euros, avant que la Cour de cassation, le 4 septembre 2024, ne casse l’arrêt sur le seul montant des dommages-intérêts. Sur renvoi, la Cour d’appel de Nîmes a porté l’indemnité à 15 000 euros et alloué 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La cassation était fondée sur la méconnaissance du plancher légal résultant du droit antérieur applicable au licenciement de 2014. La haute juridiction a jugé que « Il résulte de la combinaison de ces articles que le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois pour un salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté, dans une entreprise employant habituellement plus de dix salariés ». Elle a relevé que l’évaluation opérée à 6 000 euros, au regard d’un salaire mensuel brut de 1 775,29 euros, d’une ancienneté de trois ans et neuf mois, et d’un effectif d’au moins onze salariés, violait ce principe, ajoutant : « En statuant ainsi, alors que l’indemnité à la charge de l’employeur ne pouvait être inférieure aux salaires des six derniers mois, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». La question de droit, recentrée par le renvoi, portait donc sur la méthode d’évaluation du préjudice au-delà du plancher légal, dans la limite du droit positif antérieur aux réformes de 2016 et 2017.

I. Le cadre normatif antérieur et la censure de 2024

A. Le régime applicable et le plancher légal

Le licenciement, notifié en décembre 2014, demeure régi par l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, combiné avec l’article L. 1235-5 dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016. La juridiction de renvoi a rappelé le texte et sa logique, citant expressément que « Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ». Ce plancher ne s’applique qu’aux salariés comptant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement plus de dix salariés, ce qui était le cas en l’espèce.

À la différence du régime d’indemnisation ultérieur, la version applicable ne fixait aucun plafond, laissant au juge le pouvoir d’apprécier le montant adéquat en fonction du préjudice effectivement subi. Cette appréciation devait être concrète, fondée sur des éléments factuels relatifs à la trajectoire professionnelle et personnelle postérieure au licenciement. En présence d’un plancher légal, la réparation ne pouvait en tout état de cause être inférieure à six mois de salaire, calculés sur la base de la rémunération de référence.

La Cour d’appel de Montpellier avait évalué la réparation à une somme inférieure à la borne légale, en dépit d’une ancienneté supérieure à deux ans et d’un effectif dépassant le seuil. Le raisonnement ignorait la contrainte normative du plancher et substituait à l’exigence légale une appréciation déconnectée de la combinaison des articles applicables, ce qui justifiait l’intervention du juge de cassation.

B. La portée de la cassation partielle sur le quantum

La Cour de cassation a opéré une cassation ciblée, sans remettre en cause l’absence de cause réelle et sérieuse retenue en 2022. Le contrôle s’est limité à la correcte application du plancher légal, avec un rappel sans ambiguïté du principe. Le motif, reproduit en ces termes, constitue la clef directrice de l’office du juge de renvoi : « Il résulte de la combinaison de ces articles… », puis « En statuant ainsi… la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cette censure n’épuise pas la question de l’évaluation au-delà du minimum. Elle impose seulement un seuil, laissant intact le pouvoir souverain d’apprécier le quantum supérieur selon les pièces produites et le préjudice démontré. Le renvoi devait donc à la fois enclore l’évaluation dans le cadre légal et mesurer la réparation au regard des réalités indemnitaires de l’espèce.

II. L’évaluation concrète du préjudice par la juridiction de renvoi

A. Les critères factuels retenus pour dépasser le plancher

La Cour d’appel de Nîmes a statué dans le périmètre circonscrit par la cassation, retenant que le salarié, né en 1977, percevait 1 775,29 euros bruts par mois et justifiait d’une ancienneté de trois ans et neuf mois dans une entreprise occupant au moins onze salariés. Elle a pris en considération les périodes d’inscription auprès de l’organisme public chargé de l’indemnisation du chômage, la création d’une activité indépendante deux ans après le licenciement, la faiblesse récurrente des revenus nouvellement générés et les difficultés sociales subséquentes, notamment d’accès au logement.

La motivation, sobre, culmine en une formule caractéristique de l’office d’évaluation, que l’arrêt reproduit ainsi : « Au regard des éléments versés il convient de fixer à la somme de 15.000,00 euros l’indemnisation revenant à [le salarié] ». En ordonnant une indemnité d’environ huit mois et demi de salaire, la juridiction de renvoi dépasse le minimum légal et reflète un préjudice durable, sans s’aligner sur la demande de vingt-quatre mois présentée par le salarié.

Cette solution respecte l’économie du droit applicable avant l’ordonnance du 22 septembre 2017, qui ne plafonnait pas l’indemnité, tout en exigeant une appréciation concrète du dommage. Le quantum retenu s’inscrit dans une gradation raisonnable entre le plancher et le montant maximal allégué par le demandeur, au vu des éléments probatoires effectivement versés.

B. Valeur et portée de la solution retenue au regard du droit positif

L’arrêt de renvoi illustre une articulation équilibrée entre la contrainte du plancher légal et le pouvoir souverain d’apprécier le préjudice. En s’écartant de la borne de six mois sans adopter une réparation automatique en multiples de mois d’ancien salaire, la cour réaffirme que l’indemnité doit compenser un dommage objectivé par pièces, et non sanctionner abstraitement l’irrégularité substantielle du licenciement.

La motivation demeure concise, mais elle s’adosse à des critères pertinents pour l’époque du fait générateur: âge, ancienneté, effectif, parcours de reclassement, perte de revenus, difficultés sociales. Dans ce cadre, l’exigence de motivation issue de l’article 455 du code de procédure civile n’impose pas une grille chiffrée détaillée, dès lors que la cour identifie les éléments de fait déterminants et manifeste un examen circonstancié du dossier.

La portée de l’arrêt est double. D’une part, il confirme l’applicabilité stricte du plancher légal antérieur pour les licenciements intervenus avant l’entrée en vigueur du nouveau barème issu de l’ordonnance du 22 septembre 2017. D’autre part, il rappelle que la quantification au-delà du minimum ne relève pas d’une automatique capitalisation en mois, mais d’une appréciation contextualisée, susceptible de conduire à un montant intermédiaire lorsque le salarié justifie un préjudice réel, suivi, mais non irréversible.

Enfin, le choix d’un quantum supérieur à six mois, fondé sur des données financières postérieures et des difficultés corrélées au licenciement, s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle prudente qui privilégie la réparation adéquate plutôt que la représentation symbolique. Ce faisant, la cour de renvoi applique la règle rappelée en ces termes par la haute juridiction et referme le contentieux en rendant à la réparation sa mesure légale et sa proportion au dommage.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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