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Rendue par la Cour d’appel de Nîmes, 5e chambre sociale, le 9 septembre 2025, la décision tranche un contentieux nourri relatif à la requalification d’une succession de contrats à durée déterminée, à l’application de la durée minimale du temps partiel, à la classification conventionnelle et aux effets de la rupture. Le litige oppose un salarié de l’antenne locale à son employeur, au terme d’une collaboration discontinue mais ininterrompue par plus de cinq cents contrats sur dix-neuf années.
Les faits tiennent à l’occupation constante de fonctions identiques de personnel d’antenne au sein d’une station locale, sous couvert de motifs de remplacement ou d’accroissement ponctuel. Le dernier contrat a pris fin le 20 août 2021. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 4 mai 2022. En première instance, la juridiction a reconnu un rappel lié à la classification, mais a rejeté la requalification et ses conséquences. Les deux parties ont interjeté appel.
En cause d’appel, le salarié a sollicité la requalification en contrat à durée indéterminée, l’application de la durée minimale de vingt-quatre heures pour le temps partiel, la reclassification et, principalement, la réintégration, subsidiairement la réparation d’un licenciement sans cause. L’employeur a soutenu la régularité formelle et matérielle des contrats, la prescription partielle, l’existence de remplacements réels et la disponibilité restreinte du salarié.
La question centrale portait sur le point de départ de la prescription de l’action en requalification fondée sur le motif du recours, sur la caractérisation d’un besoin structurel excluant le recours répétitif au CDD de remplacement, et sur les conséquences de la requalification quant à la durée minimale du temps partiel, à la classification et à la qualification de la rupture. La cour retient la requalification, écarte la prescription, applique la durée minimale de travail, confirme le rappel de salaire lié à la classification et qualifie la rupture de licenciement sans cause, tout en refusant la réintégration et en fixant les indemnités dans le barème légal.
I. Prescription et contrôle du motif de recours
A. Point de départ en cas de successions discontinues
La cour se prononce en droit positif sur le délai de l’action en requalification fondée sur la réalité du motif. Elle rappelle d’abord la règle directrice issue de la construction jurisprudentielle relative aux séries de contrats séparés par des périodes intercalaires. Elle énonce que « Il est acquis que la requalification en CDI pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription, en sorte qu’en cas de succession de contrats à durée déterminée séparés par des périodes intercalaires, il n’y a pas lieu d’appliquer la prescription contrat par contrat ; le délai de prescription court à compter du terme du dernier contrat, pour l’ensemble de la relation de travail. »
Cette formulation, claire et complète, situe le régime de prescription au niveau de la relation de travail considérée globalement. La solution, appliquée à une succession très longue de contrats, neutralise les effets des périodes d’inactivité et sécurise la lisibilité de l’action au regard de l’article L. 1471-1 du code du travail. Le choix du dernier terme comme point de départ s’explique par la nature même du grief, dirigé contre le motif répété de recours, dont l’appréciation est cumulative.
La conséquence en l’espèce découle sans hésitation : saisine dans les deux ans suivant le terme du dernier contrat, action recevable. Cette clarification écarte toute prescription contrat par contrat et met fin aux objections tirées d’une découverte tardive du droit à agir.
B. Besoin structurel et usage des CDD de remplacement
Sur le fond, la cour apprécie concrètement l’objet du recours au CDD, au regard des fonctions réellement exercées et de leur permanence. Elle pose un principe sans ambiguïté : « L’employeur ne peut recourir de façon systématique aux contrats à durée déterminée de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main-d’oeuvre. » L’examen factuel révèle l’occupation identique des mêmes fonctions sur près de deux décennies, sous couvert de motifs de remplacement, révélant un besoin durable lié à l’activité normale.
De cette permanence fonctionnelle, la cour tire la conséquence normative attendue : « Il convient dans ces conditions de faire droit à la demande de requalification de la relation contractuelle à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et d’infirmer le jugement entrepris en ce sens. » La requalification déclenche un changement de cadre, en particulier pour la durée minimale du temps partiel, les exceptions attachées au CDD de remplacement devenant inopérantes.
La cour constate l’insuffisante amplitude horaire par une formule de preuve concise et décisive : « Il résulte des pièces produites que le temps de travail total atteignait rarement 104h par mois (soit 24h hebdomadaires). » En l’absence de demande écrite et motivée de dérogation, elle alloue le rappel correspondant à la durée minimale légale. La combinaison entre l’abus du CDD de remplacement et la protection du seuil minimal pour le temps partiel fournit ici un socle cohérent de protection du salarié.
II. Effets et appréciation de la solution
A. Classification conventionnelle et rappel salarial
La cour interprète l’accord d’entreprise applicable en rappelant la structuration par degrés et niveaux, l’existence d’une rémunération individuelle minimale de référence et une prime d’ancienneté distincte. Elle contrôle la progression du salarié au regard d’une ancienneté proche de vingt ans et retient la classification degré 2, niveau 5 à compter de mars 2020, confirmant le rappel alloué en première instance.
La motivation refuse d’intégrer au salaire de base les primes accessoires utilisées par l’employeur pour soutenir l’atteinte du minimum. Cette position s’explique par la nature du minimum conventionnel, défini autour de la rémunération individuelle minimale, et par la finalité distincte de la prime d’ancienneté. L’économie de l’accord plaide pour une comparaison opérée sur les éléments de base, sans absorption par des primes spécifiques. La solution, praticable et lisible, favorise la transparence des minima et la clarté des bulletins.
L’apport réside dans la combinaison des trois étages protecteurs. D’abord, la requalification ferme l’exception de motif. Ensuite, la durée minimale du temps partiel joue pleinement. Enfin, la classification conventionnelle, replacée à son niveau attendu, rétablit l’assiette du salaire. L’ensemble produit une réparation cumulative sans confusion des fondements.
B. Rupture sans cause, barème et portée pratique
À la suite de la requalification, l’absence de procédure de licenciement entraîne la qualification légale de la rupture : « La rupture de la relation contractuelle doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. » La cour applique alors l’article L. 1235-3, retient une rémunération moyenne mensuelle de référence et fixe une indemnité dans la fourchette légale, tenant compte d’une ancienneté de dix-neuf années et de l’insuffisante démonstration d’un préjudice plus étendu. Le montant retenu, associé aux indemnités de préavis et de licenciement, assure une réparation mesurée mais effective.
Sur les accessoires, la prime de fin d’année conventionnelle écarte la revendication d’un treizième mois distinct, la cour constatant son versement prorata temporis au fil des mois. Le refus de réintégration, exprimé par l’employeur, oriente logiquement vers l’indemnisation, ce qui est conforme à l’office de la juridiction prud’homale en cas d’opposition à la poursuite du contrat.
La valeur de l’arrêt tient à la fermeté de la qualification du besoin structurel, adossée à des indices massifs et constants. La portée pratique est nette pour les secteurs habitués aux remplacements en chaîne : la répétition prolongée sur des fonctions stables emporte requalification, sans que des périodes intercalaires n’en atténuent la prescription. La décision rappelle aux employeurs que la durée minimale du temps partiel impose, hors dérogation écrite du salarié, une vigilance accrue de planification. Elle confirme enfin une lecture rigoureuse des minima conventionnels, utile à la sécurité juridique des rémunérations et à l’objectivation des rappels.