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Par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 9 septembre 2025, confirmant pour l’essentiel un jugement du conseil de prud’hommes d’Aubenas du 15 janvier 2024, un licenciement disciplinaire pour faute grave a été déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse. Un salarié, engagé en 2011 puis confirmé en 2012 en contrat à durée indéterminée, avait reçu deux avertissements en 2020 et 2021. Il avait ensuite été licencié en novembre 2021, l’employeur invoquant un refus de travailler et un comportement inadéquat envers une collègue.
En première instance, les juges avaient annulé la sanction et alloué des indemnités de rupture, ainsi que des dommages-intérêts. L’employeur a interjeté appel en soutenant la réalité des fautes graves. Le salarié a présenté un appel incident visant une majoration de l’indemnisation. La cour retient l’insuffisance des preuves et rejette les qualifications proposées, tout en réévaluant l’indemnité au titre de l’article L.1235-3. La question posée tenait à la charge, à la précision et à la temporalité de la preuve de la faute grave, ainsi qu’à la qualification d’agissements de harcèlement moral au regard d’éléments non circonstanciés. La solution repose sur une appréciation stricte des exigences probatoires et des bornes temporelles, puis sur l’examen concret des comportements allégués.
I – L’exigence probatoire et temporelle de la faute grave
A – La nécessité de faits précis, datés et étayés
La cour rappelle le cadre de qualification: “La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.” Le standard probatoire s’applique pleinement lorsque les griefs se heurtent à des témoignages généraux, non datés, et dépourvus d’exemples concrets.
Les juges du fond relèvent des attestations formulées en termes généraux, qui ne situent ni périodes ni faits précis, et l’absence de pièces objectives corroborant une baisse d’activité ou des manquements quantifiables. Ils en déduisent l’insuffisance des éléments pour établir un refus de travailler, ce que marque la formule: “Il se déduit des éléments qui précèdent que ce grief n’est pas établi.” L’exigence de datation et de contextualisation pèse d’autant plus que l’allégation vise une faute d’une gravité telle qu’elle rendrait impossible toute poursuite du contrat.
Cette rigueur se rattache, plus largement, à l’obligation d’une caractérisation circonstanciée du manquement. La cour souligne aussi l’outil d’appréciation: “La gravité du manquement retenu est appréciée au regard du contexte, de la nature et du caractère éventuellement répété des agissements, des fonctions exercées par le salarié dans l’entreprise, un niveau de responsabilité important étant le plus souvent un facteur aggravant, de son ancienneté, d’éventuels manquements antérieurs et des conséquences de ces agissements en résultant pour l’employeur.” Or, faute d’indices concrets et datés, l’appréciation du contexte demeure purement abstraite.
B – Le délai restreint de réaction et la prescription disciplinaire
La chronologie des faits impose une vigilance particulière. La cour rappelle la double temporalité: la promptitude de la rupture, et la prescription des poursuites. D’une part, “La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.” D’autre part, le mécanisme de l’article L.1332-4 circonscrit la prise en compte des faits anciens, sauf persistance du comportement dans la période non prescrite.
En l’espèce, les éléments concrets contemporains de la rupture font défaut, tandis que plusieurs événements précis renvoient à une période antérieure et potentiellement prescrite. La lettre de licenciement, qui évoque une situation “depuis plus de deux ans”, ne s’accompagne pas d’actes précis, actuels et datés justifiant l’engagement de la procédure dans le délai utile. Cette carence probatoire emporte conséquence: “Il résulte des éléments qui précèdent que ce grief n’est pas établi.” L’exigence temporelle redouble l’exigence de précision, ce qui conduit à invalider la qualification disciplinaire.
II – La qualification des comportements allégués et sa portée
A – Le refus d’une qualification de harcèlement moral en l’absence d’indices objectifs
La rupture avait été motivée, notamment, par des agissements visant une collègue et par un climat relationnel conflictuel. La cour s’oppose à une assimilation hâtive au harcèlement moral, en soulignant la disproportion des termes au regard des preuves fournies: “‘harcèlement moral’ et ‘violence psychologique’ apparaissent manifestement disproportionnés, alors qu’aucun élément ne vient étayer de telles affirmations.” L’absence de certificats médicaux, de plaintes, de mains courantes ou d’éléments médicaux contemporains du licenciement fragilise l’allégation d’une dégradation avérée des conditions de travail.
Cette exigence d’objectivation est explicitée: “C’est de façon légitime que le conseil de prud’hommes s’est interrogé sur l’absence de production par l’employeur d’un certificat médical, d’une plainte ou du dépôt d’une main courante…” Les témoignages évoquant une communication difficile ou un “mutisme” ponctuel ne suffisent pas, en soi, à caractériser l’un des éléments constitutifs, répétés et causaux, du harcèlement moral. La preuve doit isoler des faits identifiables, répétés dans la période utile, et causalement reliés à une dégradation concrète des conditions de travail.
La même rigueur gouverne l’autre branche des griefs. La cour retient, au sujet du refus de travail, l’insuffisance des éléments adverses: “Rien dans les éléments versés aux débats par l’employeur ne caractérise le refus de travailler.” Ainsi, ni la qualification de harcèlement, ni la qualification de manquement disciplinaire grave ne franchissent le seuil probatoire requis.
B – Les conséquences pratiques sur la sanction et l’indemnisation
La défaillance probatoire emporte la solution de droit. La cour conclut sans ambiguïté: “Le licenciement pour faute grave prononcé par le 10 novembre 2021 est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.” Il s’ensuit le versement des indemnités de rupture non contestées et l’octroi d’une indemnité réparant la perte injustifiée d’emploi selon le barème légal.
Sur le quantum, la cour applique l’article L.1235-3, en tenant compte de l’ancienneté complète de dix ans, du montant du salaire de référence et de l’effectif, pour fixer l’indemnité à 9 000 euros. Elle confirme les accessoires classiques, préavis et congés afférents, ainsi que l’indemnité légale de licenciement. Elle rejette, enfin, la demande de dommages-intérêts distincts pour préjudice moral, faute de preuve d’un dommage autonome par rapport à celui inhérent à la rupture sans cause.
L’arrêt comporte ainsi un double enseignement. D’une part, il réaffirme que la faute grave exige des faits précis, datés et récents, objectivement établis, la prescription disciplinaire et l’exigence de réaction rapide étant strictement contrôlées. D’autre part, il encadre la qualification de harcèlement moral par la nécessité d’indices concordants et contemporains, excluant qu’un différend relationnel ou un retrait de communication suffise, à lui seul, à fonder une sanction extrême.