Cour d’appel de Nîmes, le 9 septembre 2025, n°24/00618

La cour d’appel de Nîmes, 9 septembre 2025, statue sur les effets de la convention collective nationale de la production agricole et CUMA entrée en vigueur le 1er avril 2021, sur la consultation du CSE, et sur la détermination de la qualification et du coefficient applicables à un salarié. L’arrêt tranche aussi des demandes indemnitaires fondées sur l’obligation de formation et la discrimination syndicale.

Le salarié, embauché en 1992, a connu une évolution vers des fonctions de technicien, mentionnées sur ses bulletins. À compter du 1er avril 2021, l’employeur a appliqué la nouvelle classification et a positionné l’intéressé en ouvrier qualifié palier 5, coefficient 47. Par requête du 18 février 2022, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir la reconnaissance de technicien palier 7, coefficient 74, avec effets salariaux au 1er avril 2021, ainsi que des dommages et intérêts distincts. Le conseil de prud’hommes de Nîmes, le 30 janvier 2024, l’a débouté. Sur appel, la cour d’appel confirme pour l’essentiel, mais ordonne que, dès lors que l’employeur a rétabli la mention de technicien à compter du 1er avril 2022, les bulletins portent le palier 7 coefficient 74 à partir de cette date, et alloue une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La question principale porte sur l’étendue et le moment de la consultation du CSE lors d’un changement de classification obligatoire, et sur l’autorité attachée à la qualification reconnue par l’employeur au regard de la grille conventionnelle. Des questions accessoires concernent l’adaptation aux évolutions de l’emploi et la preuve d’une discrimination.

I. Le sens de la décision

A) Le contrôle de la consultation du CSE

La cour rappelle le principe selon lequel la refonte des classifications, lorsqu’elle affecte la structure des effectifs, appelle information et consultation du CSE. Elle cite en ce sens que « La mise en place d’une nouvelle classification professionnelle rendue obligatoire à la suite de l’extension d’une convention collective de branche doit être précédée de l’information et de la consultation du comité dès lors qu’elle a un retentissement sur la structure des effectifs (Cass. soc., 21 nov. 2012, n° 11-10.625). » Le débat se concentre alors sur la réalité et le calendrier des échanges sociaux.

Les éléments versés établissent des travaux de commissions, la présentation d’une grille et l’absence de volonté de blocage. L’arrêt relève notamment le procès-verbal dans lequel « Le CSE confirme ne pas avoir de volonté de blocage. » Sur cette base, la cour retient que « Ainsi et contrairement à ce que soutient le salarié, le CSE a été consulté suite aux travaux des commissions et n’a formulé aucune remarque lors de la réunion du 25 novembre 2022 et il a ensuite refusé de donner un avis sur la grille de classification qui lui avait été communiquée. » La temporalité, quoique tardive au regard de l’entrée en vigueur, n’est pas jugée constitutive d’un délit d’entrave. L’arrêt affirme en effet que « Enfin, le fait que les travaux aient débuté après l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective ne saurait constituer un délit d’entrave, pas plus qu’une exécution déloyale du contrat de travail. » Le raisonnement articule donc l’exigence de consultation avec l’effectivité des échanges et l’absence d’obstacle dans le processus.

B) La qualification reconnue et l’effet d’un surclassement

La cour rappelle la règle probatoire gouvernant les revendications de classification. Elle énonce que « Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique. » Elle précise que seules les fonctions principales déterminent la qualification.

Surtout, la décision mobilise la jurisprudence selon laquelle l’employeur peut, par sa volonté, reconnaître une qualification qui s’impose ensuite. Elle cite ainsi l’arrêt de principe : « l’employeur ayant fait mention de la qualification de professeur dans tous les bulletins de paie établis depuis 1979 et dans différentes correspondances, il en résultait qu’il avait manifesté sa volonté de reconnaître au salarié cette qualification (Cass. soc., 12 janv. 2010, n° 08-42.835). » Transposée au litige, cette solution commande qu’une mention claire et réitérée de « technicien » oblige à appliquer les attributs conventionnels du statut.

La cour constate un rétablissement de la mention de technicien à compter du 1er avril 2022. Elle en déduit que, dans la nouvelle convention, le statut de technicien étant attaché au coefficient 74, l’employeur doit établir des bulletins rectifiés au palier 7 coefficient 74 à compter de cette date. Pour la période antérieure, l’intéressé ne rapportant pas la preuve de tâches relevant de la classification revendiquée, la demande est rejetée. Le raisonnement dissocie ainsi la période où prévaut la preuve des fonctions et celle où la volonté de l’employeur produit ses effets propres.

II. Valeur et portée de la solution

A) Une lecture pragmatique du formalisme consultatif

La solution sur le CSE s’inscrit dans le cadre de l’exigence rappelée par la cour. L’arrêt prend soin d’exposer le principe, puis de juger au vu des pièces que l’information et la consultation ont eu lieu, malgré un calendrier décalé. Cette appréciation mérite discussion. Le texte vise une consultation préalable lorsque la classification affecte la structure des effectifs. La cour admet que le processus s’est structuré après l’entrée en vigueur, mais elle valorise les travaux de commissions, le débat sur les fiches, et l’absence de blocage.

Ce pragmatisme tient compte des contraintes d’un déploiement conventionnel large. Il présente toutefois un risque d’affaiblissement du caractère préventif de la consultation, pourtant conçu pour éclairer la décision avant sa mise en œuvre. L’arrêt paraît équilibrer ce risque par l’exigence d’une concertation réelle et documentée. La phrase selon laquelle « Le CSE confirme ne pas avoir de volonté de blocage » illustre cet ancrage factuel. La portée normative est une incitation à structurer, même tardivement, des échanges substantiels, sous réserve que l’économie des effectifs n’ait pas été irréversiblement arrêtée sans discussion.

B) L’autorité attachée aux qualifications affichées et ses conséquences

La réaffirmation de l’autorité de la qualification reconnue par l’employeur s’inscrit dans une ligne constante. La citation « l’employeur ayant fait mention de la qualification de professeur […] il en résultait qu’il avait manifesté sa volonté de reconnaître au salarié cette qualification » est transposée avec netteté au champ des grilles nouvelles. La cour en tire un corollaire précis: l’étiquette « technicien » oblige, dans la convention applicable, à positionner au coefficient qui confère ce statut, ici le 74, et au palier 7 qui lui correspond.

La solution protège la sécurité juridique des salariés face aux incohérences entre intitulés, bulletins et grilles. Elle prévient des situations où l’employeur afficherait un statut sans en accorder les attributs conventionnels essentiels. Elle est toutefois encadrée. D’une part, à défaut de mention non équivoque, la preuve de fonctions principales demeure indispensable. D’autre part, l’effet du surclassement joue à compter de la manifestation de volonté, non rétroactivement en l’absence d’élément probant. L’arrêt opère cette ligne de crête en admettant l’ajustement au 1er avril 2022, tout en confirmant le rejet pour la période antérieure.

Sur l’obligation de formation, la motivation souligne l’exigence de preuve du préjudice ou de l’insuffisance des actions au regard du poste. La cour relève en ce sens que « La cour relève que le salarié ne précise pas en quoi ces formations auraient été insuffisantes pour maintenir ses compétences à exercer son emploi. » Cette approche confirme que l’article L. 6321-1 impose une dynamique d’adaptation, mais que la sanction indemnitaire suppose la démonstration d’un manquement effectif et dommageable, apprécié au regard des formations reçues et des évolutions du poste.

Enfin, l’examen de la discrimination syndicale est conduit selon le régime probatoire aménagé. À défaut d’éléments laissant supposer une mesure discriminatoire, l’allégation fondée sur un déclassement non retenu ne prospère pas. Le cadre reste celui de l’article L. 1134-1, avec un contrôle serré des faits présentés et des justifications objectives alléguées, ce que confirme le rejet motivé des prétentions principales.

L’arrêt articule ainsi trois exigences: une consultation effective, une classification conforme soit aux fonctions prouvées, soit à la volonté claire de l’employeur, et une vigilance mesurée sur les obligations de formation et de non-discrimination. Par cette construction, il offre un guide opérationnel pour l’application des nouvelles grilles, en conjuguant sécurité normative et pragmatisme procédural.

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Hassan KOHEN
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