Cour d’appel de Nîmes, le 9 septembre 2025, n°24/00680

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 9 septembre 2025, la formation prud’homale de la chambre sociale règle un différend portant sur la transposition d’une nouvelle classification conventionnelle et ses effets sur la qualification d’un salarié. L’entreprise avait appliqué, à compter du 1er avril 2021, la convention collective nationale de la production agricole et CUMA, reclassant l’intéressé ouvrier qualifié, palier 5, coefficient 47, alors qu’il se prévalait d’un statut antérieur de technicien. Saisi, le conseil de prud’hommes de Nîmes a rejeté l’ensemble des demandes.

Le salarié a interjeté appel. Il sollicitait la reclassification en technicien palier 7, coefficient 74, dès le 1er avril 2021, l’indemnisation d’une prétendue exécution déloyale et la reconnaissance de manquements aux obligations de formation et d’entretiens professionnels. L’employeur invoquait la consultation du CSE, la régularisation de la qualification de technicien avec effet rétroactif au 1er avril 2022, et la tenue d’actions de formation et d’entretiens.

La question posée tenait, d’une part, à l’étendue de l’obligation d’information et de consultation du CSE lors de l’entrée en vigueur d’une classification de branche et, d’autre part, au fondement du droit à reclassification, soit par les fonctions réellement exercées, soit par l’effet de la volonté claire de l’employeur révélée par les bulletins de paie. La Cour confirme en grande partie le jugement, sauf à enjoindre l’établissement de bulletins rectificatifs mentionnant le palier 7 coefficient 74 à compter du 1er avril 2022, sans astreinte, et alloue une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

I. Le contrôle juridictionnel de la mise en place de la classification et de la qualification

A. L’exigence d’information et de consultation du CSE

La Cour rappelle le principe gouvernant l’introduction d’une nouvelle classification issue d’une convention étendue, en citant que: « La mise en place d’une nouvelle classification professionnelle rendue obligatoire à la suite de l’extension d’une convention collective de branche doit être précédée de l’information et de la consultation du comité dès lors qu’elle a un retentissement sur la structure des effectifs. » La solution s’inscrit dans la ligne classique du contrôle de l’incidence collective des modifications affectant l’organisation du travail.

Elle apprécie in concreto la démarche menée. Les procès-verbaux et éléments produits établissent la tenue de travaux en commissions et la présentation de la grille, le CSE n’ayant pas émis d’avis à l’issue de la réunion dédiée. La Cour précise, dans une formule nette, que « Enfin, le fait que les travaux aient débuté après l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective ne saurait constituer un délit d’entrave, pas plus qu’une exécution déloyale du contrat de travail. » Le raisonnement écarte la qualification d’entrave et confirme, en l’absence de grief établi, l’absence de faute dans la conduite du processus consultatif.

La portée de ce contrôle est classique. L’exigence d’une consultation effective n’implique pas la paralysie du processus en cas d’absence d’avis, dès lors que l’information a été délivrée et que la concertation a eu lieu. Il s’agit d’un contrôle de suffisance, centré sur la matérialité des échanges et la possibilité pour les représentants d’apprécier les effets sur les effectifs.

B. La charge de la preuve et la détermination de la qualification

S’agissant du fond, la Cour réaffirme la règle probatoire gouvernant les demandes de requalification. Elle indique que « Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique. » Elle ajoute à juste titre que « Les fonctions réellement exercées, qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d’un salarié, sont celles qui correspondent à son activité principale, et non celles qui sont exercées à titre accessoire ou occasionnel. »

Appliquant ces principes, la Cour observe l’insuffisance des éléments antérieurs au 1er avril 2022 pour remettre en cause la correspondance entre les tâches exercées et la grille conventionnelle. Elle confirme, pour la période du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, la solution de première instance. La rigueur probatoire exigée évite que le changement de nomenclature serve d’alibi à une promotion implicite non justifiée par les responsabilités effectives.

Ce premier ensemble posé, la Cour déplace ensuite l’angle d’analyse vers les effets d’une volonté claire de l’employeur quant à la qualification, telle que révélée par les bulletins de paie.

II. La portée de la volonté de l’employeur et l’appréciation des obligations de développement des compétences

A. La reconnaissance salariale du statut de technicien et ses conséquences

La Cour se réfère à une solution bien établie, selon laquelle l’employeur peut, par une manifestation non équivoque, reconnaître une qualification qui s’impose ensuite. Elle cite, à l’appui, que « l’employeur ayant fait mention de la qualification de professeur dans tous les bulletins de paie établis depuis 1979 et dans différentes correspondances, il en résultait qu’il avait manifesté sa volonté de reconnaître au salarié cette qualification » (Cass. soc., 12 janv. 2010, n° 08-42.835). Elle en déduit qu’un surclassement par volonté concordante demeure possible en dehors des stricts critères de classification.

La Cour précise alors la conséquence normative, en retenant l’incidence de la mention de « technicien » sur les bulletins à compter du 1er avril 2022. Elle énonce que « Il convient dans ces circonstances d’enjoindre à l’employeur de faire figurer sur des bulletins de salaire rectificatifs à compter du 1er avril 2022 le palier 7 coefficient 74 correspondant au statut de technicien, sans qu’il y ait lieu à astreinte. » L’articulation est nette: la qualification reconnue appelle l’ensemble des avantages attachés par la convention collective, indépendamment de la discussion sur les critères objectifs.

La formulation met toutefois une borne temporelle. La Cour refuse d’étendre la reclassification avant la date de cette manifestation, au regard de l’absence de preuve de fonctions caractéristiques sur la période antérieure. La cohérence d’ensemble se lit dans l’autre motif selon lequel « De plus, la reconnaissance du statut de technicien intervient suite à une manifestation claire et non équivoque de l’employeur de sorte qu’aucune exécution déloyale du contrat de travail ne peut être retenue. » La demande indemnitaire fondée sur un déclassement allégué se trouve ainsi privée de cause.

B. L’obligation de formation et d’entretien professionnel: contrôle de suffisance

Au titre de l’adaptation et du maintien de l’employabilité, la Cour rappelle la logique du code du travail et l’économie des entretiens professionnels. Elle résume la charge qui pèse sur l’employeur, en retenant que « En application de ces textes, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a assuré l’adaptation du salarié à son poste de travail et qu’il a veillé au maintien de sa capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il ne peut s’exonérer de ces obligations au motif que le salarié n’a effectué aucune demande de formation. »

L’examen des pièces produit un faisceau d’actions ciblées et d’entretiens, dont un état des lieux sexennal, régulièrement consigné. La Cour souligne l’absence de critique opératoire sur l’adéquation des formations suivies, mentionnant que « La cour relève que le salarié ne précise pas en quoi ces formations auraient été insuffisantes pour maintenir ses compétences à exercer son emploi. » Elle en conclut logiquement que « Sa demande indemnitaire n’est pas fondée et le jugement déféré qui l’a rejetée sera confirmé. »

La méthode employée demeure constante: contrôle du respect des obligations légales et conventionnelles, appréciation concrète de l’effort de formation et exigence d’un préjudice caractérisé. Elle consacre une approche de compliance raisonnable, en refusant de convertir des revendications générales en responsabilité sans preuve d’une carence précise ni d’un manque d’adaptation avéré.

L’arrêt présente ainsi un double enseignement. Sur le terrain collectif, il consolide l’exigence d’un échange réel avec les représentants, sans ériger en faute l’entame des travaux après l’entrée en vigueur de la convention. Sur le terrain individuel, il affirme la force de la volonté employeur lorsqu’elle confère une qualification sur les bulletins, tout en bornant ses effets dans le temps et en maintenant une rigueur probatoire sur la période antérieure. L’accessoire indemnitaire est traité avec sobriété, la Cour accordant les frais irrépétibles et confirmant le rejet des autres demandes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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