Cour d’appel de Nouméa, le 11 septembre 2025, n°24/00061

Par un arrêt de la Cour d’appel de Nouméa, chambre commerciale, du 11 septembre 2025, la juridiction d’appel tranche la validité d’une clause de résiliation anticipée stipulée dans une convention de tacheronnage à durée déterminée conclue entre professionnels. La question porte sur la possibilité de mettre fin « à tout moment » au contrat moyennant préavis, sans cause déterminée, et sur l’éventuelle atteinte portée au consentement.

Les faits tiennent à un contrat conclu le 7 juin 2019 pour cinq ans, portant sur des prestations de roulage et terrassement. Par lettre du 6 février 2023, reçue le 7, il a été notifié la rupture avec préavis d’un mois, en ces termes: « Conformément à l’article 2 du contrat sus référencé, je vous informe que nous mettons fin au contrat qui nous lie. La durée de préavis étant d’un (1) mois, aussi la résiliation de ce contrat sera effective le 06 mars 2023. » L’ancien cocontractant a contesté la régularité de cette rupture.

Saisi le 17 janvier 2024, le tribunal mixte de commerce de Nouméa, par jugement du 18 octobre 2024, a rejeté la demande indemnitaire en validant la clause de résiliation unilatérale assortie d’un préavis mensuel. L’appelant a sollicité l’infirmation, l’indemnisation de son préjudice économique et moral, ainsi qu’une allocation au titre des frais irrépétibles. L’intimée n’a pas constitué avocat et n’a pas conclu.

La clause litigieuse figure à l’article 2 de la convention, qui énonce notamment: « Il pourra y être mis fin à tout moment, par chacune des parties, au moyen d’un préavis donné à l’autre partie au moins un mois à l’avance, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec avis de réception ou encore par lettre simple remise contre récépissé. » La question de droit tient à la validité d’une telle stipulation, dans un contrat à terme, au regard de l’exigence éventuelle d’une cause déterminée et des vices du consentement.

La cour confirme le jugement, retenant l’absence de texte imposant une motivation de la rupture entre professionnels, la réciprocité de la faculté de résiliation et l’absence de démonstration d’une violence au sens des articles 1109 ou 1112 du code civil. Elle conclut ainsi: « Il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que les premiers juges ont validé la clause de résiliation et ont tenu la résiliation litigieuse pour régulière. »

I. Le sens de la décision

A. La qualification et l’économie de la stipulation de résiliation anticipée

La juridiction d’appel qualifie la stipulation comme une clause de résiliation unilatérale insérée dans un contrat à durée déterminée. Elle constate son caractère général et réciproque, l’ouvrant « à tout moment » sous réserve d’un préavis d’un mois. Le contrat prévoyait parallèlement une clause résolutoire en cas d’inexécution après mise en demeure, ce qui distingue la résiliation discrétionnaire de la résolution pour faute. La rédaction, claire et détaillée quant aux modalités formelles, atteste d’une volonté d’organiser la sortie anticipée sans exiger de motifs.

Le cœur du raisonnement tient à l’articulation entre le terme convenu et la liberté contractuelle d’y déroger par stipulation expresse. L’arrêt refuse d’introduire une exigence de cause prédéterminée là où le texte n’en prévoit pas, spécialement dans des rapports entre professionnels. La portée de la clause est donc reconnue, parce que la rupture est encadrée par un préavis raisonnable et parce qu’elle profite à chacune des parties à droit égal, ce qui limite le risque d’arbitraire.

B. Les critères de validité retenus: liberté contractuelle, réciprocité et absence de vice

La cour rappelle d’abord que le demandeur ne précise aucun fondement légal imposant un motif préalable pour la validité d’une clause de résiliation libre dans un contrat de services entre professionnels. Cette absence de base normative conduit à privilégier la liberté contractuelle, sous réserve de la bonne foi et des règles spéciales inapplicables en l’espèce. L’arrêt vérifie ensuite la symétrie de la stipulation, élément décisif pour écarter l’allégation d’un déséquilibre structurel et apprécier la proportionnalité du mécanisme.

Enfin, la cour examine l’argument tiré de la contrainte, et écarte la violence faute de preuve d’une pression déterminante telle qu’exigée par les articles 1109 ou 1112 du code civil. Le rappel de la faculté réciproque de rompre avec un préavis d’un mois, combiné à l’absence de texte contraire, conduit à tenir la clause pour licite. Cette grille d’analyse, à la fois normative et factuelle, explique la confirmation intégrale de la décision de première instance et prépare l’examen de sa valeur et de sa portée.

II. Valeur et portée de la solution

A. Appréciation de la liberté de rompre un contrat à terme entre professionnels

La solution affirme avec netteté la force de la liberté contractuelle dans les contrats de prestations de services conclus entre professionnels. La présence d’un terme n’interdit pas, par principe, la stipulation d’une faculté de résiliation anticipée, pourvu que la clause soit claire, réciproque et tempérée par un préavis. Cette ligne paraît conforme au droit positif, qui n’impose pas de cause déterminée à la rupture contractuelle lorsque la convention l’autorise expressément et organise ses modalités.

L’équilibre tient ici au préavis d’un mois, qui ménage le temps d’ajustement économique et réduit l’aléa sur l’amortissement des investissements. La bonne foi demeure cependant un garde-fou utile contre les ruptures brusques ou instrumentales, y compris lorsque la clause est licite. L’arrêt n’en méconnaît pas la portée, puisqu’il vérifie le contexte et l’absence de vice, sans ériger de motifs généraux en conditions de validité non prévues.

B. Conséquences pratiques et enseignements pour la rédaction contractuelle

L’arrêt incite à soigner la rédaction des clauses de résiliation dans les contrats à durée déterminée, en précisant les formes, le délai de préavis et la réciprocité. Une clause symétrique, opérationnelle et formalisée, bénéficie d’une forte présomption de validité lorsque aucun texte spécial n’y fait obstacle. Les parties peuvent, si elles le souhaitent, assortir la résiliation libre d’une indemnité forfaitaire, afin d’anticiper les coûts irrécupérables et sécuriser l’économie de la convention.

La décision rappelle aussi l’exigence probatoire en matière de vices du consentement, qui ne saurait se confondre avec une simple asymétrie économique. À défaut de démonstration précise, la clause conserve sa force obligatoire, et la rupture opérée selon ses termes reste régulière. Dans ce cadre, la solution de la Cour d’appel de Nouméa, chambre commerciale, du 11 septembre 2025, offre un repère clair et opérationnel pour les contrats de prestations entre professionnels.

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