Cour d’appel de Nouméa, le 28 juillet 2025, n°22/00384

La construction immobilière en Nouvelle-Calédonie donne régulièrement lieu à des contentieux opposant maîtres de l’ouvrage et constructeurs. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nouméa le 28 juillet 2025 illustre les difficultés qui peuvent surgir lorsque des désordres affectent une construction et que la société chargée des travaux est placée en liquidation judiciaire en cours d’instance.

Des particuliers, propriétaires d’un terrain dans un lotissement, ont confié une étude géotechnique à une première société, puis des travaux de terrassement et d’enrochement à un entrepreneur. Ils ont ensuite conclu un contrat de construction avec une société pour l’édification d’une villa. Une seconde société géotechnique a été mandatée par le constructeur pour compléter l’étude de sol. Un affaissement de la plate-forme a été constaté durant les travaux en février 2016, conduisant le constructeur à solliciter une expertise judiciaire. L’expert a conclu à la nécessité de refaire le remblai, l’enrochement ainsi que les fondations et la dalle. Un protocole d’accord a été conclu entre les maîtres de l’ouvrage, l’entrepreneur de terrassement et son assureur, ce dernier versant une indemnité forfaitaire.

Les maîtres de l’ouvrage ont alors limité leurs demandes à l’encontre du constructeur au paiement de travaux supplémentaires facturés mais non exécutés. Par jugement du 15 décembre 2022, le Tribunal de première instance de Nouméa a constaté le désistement des demandeurs à l’égard des autres parties, déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles subséquentes, et condamné le constructeur au paiement de la somme réclamée. Le constructeur a interjeté appel. En cours de procédure, il a été placé en liquidation judiciaire le 3 octobre 2024, son mandataire liquidateur intervenant volontairement pour reprendre les écritures.

En cause d’appel, le mandataire liquidateur ne contestait plus sérieusement la dette principale mais sollicitait une compensation avec une créance alléguée correspondant à des travaux de fosse septique. Les maîtres de l’ouvrage demandaient la confirmation du jugement et le rejet de cette prétention. Les autres intimés sollicitaient le constat du désistement d’appel à leur égard.

La question posée à la Cour était double. Il s’agissait de déterminer si le constructeur pouvait obtenir le paiement de travaux qu’il prétendait avoir réalisés et, corrélativement, si sa demande reconventionnelle devait prospérer alors que la preuve de l’exécution effective des travaux n’était pas rapportée.

La Cour d’appel de Nouméa a confirmé la solution de première instance sur le fond. Elle a jugé que le mandataire liquidateur ne pouvait prétendre au paiement de la somme réclamée dès lors que « il ne ressort d’aucune pièce du dossier que ces travaux correspondant à cette tranche auraient été réalisés ». Elle a fixé la créance des maîtres de l’ouvrage au passif de la société en liquidation et constaté le désistement d’appel à l’égard des autres parties.

Cet arrêt mérite attention en ce qu’il rappelle les exigences probatoires pesant sur le constructeur réclamant paiement (I) et illustre les conséquences procédurales de la survenance d’une liquidation judiciaire en cours d’instance (II).

I. L’exigence probatoire pesant sur le constructeur réclamant paiement

La décision commentée rappelle le principe de la charge de la preuve en matière contractuelle (A) avant d’en tirer les conséquences sur la demande de paiement du constructeur (B).

A. Le rappel du principe de la charge de la preuve

Le droit des obligations impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de prouver son existence et, symétriquement, à celui qui prétend être libéré de justifier du paiement ou du fait extinctif. En matière de marché de travaux, le constructeur qui sollicite le paiement d’une tranche doit établir avoir exécuté les prestations correspondantes.

La Cour relève que « aux termes des stipulations du marché de travaux, le paiement de chaque tranche devait être effectué après contrôle, et donc après réalisation ». Cette formulation contractuelle conditionnait expressément l’exigibilité du prix à l’accomplissement préalable des travaux. Le constructeur, ou son mandataire liquidateur, devait donc démontrer la réalisation effective des prestations avant de pouvoir en réclamer le règlement. Cette exigence découle tant des stipulations particulières du contrat que des principes généraux gouvernant l’exécution des conventions synallagmatiques.

B. L’insuffisance des éléments probatoires produits

La Cour analyse les pièces versées aux débats et constate leur insuffisance. Elle relève que « les factures établies par les sociétés SOROCAL et CAZERES ne suffisent pas à rapporter la preuve de l’accomplissement des travaux ». Les factures émanant de sous-traitants ne constituent en effet que des indices de la réalisation de certaines prestations, mais ne démontrent pas que l’ensemble des travaux prévus au marché a été mené à son terme.

La Cour ajoute que « le rapport d’expert se borne à mentionner une excavation de la fosse septique, soit un creusement du sol, sans qu’il soit justifié de la réalisation complète des travaux ». La distinction entre travaux préparatoires et travaux achevés prend ici toute son importance. L’excavation constitue une opération préliminaire qui ne saurait être confondue avec l’installation complète d’un système d’assainissement. Cette analyse rigoureuse des éléments de preuve conduit logiquement au rejet de la demande.

II. Les incidences procédurales de la liquidation judiciaire sur l’instance d’appel

L’ouverture d’une procédure collective en cours d’instance entraîne des conséquences sur la conduite du procès (A) et sur les modalités de fixation des créances (B).

A. L’intervention du mandataire liquidateur et la reprise d’instance

La société appelante a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 3 octobre 2024, alors que l’affaire était en état d’être jugée. L’ordonnance de clôture avait été rendue le 26 août 2024 et l’audience initialement fixée au 21 octobre suivant. Cette circonstance a imposé un renvoi à la mise en état pour permettre au mandataire liquidateur d’intervenir à la procédure.

La SELARL désignée a déclaré intervenir volontairement le 27 décembre 2024 et reprendre à son compte les écritures du précédent conseil. Cette reprise d’instance illustre le mécanisme prévu par le droit des procédures collectives, qui impose au mandataire de poursuivre les actions en cours au nom et pour le compte du débiteur dessaisi. L’instance n’est pas interrompue mais simplement suspendue le temps que le mandataire se constitue.

B. La fixation des créances au passif

La survenance de la liquidation judiciaire modifie la nature des condamnations susceptibles d’être prononcées. La Cour ne peut plus condamner le débiteur au paiement de sommes d’argent mais doit fixer les créances au passif de la procédure collective.

La décision procède ainsi à la fixation de la créance des maîtres de l’ouvrage « au passif de la société Villas wave à la somme de 1 032 872 francs CFP », incluant tant la somme initialement allouée que celle confirmée en appel. De même, les créances des autres parties au titre des frais irrépétibles sont fixées au passif. Cette technique permet de préserver les droits des créanciers tout en respectant le principe d’égalité qui gouverne les procédures collectives. Les dépens sont également fixés au passif, la Cour précisant qu’il n’y a lieu ni de chiffrer leur montant ni de prévoir leur distraction, ces modalités étant incompatibles avec le régime de la liquidation judiciaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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