Cour d’appel de Nouméa, le 28 juillet 2025, n°24/00137

Par un arrêt du 28 juillet 2025, la cour d’appel de Nouméa, chambre civile, statue à la suite d’une collision survenue sur une route territoriale, ayant causé le décès d’une passagère et blessé deux agents publics. Le véhicule impliqué dans le choc était assuré, l’autre appartenait à une personne publique. Les proches de la victime ont recherché l’indemnisation de leurs préjudices d’affection, tandis que l’employeur public a sollicité la réparation de ses pertes matérielles et de ses débours.

Par un jugement du 2 avril 2024 rendu par le tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de Koné, l’exception de non‑garantie soulevée par l’assureur a été écartée, l’intermédiaire d’assurance a été mis hors de cause, les proches ont été indemnisés, et les demandes indemnitaires de l’employeur public accueillies. L’assureur a interjeté appel, soutenant l’opposabilité d’une clause d’exclusion pour défaut de permis de conduire et contestant les montants alloués. Les intimés ont sollicité la confirmation, le fonds de garantie a conclu dans le même sens, et le représentant de l’administration a défendu ses recours subrogatoires et directs.

La question posée tenait à l’opposabilité aux victimes d’une clause d’exclusion pour défaut de permis, dans le cadre du droit local de l’assurance obligatoire, au regard des exigences de notification prévues par le code des assurances applicable en Nouvelle‑Calédonie. La cour confirme d’abord l’implication du véhicule au sens de la loi de 1985, puis admet, en principe, la validité de la clause au regard de la délibération locale. Elle juge toutefois l’exclusion inopposable aux victimes, faute pour l’assureur d’avoir notifié son exception à l’ensemble des personnes lésées identifiées. Les indemnisations allouées pour le préjudice d’affection sont entérinées, les demandes indemnitaires de l’employeur public sont confirmées.

I. Le sens de la décision

A. La validité de la clause d’exclusion au regard du droit local des assurances

La cour place le litige sous l’empire des textes territoriaux régissant l’assurance obligatoire des véhicules. Elle rappelle que « Le litige est régi par la délibération n° 394 du 15 décembre 1966 modifiée rendant obligatoire l’assurance en matière de véhicules à moteur, dans sa rédaction issue de la délibération n° 80 du 30 janvier 1989, dont l’article 7 dispose notamment : » que le contrat peut prévoir une exclusion en cas de défaut de titres de conduite valides. L’assureur pouvait donc, abstraitement, stipuler une telle clause, dans les limites posées par la délibération.

Avant de trancher l’opposabilité, la cour retient d’abord le régime spécial des accidents de la circulation. S’agissant de l’élément déclencheur de la garantie, elle retient que le véhicule assuré « est incontestablement impliqué dans l’accident au sens de la loi n° 85‑677 du 5 juillet 1985. » La référence au critère large d’implication s’accorde avec l’office de la loi de 1985 et permet de centrer le débat non sur la réalisation du risque, mais sur l’exception invoquée.

Cette première étape clarifie le cadre: la clause d’exclusion existe et relève du droit local; l’accident entre bien dans le champ de la loi spéciale protectrice. Le cœur du contrôle se déplace alors vers les conditions procédurales posées par le code des assurances applicable localement, que l’assureur devait satisfaire pour opposer son exception aux tiers lésés.

B. L’inopposabilité de l’exclusion pour défaut de notification à toutes les victimes

La cour mobilise l’exigence de notification posée par le code des assurances, applicable en Nouvelle‑Calédonie, lorsqu’un assureur entend opposer une non‑assurance, une assurance partielle, ou une suspension de garantie à la victime. Elle vérifie concrètement l’accomplissement des formalités utiles envers le fonds et envers toutes les personnes lésées identifiées par l’enquête.

Au vu des pièces produites, l’assureur n’a avisé que certains demandeurs, alors que d’autres victimes, blessées lors du même accident, avaient été identifiées par la procédure. La cour formule alors la sanction en des termes nets: « En n’informant pas toutes les victimes, l’assureur s’est interdit d’invoquer l’opposition de l’exception de non garantie. » L’exclusion, pourtant régulière en son principe, demeure donc inopposable aux tiers lésés, par l’effet d’une condition procédurale destinée à préserver la sécurité juridique de tous les acteurs du sinistre.

La conséquence directe est l’obligation, pour l’assureur, d’indemniser les proches au titre de leur préjudice d’affection. La cour confirme par ailleurs l’implication au sens de la loi de 1985, ce qui fonde le droit à réparation des victimes par ricochet dès lors que l’exception de garantie ne peut leur être opposée.

II. Valeur et portée

A. Une solution fidèle à l’esprit protecteur de la loi de 1985 et à l’exigence de loyauté procédurale

La décision présente une cohérence certaine. Elle ménage d’abord la liberté contractuelle encadrée par le droit local, en admettant la validité de la clause d’exclusion pour défaut de permis. Elle en restreint ensuite l’opposabilité, non au fond, mais par le jeu de garanties procédurales renforcées en matière d’accidents de la circulation. Cette articulation valorise la finalité de la loi de 1985: la protection prioritaire des victimes, tout en préservant, en arrière‑plan, la possibilité pour l’assureur de recouvrer contre son assuré fautif, selon les mécanismes de recours.

La sanction retenue, purement processuelle, incite l’assureur à une diligence active: identifier toutes les victimes connues du sinistre et leur notifier l’exception dans les formes requises. La charge n’apparaît pas disproportionnée au regard des enjeux. L’aléa de contentieux est maîtrisé par une procédure claire et vérifiable, qui renforce la loyauté des échanges entre assureur, victimes et organisme de garantie. La cour l’exprime avec sobriété en soulignant que « Les montants retenus par le premier juge seront entérinés puisqu’il n’est pas contesté que toutes les victimes par ricochet demeuraient avec la défunte et que ces montants sont conformes à la jurisprudence habituelle. » L’alignement sur la pratique indemnitaire locale participe d’une lisibilité utile pour les praticiens et les justiciables.

B. Des enseignements pratiques: notifications exhaustives, calibrage du préjudice d’affection et recours de l’employeur public

La portée pratique de l’arrêt est nette. En présence d’une exclusion pour défaut de permis, l’assureur ne peut éluder la double notification: à l’organisme de garantie et à toutes les victimes identifiées, même si certaines n’ont pas encore formulé de prétention. À défaut, l’exception reste inopposable aux tiers, et l’assureur demeure débiteur de l’indemnisation, sous réserve de ses recours internes. Cette exigence, rappelée avec fermeté, sécurise la chaîne d’information et prévient les ruptures d’égalité entre victimes d’un même événement.

L’arrêt conforte aussi la stabilité des montants alloués au titre du préjudice d’affection dans des configurations familiales de cohabitation. La cour valide l’évaluation par référence à une « jurisprudence habituelle », assumant une grille locale claire. Cette démarche limite les aléas d’appel sur le quantum dans des espèces comparables, tout en laissant place à l’individualisation lorsque la situation l’exige.

Enfin, l’accueil des demandes de l’employeur public illustre la cohérence du dispositif. Les recours subrogatoires pour les salaires maintenus et dépenses de santé, ainsi que le recours direct au titre des charges patronales, sont admis sur le fondement textuel applicable. La réparation du dommage matériel lié au véhicule administratif est également confirmée, en l’absence de faute du conducteur. Le résultat s’inscrit dans une logique de restitution intégrale des débours et de répartition des charges sur l’auteur assuré, par le canal de l’assureur tenu à garantie envers les tiers.

Au total, la cour d’appel de Nouméa opère une mise en balance mesurée: elle reconnaît la licéité de l’exclusion sous droit local, mais subordonne son efficacité externe au strict respect des formalités de notification. L’économie générale de la loi de 1985 s’en trouve confortée, tandis que les acteurs de l’assurance disposent d’un rappel utile sur l’exacte portée de leurs obligations procédurales à l’égard de toutes les victimes d’un même accident.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture