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La gratification annuelle constitue un avantage conventionnel dont le régime juridique suscite un contentieux nourri. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nouméa le 30 juin 2025 en offre une illustration dans le contexte particulier d’une procédure collective.
Un salarié avait été embauché le 1er janvier 1998 en qualité de vendeur par une société ultérieurement placée en redressement judiciaire le 6 juillet 2021, puis en liquidation judiciaire le 25 mai 2023. Le salarié avait saisi le tribunal du travail de Nouméa le 29 décembre 2021 pour obtenir le paiement de la prime de fin d’année prévue par l’article 23 de la convention collective des industries de Nouvelle-Calédonie, ainsi que des indemnités de congés payés et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement du 12 avril 2024, le tribunal du travail avait fixé la créance salariale du demandeur à 1.272.336 FCFP au titre des gratifications de fin d’année pour les années 2017 à 2022, 290.360 FCFP au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés et 500.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat. Le salarié a interjeté appel, sollicitant la majoration des dommages et intérêts à hauteur de 1.997.112 FCFP. Le liquidateur judiciaire a formé un appel incident tendant au rejet de l’ensemble des demandes.
La question posée à la Cour d’appel de Nouméa était double. Il s’agissait de déterminer si un employeur peut contester l’application d’une convention collective qu’il a lui-même mentionnée sur les bulletins de salaire. Il convenait également d’apprécier l’étendue du préjudice résultant de l’exécution déloyale du contrat de travail caractérisée par des retards de paiement des salaires.
La Cour d’appel de Nouméa confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions. Elle retient que « l’employeur est dès lors mal venu à contester l’application de l’accord professionnel des industries de Nouvelle-Calédonie dont il a reconnu la pertinence ». Sur les dommages et intérêts, elle juge que les considérations relatives à la situation personnelle du salarié « sont sans incidence sur l’intensité du préjudice occasionné par les retards et défaut de paiement des salaires et autres accessoires ».
L’arrêt présente un intérêt tant sur la question de l’opposabilité de la convention collective à l’employeur qui l’a mentionnée sur les bulletins de salaire (I) que sur l’appréciation du préjudice né de l’exécution déloyale du contrat de travail (II).
I. L’opposabilité de la convention collective fondée sur la mention aux bulletins de salaire
La Cour d’appel de Nouméa consacre une solution rigoureuse quant à l’engagement de l’employeur résultant des mentions portées sur les bulletins de salaire (A), dont les conséquences pratiques méritent d’être analysées (B).
A. La reconnaissance de l’application conventionnelle par l’employeur
La cour relève que « les bulletins de salaire remis au salarié mentionnent, mois après mois, que les relations de travail sont soumises à la convention industrie ». Cette constatation factuelle fonde le raisonnement juridique adopté. L’employeur avait ainsi, de manière répétée et constante, indiqué l’applicabilité de l’accord professionnel des industries de Nouvelle-Calédonie.
La formule employée par la cour est particulièrement significative. En jugeant l’employeur « mal venu à contester l’application de l’accord professionnel dont il a reconnu la pertinence », elle sanctionne une forme de contradiction dans les prétentions. Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence qui interdit à une partie de se contredire au détriment d’autrui, principe connu sous le nom d’estoppel.
La mention sur les bulletins de salaire constitue ainsi un acte recognitif de l’employeur. Cette reconnaissance emporte des effets juridiques que l’intéressé ne saurait ultérieurement méconnaître. La répétition mensuelle de cette mention renforce son caractère d’engagement volontaire et éclairé.
B. Les implications pratiques de cette reconnaissance
L’article 23 de l’accord professionnel des industries de Nouvelle-Calédonie prévoit que les salariés « bénéficieront d’une gratification annuelle dont le mode de calcul, de répartition, la période de versement, seront déterminés au sein de chaque établissement ». La cour constate qu’il « n’est pas prétendu que les modalités de paiement de cette gratification avaient été définies au sein de la société » et que le salarié « n’a jamais perçu la moindre somme à ce titre ».
L’absence de définition des modalités de versement par l’employeur ne saurait priver le salarié de son droit à gratification. La cour valide ainsi l’octroi d’un montant équivalent à six mois de salaire. Cette solution protège efficacement les droits des salariés contre l’inertie patronale. L’employeur qui néglige de fixer les modalités conventionnellement prévues ne peut tirer avantage de sa propre carence.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle aux employeurs l’importance de définir précisément les conditions d’octroi des avantages conventionnels. À défaut, ils s’exposent à une fixation judiciaire potentiellement plus favorable au salarié.
II. L’appréciation souveraine du préjudice né de l’exécution déloyale
La cour adopte une approche stricte dans l’évaluation du préjudice (A), révélant les limites de l’indemnisation en cette matière (B).
A. La délimitation rigoureuse du préjudice indemnisable
Le salarié invoquait des retards de paiement des salaires pour les mois de juillet à octobre 2022, puis de février à avril 2023, ainsi que le défaut de paiement de la gratification annuelle. Le tribunal du travail avait alloué 500.000 FCFP en réparation de ce préjudice. L’appelant sollicitait la somme de 1.997.112 FCFP.
Pour justifier sa demande majorée, le salarié faisait valoir que l’ancien dirigeant aurait une activité professionnelle et insistait sur les répercussions de la liquidation judiciaire sur sa vie quotidienne ainsi que sur ses difficultés à retrouver un emploi. La cour écarte ces arguments au motif que « ces considérations sont sans incidence sur l’intensité du préjudice occasionné par les retards et défaut de paiement des salaires et autres accessoires ».
Cette motivation révèle l’exigence d’un lien de causalité direct entre le manquement et le préjudice allégué. Les difficultés liées à la perte d’emploi résultent de la liquidation judiciaire, non des retards de paiement antérieurs. La cour distingue ainsi le préjudice né de l’exécution déloyale de celui résultant de la rupture du contrat.
B. Les enseignements de la solution retenue
La confirmation du montant de 500.000 FCFP traduit l’exercice du pouvoir souverain des juges du fond dans l’évaluation du préjudice. Cette appréciation échappe au contrôle de la Cour de cassation dès lors qu’elle est motivée.
L’arrêt rappelle que l’indemnisation du préjudice obéit au principe de la réparation intégrale. Le salarié ne peut obtenir davantage que la compensation du dommage effectivement subi du fait du manquement invoqué. Les circonstances personnelles postérieures, fussent-elles difficiles, ne constituent pas un chef de préjudice distinct rattachable à l’exécution déloyale.
Cette solution présente une portée pédagogique pour les praticiens. Dans le cadre d’une action fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail, la démonstration du préjudice doit se concentrer sur les conséquences directes des manquements allégués. Les éléments relatifs à la situation économique du débiteur ou aux difficultés ultérieures du créancier demeurent inopérants.