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La rupture du contrat de travail par l’employeur constitue un acte juridique dont la régularité procédurale et la justification substantielle demeurent soumises au contrôle du juge. La question de la double sanction et celle de la proportionnalité du licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié cadre illustrent les tensions permanentes entre le pouvoir disciplinaire de l’employeur et la protection des droits du salarié.
La Cour d’appel de Nouméa, dans son arrêt du 4 septembre 2025, a été saisie d’un litige opposant un salarié à son employeur, une société spécialisée dans la production de gaz industriels et médicinaux. Le salarié, embauché le 30 juillet 1990, avait été promu responsable technique, cadre position C au sens de la convention collective applicable. Son employeur lui a reproché plusieurs manquements professionnels, notamment d’avoir autorisé une opération de consignation électrique non conforme à la réglementation et de ne pas avoir accompli diverses missions relevant de ses attributions.
Par courrier du 26 février 2020, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Le 13 mars 2020, une rétrogradation disciplinaire lui a été proposée. Le salarié, placé en arrêt maladie à compter du 26 mars 2020, n’a pas répondu à cette proposition dans le délai imparti. L’employeur a alors engagé une nouvelle procédure de licenciement et a notifié le 12 mai 2020 un licenciement pour faute. Le salarié a contesté cette mesure devant le tribunal du travail de Nouméa, qui a jugé le licenciement régulier et justifié par jugement du 28 mars 2023. Le salarié a interjeté appel.
Devant la cour, le salarié soutenait que la procédure de licenciement était irrégulière, qu’il avait été sanctionné deux fois pour les mêmes faits et que la sanction était disproportionnée. L’employeur contestait ces moyens et invoquait la gravité des manquements commis par un cadre responsable de la sécurité sur un site sensible.
La cour devait déterminer si le licenciement prononcé à l’encontre du salarié était régulier en la forme et fondé sur une cause réelle et sérieuse, ou si l’employeur avait méconnu le principe non bis in idem en sanctionnant deux fois les mêmes faits.
La Cour d’appel de Nouméa a infirmé partiellement le jugement entrepris. Elle a jugé que le licenciement était régulier sur le plan formel mais dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur avait déjà sanctionné les faits reprochés par la proposition de rétrogradation disciplinaire. Elle a condamné l’employeur à verser au salarié des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’une somme au titre du préjudice moral.
L’analyse de cette décision conduit à examiner la régularité procédurale du licenciement et l’application du principe non bis in idem (I), puis la sanction de l’atteinte portée aux droits du salarié (II).
I. La régularité formelle du licenciement et la violation du principe non bis in idem
La cour procède à un examen méthodique de la régularité procédurale du licenciement (A) avant de constater la méconnaissance du principe interdisant de sanctionner deux fois les mêmes faits (B).
A. La conformité de la procédure aux exigences légales
La cour relève que « la procédure de licenciement a été régulièrement suivie » et que les délais prévus par les textes ont été respectés. L’employeur avait convoqué le salarié à un entretien préalable par lettre remise selon les formes requises. Le licenciement a été notifié dans le délai légal suivant cet entretien.
L’appelant soutenait que la procédure était irrégulière au motif que la lettre de convocation à l’entretien préalable ne mentionnait pas la possibilité de se faire assister. La cour écarte ce moyen en constatant que cette mention figurait bien dans le courrier litigieux. Elle relève également que le salarié s’est effectivement fait assister lors de l’entretien, ce qui démontre qu’il a été informé de cette faculté.
La régularité formelle d’une procédure de licenciement disciplinaire suppose le respect d’un formalisme protecteur du salarié. Les juridictions exercent un contrôle rigoureux sur ces exigences procédurales. En l’espèce, aucune irrégularité n’affecte la procédure suivie par l’employeur. La cour peut donc examiner le fond du litige.
B. L’épuisement du pouvoir disciplinaire par la proposition de rétrogradation
La cour juge que « le pouvoir disciplinaire de l’employeur est épuisé lorsqu’il a proposé une rétrogradation disciplinaire ». Elle rappelle que la proposition de rétrogradation constitue une sanction au sens du droit disciplinaire, même si elle requiert l’acceptation du salarié pour produire ses effets.
L’arrêt relève que l’employeur avait expressément qualifié la rétrogradation de « disciplinaire » dans son courrier du 13 mars 2020. Il avait invoqué une « série impressionnante de fautes graves » pour justifier cette mesure. La cour en déduit que l’employeur avait manifesté sa volonté de sanctionner les faits reprochés au salarié dès cette date.
Le refus du salarié d’accepter la rétrogradation ne saurait permettre à l’employeur de prononcer une nouvelle sanction pour les mêmes faits. La cour rappelle le principe selon lequel « un même fait ne peut être sanctionné deux fois ». L’employeur ne pouvait donc substituer un licenciement à la rétrogradation refusée.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le pouvoir disciplinaire s’épuise par son exercice. L’employeur qui propose une rétrogradation disciplinaire a choisi de sanctionner les faits par cette mesure. Le refus du salarié ne fait pas renaître ce pouvoir.
II. Les conséquences de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
La cour tire les conséquences de la violation du principe non bis in idem en octroyant des dommages et intérêts au salarié (A) et en réparant le préjudice moral distinct subi par celui-ci (B).
A. L’indemnisation du licenciement injustifié
La cour condamne l’employeur à verser au salarié la somme de 18.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle écarte la demande de 27.200.000 FCFP formulée par le salarié en procédant à une évaluation souveraine du préjudice.
Pour fixer ce montant, la cour prend en considération l’ancienneté du salarié, qui comptait près de trente années de présence dans l’entreprise. Elle retient également son âge au moment du licenciement et les difficultés prévisibles de reclassement sur le marché du travail local. Le salaire mensuel de référence est fixé à 755.905 FCFP.
L’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse obéit au principe de la réparation intégrale du préjudice. Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer ce préjudice. Les critères retenus par la cour correspondent à ceux habituellement pris en compte par la jurisprudence.
Cette condamnation illustre les conséquences financières importantes que peut entraîner la méconnaissance des règles disciplinaires par l’employeur. La somme allouée représente environ vingt-quatre mois de salaire, ce qui témoigne de la gravité de la faute commise par l’employeur.
B. La réparation du préjudice moral distinct
La cour alloue au salarié une indemnité de 500.000 FCFP au titre du préjudice moral, réformant sur ce point le jugement qui avait rejeté cette demande. Elle retient que « les circonstances du licenciement ont causé au salarié un préjudice moral distinct ».
L’arrêt relève que le salarié a subi une atteinte à sa dignité professionnelle. Les accusations portées contre lui mettaient en cause sa compétence et son intégrité alors qu’il avait exercé ses fonctions pendant près de trois décennies sans avoir jamais fait l’objet de reproche. La brutalité de la rupture et la remise en cause de sa probité ont causé un traumatisme psychologique attesté par son placement en arrêt maladie.
La réparation d’un préjudice moral distinct de celui résultant de la perte d’emploi suppose la démonstration de circonstances particulières. Le salarié doit établir l’existence d’un comportement vexatoire ou brutal de l’employeur. En l’espèce, la cour estime que ces conditions sont réunies.
Cette solution rappelle que l’employeur doit respecter la dignité du salarié même lorsqu’il exerce son pouvoir disciplinaire. Le licenciement ne saurait être l’occasion d’humilier le salarié ou de porter atteinte à sa réputation professionnelle de manière injustifiée.