Cour d’appel de Nouméa, le 4 septembre 2025, n°24/00064

Cour d’appel de Nouméa, 4 septembre 2025, chambre sociale. Une salariée, embauchée en contrat à durée indéterminée en 2018 comme cadre HSE, a sollicité en 2020 un passage à temps partiel. Après un épisode de surcroît d’activité en 2019, un accident en 2020 et un arrêt de travail en 2022, elle a pris acte de la rupture en juillet 2022 en invoquant divers manquements contractuels et de sécurité. Elle réclamait la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts pour durée du travail, un préjudice moral, ainsi que la mise en œuvre de la prévoyance complémentaire. L’employeur contestait la gravité des griefs et mettait en avant le caractère ponctuel des dépassements, le paiement des sujétions et l’absence d’alerte antérieure sur des risques psychosociaux. Tribunal du travail de Nouméa, 21 juin 2024, la prise d’acte a produit les effets d’une démission, hors indemnité compensatrice de congés payés. La question posée à la Cour était de savoir si les manquements allégués, au regard de la preuve fournie et de leur intensité, rendaient impossible la poursuite du contrat et imposaient la requalification, ainsi que si l’obligation de sécurité et la prévoyance avaient été méconnues. La Cour confirme le jugement, en jugeant les manquements ni établis ni d’une gravité suffisante, et l’obligation de sécurité non engagée faute d’information utile.

I. Le sens de la décision

A. La clause forfaitaire et le contingent annuel d’heures supplémentaires
La Cour replace d’abord le débat dans l’économie contractuelle et conventionnelle. Elle retient que la rémunération forfaitaire incluait un quantum mensuel maximal d’heures supplémentaires, sans imposer leur réalisation systématique, et rappelle la borne annuelle du contingent. Elle affirme ainsi: «Si le contrat envisage bien le maximum des heures supplémentaires mensuelles qui sont couvertes par la rémunération forfaitaire, il ne prévoit aucunement que le contingent de 21 heures supplémentaires sera nécessairement effectué tous les mois, leur exécution étant limitée au maximum annuel prévu par l’article 46 II.» L’analyse articule la clause de forfait à l’accord interprofessionnel territorial, en opérant une conciliation claire entre liberté contractuelle et ordre public social local.

Le contrôle de proportion et de temporalité est ensuite décisif. La Cour souligne que les dépassements litigieux se concentrent sur une courte séquence liée à un audit, sans preuve d’un dépassement annuel du contingent ni d’une réitération. Elle précise: «Par ailleurs, ces heures supplémentaires faites sur deux semaines, à cheval sur deux mois successifs, ne peuvent être d’emblée considérées comme excessives, à défaut de connaître l’importance des autres périodes travaillées, tant en août qu’en septembre 2019.» L’absence de décompte global et de pièces couvrant l’année prive le grief de consistance probatoire et objective.

B. La surcharge alléguée, l’isolement et les avantages individuels
S’agissant de la charge de travail et de l’isolement, la Cour lit les échanges produits au prisme des missions HSE attendues, sans y déceler de doléances contemporaines ni d’éléments humiliants. Elle constate: «Ces messages s’inscrivent dans l’exercice normal de la fonction de gestion des risques et management hygiène et sécurité et ne contiennent aucune doléance de sa part.» La prise en compte de besoins médicaux circonstanciés, la mise en place d’un poste en ville et l’octroi du temps partiel demandé confortent l’absence de pression organisationnelle anormale.

Quant à l’avantage logement, la Cour cantonne le débat au terrain contractuel. Elle énonce: «En tout état de cause, cet avantage relève de la liberté contractuelle et cette clause ne saurait être a posteriori contestée par sa signataire, sauf à démontrer que cet avantage revêtait dans l’entreprise des caractères de généralité, de constance et de fixité de nature à le rendre obligatoire, ce qu’elle ne fait pas.» Les autres griefs, hétérogènes et espacés, ne se cristallisent pas en un faisceau grave et actuel d’inexécutions. La Cour insiste d’ailleurs sur la distance temporelle: «L’ancienneté de ces faits ne saurait donc justifier la requalification de la rupture.» La solution se ferme en ces termes: «Dès lors, ce manquement qui est resté un événement unique durant la relation de travail n’apparaît pas suffisamment grave pour justifier la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.»

II. Valeur et portée de la solution

A. Gravité des manquements et immédiateté de la prise d’acte
La décision réaffirme un axe constant: la prise d’acte ne prospère que si les manquements, établis par le salarié, sont d’une gravité telle qu’ils rendent impossible la poursuite immédiate du contrat. Le raisonnement combine une appréciation qualitative (nature des obligations atteintes) et une lecture chronologique serrée, afin d’écarter les épisodes isolés, anciens ou régularisés. Dans cette perspective, l’analyse du contingent annuel et de la rémunération forfaitaire constitue une grille ordonnée, évitant de déduire de pics d’activité la preuve d’un système illicite. La Cour verrouille la logique par un rappel de proportionnalité probatoire, qui a vocation à guider les contentieux de surcharge future.

La portée dépasse le seul cas d’espèce. En rappelant qu’un segment court de suractivité, rémunéré et non reconduit, ne suffit pas, la Cour sécurise la gestion des projets ponctuels sous contrainte, tout en laissant ouverte l’indemnisation autonome de violations caractérisées. Cette démarcation éclaire utilement la distinction entre réparation d’un préjudice ponctuel et bascule de la rupture vers la faute de l’employeur.

B. Obligation de sécurité et prévoyance complémentaire: connaissance, diligence, preuve
Sur la sécurité, la Cour rappelle la norme de protection et en balise les conditions d’engagement. Elle énonce: «Il est constant que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat et que tout salarié a droit à des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence, conformément aux dispositions de l’article Lp 113-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie.» Elle relie immédiatement cette exigence à la nécessité d’une information effective de l’employeur sur la souffrance alléguée, laquelle conditionne l’activation des mesures de prévention. À défaut d’alerte claire et documentée, l’abstention ne se qualifie pas en manquement fautif dans la chaîne de prévention des risques psychosociaux.

La même logique gouverne la prévoyance. La Cour vérifie la diligence attendue de chaque partie dans la constitution du dossier et sanctionne l’insuffisance des pièces remises. Elle conclut sans ambiguïté: «En revanche, elle ne justifie pas avoir transmis les autres documents nécessaires à l’instruction de sa demande de prise en charge, aucun autre échange n’étant produit par ses soins postérieurement au mois de juillet 2022.» La portée est double: elle précise la distribution des responsabilités procédurales dans l’ouverture des garanties et rappelle que le préjudice né d’une carence suppose un manquement causalement imputable et caractérisé.

En définitive, l’arrêt articule rigoureusement contingent conventionnel, exigence de gravité, connaissance utile et charge de la preuve, afin de contenir la requalification aux hypothèses d’inexécutions établies, graves et actuelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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