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La Cour d’appel de Nouméa, le 8 septembre 2025, statue sur une demande de mesure d’instruction préalable fondée sur l’article 145 du code de procédure civile. Le contexte tient à la cession de parts intervenue en 2009 au profit d’acquéreurs, après laquelle un dirigeant soutient l’existence de prélèvements irréguliers et sollicite une expertise judiciaire. Un rapport comptable non judiciaire de 2023 fait état de mouvements importants au détriment de deux sociétés concernées par l’opération.
La procédure a été engagée en référé fin 2023 aux fins d’expertise, et le premier juge l’a ordonnée. Les appelants ont critiqué la décision en contestant l’existence d’un motif légitime, en se prévalant notamment d’une prescription quinquennale tirée de l’article 2224 du code civil. La cour confirme l’intérêt à agir du demandeur en qualité de gérant, mais infirme l’ordonnance en ce qu’elle a ordonné l’expertise.
La question de droit posée est celle de l’articulation entre le « motif légitime » exigé par l’article 145 et un obstacle tiré de la prescription de l’action au fond. Plus précisément, il s’agissait de savoir si une expertise peut être ordonnée lorsque la prétention future apparaît manifestement vouée à l’échec du fait du délai de prescription. La cour refuse l’expertise, jugeant l’action prescrite et, partant, l’absence d’intérêt légitime à conserver ou établir la preuve avant tout procès.
I. Les conditions du « motif légitime » au sens de l’article 145
A. Exigences de plausibilité et détermination du litige futur
La cour rappelle d’abord le texte applicable tel que cité dans l’arrêt: « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Ce rappel replace le contrôle du juge des référés dans un office probatoire autonome, distinct du jugement au fond, mais encadré par des critères de plausibilité.
Le raisonnement précise ensuite la densité du contrôle: « Toutefois, la légitimité du motif du demandeur résulte de la démonstration du caractère plausible et crédible du litige, bien qu’éventuel et futur, et le juge doit impérativement constater qu’un tel procès est possible et qu’il a un objet et un fondement suffisamment déterminés ». La juridiction exige donc un contentieux futur identifiable, doté d’un objet et d’un fondement définis, ce qui exclut la mesure exploratoire sans ancrage juridique. La cohérence de cette exigence tient au rôle de l’article 145, instrument de conservation et non d’investigation générale.
B. Contrôle de l’échec manifeste malgré les contestations sérieuses
La cour admet, conformément à une lecture classique, que « l’existence d’une contestation sérieuse ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre des dispositions susvisées des dispositions de l’article 145 du Code de Procédure Civile ». L’article 145 supporte le doute, puisqu’il vise à éclairer un litige à venir sans préjuger sa solution. Cette affirmation neutralise l’argument consistant à disqualifier la mesure en raison de débats sur le fond.
Cependant, ce principe comporte une limite nette, que la décision formule ainsi: « Par voie de conséquence, le juge ne peut que rejeter une demande d’expertise destinée à soutenir une prétention dont le mal fondé est d’ores et déjà évident et est manifestement vouée à l’échec ». L’expertise ne doit pas servir à réanimer une action irrémédiablement compromise, faute de quoi le juge des référés excéderait son office probatoire pour prolonger artificiellement un contentieux sans avenir. La condition du motif légitime se mue ici en filtre contre les « demandes de preuve sans procès ».
II. La prescription quinquennale comme limite à l’expertise
A. Point de départ, connaissance imputée et présomption de connaissance
La cour rattache le refus au terrain de la prescription, en mobilisant l’article 2224 du code civil, ainsi cité: « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Elle en déduit que le dirigeant, en fonction depuis la cession, « ne pouvait ignorer la situation comptable et financière » au regard des éléments antérieurs à la prise de fonctions, ceux-ci ayant attiré l’attention sur l’incertitude des comptes. L’argument réside dans l’imputabilité d’une connaissance effective ou, à tout le moins, potentielle.
Cette approche transforme l’analyse du motif légitime en vérification incidente de la temporalité des droits. Si le point de départ est fixé à la date où la connaissance devait être acquise, toute mesure d’instruction devient inutile si l’action est close par le délai. En conséquence, l’expertise ne saurait contourner la forclusion du droit d’agir, puisqu’elle présuppose un litige possible et juridiquement ouvert.
B. Portée, équilibre probatoire et critique mesurée de la solution
La solution débouche logiquement sur l’infirmation de l’expertise, la cour énonçant que « La décision de première instance doit donc être réformée sur ce point ». L’arrêt met en cohérence l’exigence d’un procès « possible » et l’extinction de l’action par prescription, ce qui fait disparaître le motif légitime. La chaîne argumentative demeure ordonnée: condition de recevabilité probatoire, examen de la temporalité, refus pour impossibilité juridique du litige.
Cette position présente une valeur pratique forte. Elle prévient les mesures probatoires de pure opportunité, économise les coûts de procédure, et incite à la vigilance sur les délais. Elle n’est pas exempte de risques. L’imputation d’une connaissance « qui aurait dû » exister, avant mesure d’instruction, peut rigidifier le point de départ et priver le demandeur d’éléments utiles pour établir la découverte tardive des faits. Le juge des référés, contraint à une appréciation sommaire, doit doser l’évidence de l’échec au fond sans trancher le fond lui-même.
L’arrêt demeure toutefois attentif à la distinction entre intérêt à agir et motif légitime. Il confirme l’intérêt du gérant à agir, conformément à l’article 31 du code de procédure civile, puis écarte la mesure à raison de la prescription. Ce double mouvement respecte l’économie des textes: l’ouverture de l’action n’emporte pas, par elle seule, la légitimité d’une mesure d’instruction précontentieuse. Le filtre de l’article 145 continue d’exiger un litige à venir crédible, juridiquement possible, et temporellement ouvert.
Au total, la Cour d’appel de Nouméa pose un critère opératoire et exigeant. L’article 145 n’est pas un remède aux défaillances temporelles de l’action. Il demeure un instrument probatoire finalisé, subordonné à l’existence d’un procès possible et à l’absence d’échec juridique évident. Cette lecture, sévère mais cohérente, consolide l’articulation entre preuve et délai, et confère au juge des référés un rôle de gardien des conditions d’utilité de la mesure.