Cour d’appel de Orléans, le 11 septembre 2025, n°21/01870

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Rendue par la cour d’appel d’Orléans le 11 septembre 2025, la décision tranche un litige né d’un licenciement disciplinaire prononcé après un contrôle d’alcoolémie et d’un non-versement de prime. Le salarié, agent de quai depuis plusieurs décennies, avait vu sa prime qualité ramenée à zéro en décembre 2018, puis s’était vu notifier une mise à pied conservatoire le 8 janvier 2019 et un licenciement pour faute grave le 21 janvier 2019. Le conseil de prud’hommes de Tours avait validé le licenciement et débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.

En appel, ses ayants droit sollicitent l’infirmation partielle du jugement, l’annulation de la mesure relative à la prime, la nullité à titre principal du licenciement et, subsidiairement, la reconnaissance de son absence de cause réelle et sérieuse. Ils invoquent en outre un harcèlement moral, la mise à pied conservatoire injustifiée et l’invocation illicite d’une sanction prescrite. L’employeur conclut à la confirmation intégrale, soutenant la licéité du contrôle, l’opposabilité du règlement intérieur et l’existence d’une faute grave.

La cour identifie d’abord si le non-paiement de la prime constitue une sanction pécuniaire prohibée, puis si le contrôle d’alcoolémie satisfait aux exigences de licéité et d’opposabilité. Elle apprécie ensuite la qualification de faute grave au regard des fonctions exercées et se prononce sur les griefs annexes, notamment le harcèlement. Elle confirme le jugement, retenant que « toute sanction pécuniaire en raison d’une faute du salarié est interdite », mais que la prime qualité peut dépendre de la qualité du service, et que « le résultat de l’alcootest était supérieur au seuil réglementaire », de sorte que le maintien du salarié était impossible. Le harcèlement est écarté faute d’éléments précis et concordants, et l’invocation d’une sanction ancienne ne produit aucun effet.

I – La licéité des mesures contestées et l’opposabilité du cadre interne

A – La prime qualité, une modulation objective étrangère à toute sanction pécuniaire

La cour rappelle un principe ferme, utilement cité en ces termes: « Certes, toute sanction pécuniaire en raison d’une faute du salarié est interdite ». Elle ajoute cependant que l’employeur « peut […] subordonner l’attribution d’une prime à des conditions d’ancienneté, d’assiduité, de rendement ». La fonction de la prime en cause est précisément définie: « La prime de qualité mensuelle est attribuée afin de récompenser la qualité de service ».

L’analyse factuelle retient une erreur de chargement établie et répétée, ayant affecté la prestation. La cour motive ainsi le refus de versement: « En effet, l’erreur commise par le salarié affecte la qualité du service rendu, ce qui justifie que la prime de qualité ne lui ait pas été attribuée ». Le retrait s’analyse dès lors en modulation d’un élément variable adossé à des critères objectifs de qualité, non en sanction pécuniaire déguisée. La solution, cohérente avec l’interdiction des pénalités de salaire, maintient l’équilibre entre interdiction de principe et pouvoir de rémunération conditionnelle.

Ce faisant, la cour évite le double écueil de la paraphrase et de l’abstraction, en articulant le critère de performance avec l’utilité de la prime. La portée pratique est nette: l’employeur doit établir un lien direct, concret et proportionné entre défaillance qualitative et non-attribution, ce qu’il réalise ici par des faits précis.

B – Le contrôle d’alcoolémie et l’opposabilité du règlement intérieur

Le contrôle litigieux repose sur un règlement intérieur d’un ensemble économique et social, régulièrement déposé et notifié. La cour constate son opposabilité, puis rappelle la norme légale: « L’article R. 4228-21 du code du travail dispose qu’il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse ». Elle mobilise ensuite la jurisprudence de référence: « Les dispositions d’un règlement intérieur permettant d’établir sur le lieu de travail l’état d’ébriété d’un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors, d’une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, d’autre part, qu’eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger ».

L’instruction retient un test réalisé au moyen d’un éthylotest conforme, en présence de témoins, avec possibilité de contre-expertise dans les trente minutes, prévue par le règlement. La cour relève que « le compte rendu du test d’alcoolémie […] précise que le résultat de l’alcootest était supérieur au seuil réglementaire » et que le salarié n’a pas exercé la faculté de contre-expertise. L’argument tiré de l’impossibilité matérielle d’y procéder à l’heure tardive est écarté faute d’éléments probants. La sécurité des opérations de quai, impliquant transpalettes électriques et charges lourdes, justifie la vigilance accrue.

La solution réaffirme la méthode: contrôle encadré, contradictoire et proportionné aux risques. Elle confirme une ligne constante qui combine exigences procédurales et évaluation des dangers inhérents au poste, sans dérive vers un contrôle généralisé.

II – La qualification disciplinaire et ses effets dans l’ordre social

A – La faute grave, l’impossibilité de maintien et la mise à pied conservatoire

La norme d’examen est nettement posée: « Il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave […] d’établir l’exactitude des faits […] et de démontrer que ces faits constituent une violation […] d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien […] dans l’entreprise ». Au regard des missions de quai et des risques associés, la cour retient que « l’exercice de ces fonctions dans un état d’ébriété est susceptible de créer un danger pour la sécurité du salarié, des autres salariés et pour les biens de l’entreprise ».

L’appréciation factuelle est décisive: « Il est avéré que le salarié était en état d’ébriété à son poste de travail ». La conséquence juridique s’impose, sobrement formulée: « Par voie de confirmation du jugement, il y a lieu de dire que le licenciement repose sur une faute grave ». La mise à pied conservatoire, strictement corrélée au risque immédiat, suit le même sort, ce que résume la formule: « La mise à pied conservatoire étant justifiée, il y a lieu de rejeter la demande de rappel de salaire ».

La proportionnalité est ici mesurée au prisme des impératifs de sécurité. La faute grave ne repose pas sur l’expression d’un désaccord relatif à la prime, expressément neutralisée par la cour, mais sur l’état alcoolique avéré au poste. La solution, prudente, circonscrit la gravité au périmètre du danger et au constat probant.

B – Les griefs accessoires, l’économie du litige et la portée de l’arrêt

Les ayants droit invoquaient un harcèlement moral et l’invocation illicite d’une sanction ancienne. La cour écarte le premier moyen, après examen d’ensemble, par une formule claire: « Les éléments de fait invoqués […] ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement moral ». Les mesures contestées trouvent une justification objective, étrangère à tout harcèlement, le non-versement de la prime étant validé et la mise à pied conservatoire étant liée au risque immédiat.

La référence à une sanction de 2015, mentionnée dans des écritures, ne fonde pas le licenciement. La cour précise que « cette sanction n’est pas invoquée afin de justifier du bien-fondé du licenciement », et relève l’absence de préjudice démontré. Le grief est donc inopérant. L’économie du litige est ainsi préservée autour de la preuve de l’état alcoolique et de la sécurité.

La portée de l’arrêt dépasse l’espèce sur deux points. D’abord, il confirme que la modulation d’une prime de qualité n’est pas une sanction si elle repose sur des critères objectifs liés au service rendu, établis et proportionnés. Ensuite, il illustre la licéité d’un contrôle d’alcoolémie encadré par un règlement intérieur opposable, à condition que les garanties de contestation soient effectives et adaptées aux risques du poste. Cette articulation, qui consolide la sécurité juridique des pratiques internes, demeure conditionnée à une rigueur probatoire constante dans l’établissement des faits.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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