Cour d’appel de Orléans, le 11 septembre 2025, n°23/02245

La Cour d’appel d’Orléans, 11 septembre 2025, chambre commerciale, statue sur un prêt de regroupement conclu à distance et devenu défaillant. Des emprunteurs ont accepté, le 26 août 2020, un crédit de 65 200 euros, remboursable en 144 mensualités à 4 % l’an avec assurance. Après incidents dès janvier 2021, le prêteur a prononcé la déchéance du terme le 1er mars 2022, puis a assigné en paiement. Le juge des contentieux de la protection a déchu le prêteur de ses intérêts conventionnels et a condamné au capital avec intérêt légal. La majoration de l’article L. 313-3 a été écartée, une indemnité procédurale a été refusée, les dépens ont suivi la succombance.

Le prêteur a relevé appel, les intimés n’ont pas constitué, de sorte qu’il est statué au fond selon l’article 472 du code. La juridiction d’appel examine la conformité du contrôle de solvabilité et l’articulation de la sanction de déchéance avec le mécanisme de majoration légale. La question posée porte sur l’exigence matérielle de la vérification préalable en crédit à la consommation et sur l’effectivité de la sanction au regard du droit positif. La cour confirme la déchéance du droit aux intérêts, impute les intérêts au capital, répare l’omission de solidarité et plafonne la majoration postérieure. Elle affirme que « l’obligation de vérifier la solvabilité des emprunteurs en préalable à l’octroi du prêt qui lui incombe en application de l’article L. 312-16 n’est pas une obligation purement formelle », et décide que « les intérêts, le cas échéant majorés en application l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, ne pourront excéder 2,5’% l’an ».

I. Le sens de la décision

A. Un contrôle de solvabilité substantiel et prospectif

La juridiction d’appel retient une conception exigeante du devoir de vérification imposé par l’article L. 312-16 du code de la consommation. Le prêteur avait recueilli des pièces justificatives, cependant la cour écarte une approche formaliste et rappelle que « l’obligation de vérifier la solvabilité des emprunteurs en préalable à l’octroi du prêt […] n’est pas une obligation purement formelle ». Le contrôle doit apprécier la consistance, l’évolution prévisible et la stabilité des ressources et des charges, notamment en présence de pensions d’invalidité et d’une proximité de la retraite.

L’espèce illustre l’exigence d’une projection prudente, compte tenu d’un ratio d’endettement avoisinant 45 % et d’un encours global accru par frais et trésorerie. La cour souligne la fragilité d’un équilibre budgétaire appelé à se dégrader avec la baisse anticipée des revenus. Elle constate une « vérification d’apparence » au regard des éléments disponibles, puis privilégie une analyse concrète des conséquences financières à moyen terme. Ainsi, l’insuffisance d’investigations sur la durée des prestations d’invalidité et les revenus à la retraite emporte manquement caractérisé.

B. La déchéance totale et ses effets légaux

Constatant la gravité du manquement, la cour applique l’article L. 341-2 et prononce une sanction intégrale. Elle décide, en des termes clairs, que « l’appelante sera déchue du droit aux intérêts, en totalité compte tenu de la gravité du manquement ». La mesure est proportionnée à l’insuffisance du contrôle, appréciée au regard des risques prévisibles d’insoutenabilité. La juridiction précise ensuite le régime des restitutions et imputations prévu par l’article L. 341-8. Elle rappelle que « les sommes perçues au titre des intérêts sont imputées sur le capital restant dû », garantissant l’effectivité de la sanction.

La cour corrige en outre l’omission du premier juge relative à la solidarité contractuelle, en retenant une condamnation solidaire conforme à la stipulation. Elle assortit la somme due des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, à droit constant. Cette présentation ordonnée du dispositif assure l’intelligibilité de la dette, distingue le capital du coût du crédit et préserve la cohérence de la sanction avec la mécanique de l’imputation.

II. Valeur et portée

A. Une articulation mesurée avec la majoration de l’article L. 313-3

La décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle attentive à l’effet utile des protections issues de la directive 2008/48/CE. La cour rappelle d’abord la limite de son office en relevant que « ni le premier juge, ni la cour statuant en l’espèce avec les pouvoirs du juge du fond, et non ceux du juge de l’exécution, ne peuvent écarter l’application des dispositions de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier ». Elle mobilise ensuite l’enseignement de la première chambre civile, selon lequel « il incombe au juge de réduire d’office, dans une proportion constituant une sanction effective et dissuasive […] le taux résultant des articles 1231-6 du code civil et L. 313-3 du code monétaire et financier lorsque celui-ci est supérieur ou équivalent au taux conventionnel dont le créancier a été privé ».

Ce double rappel conduit à une solution équilibrée. La cour n’exclut pas la majoration, qui demeure attachée au non-respect d’une décision de justice, mais elle en limite l’impact. Le plafond retenu assure la dissuasion de la faute initiale sans neutraliser l’outil de contrainte. Le choix d’un taux de 2,5 % résulte d’une mise en balance pragmatique entre l’effectivité de la sanction de déchéance et la finalité propre de la majoration légale.

B. Incidences pratiques sur le crédit de regroupement

La portée de l’arrêt est réelle pour les pratiques de regroupement de crédits souscrits à distance. Les établissements doivent documenter un contrôle dynamique intégrant horizon de retraite, nature et durée des prestations, et soutenabilité globale après restructuration. Le simple abaissement des mensualités ne suffit pas si l’endettement global augmente ou si le revenu futur diminue sensiblement. La motivation souligne que, malgré une charge mensuelle réduite, « cette charge […] n’en était pas moins insoutenable » au regard de la trajectoire prévisible.

La méthode retenue affecte aussi le contentieux du taux post-jugement. Le plafonnement juridictionnel, adossé à la jurisprudence de la Cour de cassation, consolide l’effectivité des sanctions protectrices. Les prêteurs sont incités à renforcer les diligences préalables, tandis que les emprunteurs bénéficient d’une sécurité accrue contre les coûts additionnels privant la sanction de portée. Cette orientation, claire et motivée, contribue à l’harmonisation des solutions en matière de crédit à la consommation.

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