Cour d’appel de Orléans, le 13 août 2025, n°24/01712

Par un arrêt rendu le 13 août 2025, la Cour d’appel d’Orléans confirme un jugement du Tribunal judiciaire de Tours ayant statué sur une opposition à injonction de payer dans le cadre d’un litige relatif à des travaux de plâtrerie.

Deux particuliers avaient confié à un artisan plaquiste des travaux de plâtrerie et d’isolation en deux temps : un premier chantier en 2016, puis un second en 2018 portant sur l’isolation des combles de leur maison d’habitation. Le devis du 22 février 2018, accepté partiellement le 13 mai suivant, prévoyait un montant de 2969,26 euros. L’artisan émettait une facture de 1466,63 euros le 9 octobre 2018, puis faisait signifier une sommation de payer le 28 novembre 2018. Parallèlement, les maîtres d’ouvrage avaient engagé une procédure de référé-expertise à l’encontre du maître d’œuvre et d’une autre entreprise, les opérations d’expertise étant ensuite étendues à l’artisan plaquiste. Sur requête de ce dernier, une ordonnance d’injonction de payer était rendue le 23 avril 2019 pour le montant de 1466,63 euros en principal. Cette ordonnance était signifiée à personne à l’un des débiteurs et à domicile à l’autre. Seule l’une des parties formait opposition dans le délai légal, le 8 juin 2019. Son cocontractant ne déposait des conclusions que le 1er juin 2022 devant la juridiction saisie.

Le Tribunal judiciaire de Tours, par jugement du 17 août 2022, déclarait irrecevable l’opposition tardive du premier débiteur, recevait celle formée par le second, rétractait l’ordonnance d’injonction de payer, mais condamnait néanmoins l’opposant au paiement de la somme réclamée, rejetant l’ensemble des demandes reconventionnelles fondées sur des malfaçons et non-conformités alléguées. Les deux maîtres d’ouvrage interjetaient appel de ce jugement le 23 mai 2024.

Devant la cour, les appelants soutenaient que le marché avait été conclu de façon indivisible par les deux maîtres d’ouvrage, de sorte que l’opposition formée par l’un devait produire effet au profit de l’autre. Ils invoquaient en outre des non-conformités et malfaçons affectant tant le premier que le second chantier, et sollicitaient la condamnation de l’artisan au paiement de diverses sommes au titre de l’indu, des travaux de reprise et du préjudice de jouissance. L’intimé demandait la confirmation du jugement entrepris.

Deux questions se posaient à la cour. La première était de savoir si l’opposition formée par un seul des codébiteurs à une ordonnance d’injonction de payer pouvait bénéficier à l’autre codébiteur qui n’avait pas agi dans le délai légal. La seconde portait sur la charge de la preuve des malfaçons et non-conformités invoquées à l’appui d’une exception d’inexécution.

La cour rejette l’ensemble des prétentions des appelants et confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle juge que le codébiteur n’ayant pas formé opposition dans le délai légal ne peut remettre en cause l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance d’injonction de payer dans le cadre de la procédure d’opposition initiée par une autre partie. Elle considère par ailleurs que les éléments de preuve produits par les appelants ne sont pas probants pour établir les malfaçons alléguées.

I. L’effet relatif de l’opposition à injonction de payer en cas de pluralité de débiteurs

A. Le principe de divisibilité de l’instance opposable aux codébiteurs

La cour rappelle avec netteté le cadre procédural applicable à l’opposition formée par un seul des codébiteurs solidaires ou conjoints. Elle énonce que « en l’absence d’opposition dans le délai légal, l’ordonnance d’injonction de payer produit tous les effets d’un jugement contradictoire ». Cette formulation reprend les termes de l’article 1422 du code de procédure civile et en tire les conséquences logiques en cas de pluralité de défendeurs.

Le raisonnement de la cour repose sur le principe de divisibilité de l’instance posé par l’article 324 du code de procédure civile. Ce texte dispose que les actes accomplis par une partie contre l’un des coïntéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres. La cour en déduit que le caractère relatif de l’opposition impose que « celle-ci bénéficie seulement au défendeur ayant effectivement agi ». Cette solution s’inscrit dans une lecture stricte des textes procéduraux qui privilégie l’autonomie de chaque partie dans l’exercice de ses droits de recours.

La portée de cette affirmation mérite d’être soulignée. La cour refuse d’étendre aux codébiteurs le bénéfice d’une opposition à laquelle ils ne se sont pas joints en temps utile. Elle écarte ainsi toute analyse fondée sur la solidarité ou l’indivisibilité du rapport d’obligation, pour s’en tenir au seul terrain procédural de l’effet relatif des voies de recours.

B. Le rejet de l’argumentation tirée de l’indivisibilité du marché

Les appelants invoquaient l’indivisibilité alléguée du marché de travaux pour soutenir que l’opposition formée par l’un devait nécessairement produire effet au profit de l’autre. Ils faisaient valoir que le contrat avait été conclu de façon indivisible par les deux maîtres d’ouvrage et que le codébiteur défaillant avait été convoqué à l’audience, où il s’était joint à l’opposition de sa compagne.

La cour écarte cette argumentation en la qualifiant de « dépourvue de pertinence ». Elle rappelle que l’article 324 du code de procédure civile prévoit certes des exceptions au principe de divisibilité, mais que celles-ci ne comprennent pas la procédure d’opposition à injonction de payer. La cour opère ainsi une distinction entre l’indivisibilité de l’obligation, notion de droit substantiel, et la divisibilité de l’instance, règle procédurale autonome.

Cette solution présente une cohérence certaine avec l’économie de la procédure d’injonction de payer. Cette procédure simplifiée repose sur la célérité et la sécurité juridique. Admettre qu’un codébiteur puisse bénéficier de l’opposition formée par un autre sans avoir lui-même agi dans le délai légal reviendrait à priver de toute portée les règles de forclusion. La cour confirme que l’ordonnance d’injonction de payer non frappée d’opposition produit, à l’égard du codébiteur défaillant, les effets d’un jugement contradictoire revêtu de l’autorité de chose jugée.

II. L’exigence probatoire dans l’exception d’inexécution opposée au créancier

A. La distinction rigoureuse entre les deux chantiers successifs

La cour procède à un examen attentif des éléments de preuve produits par les appelants pour étayer leur exception d’inexécution. Elle relève d’emblée une confusion entretenue par les maîtres d’ouvrage entre deux chantiers distincts : celui de 2016 portant sur la pose d’un isolant au sol, et celui de 2018 relatif à l’isolation des combles. L’expertise judiciaire ordonnée en référé ne concernait manifestement que le premier chantier.

La cour approuve le premier juge d’avoir considéré que les maîtres d’ouvrage « ne peuvent être entendus lorsqu’ils invoquent des malfaçons et des non-conformités affectant le premier chantier » pour contester la créance née du second. Cette distinction chronologique et matérielle entre les deux marchés successifs conditionne l’appréciation des moyens de défense. Les désordres éventuellement constatés sur un ouvrage ne peuvent fonder une exception d’inexécution relative à un ouvrage différent, fût-il réalisé par le même entrepreneur.

Les appelants tentaient de contourner cette difficulté en soutenant que les travaux de 2018 avaient en réalité pour objet de « limiter les défauts d’isolation qui étaient la conséquence de la non-conformité des travaux exécutés en 2017 ». La cour rejette cette argumentation en relevant qu’elle n’est pas étayée par des éléments probants. Cette appréciation rigoureuse des faits préserve le lien entre chaque contrat et son exécution propre.

B. L’insuffisance caractérisée des éléments de preuve produits

La cour examine ensuite la valeur probante des pièces versées aux débats par les appelants pour établir les malfaçons et non-conformités alléguées du chantier de 2018. Elle les écarte successivement en relevant leur caractère non contradictoire ou leur défaut de force probante.

S’agissant d’une mise en demeure émanant des appelants eux-mêmes, d’un relevé de prestations manquantes « dont l’auteur est ignoré » et d’un devis de travaux de mise en conformité, la cour observe qu’aucun de ces documents n’établit que les travaux envisagés constitueraient la reprise de travaux mal effectués dans le cadre du chantier litigieux. Le rapport d’expertise amiable du 9 décembre 2024 se heurte quant à lui à une objection décisive : rien ne démontre que l’artisan ait été appelé à intervenir aux opérations d’expertise. Son contenu « ne lui est pas opposable ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante en matière de preuve des désordres de construction. Le créancier qui oppose une exception d’inexécution supporte la charge d’établir les manquements contractuels qu’il allègue. Un rapport d’expertise amiable non contradictoire ne peut suffire à renverser cette charge probatoire. La cour rappelle ainsi l’importance du principe du contradictoire dans l’établissement de la preuve des malfaçons.

L’arrêt confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris et condamne les appelants aux frais irrépétibles de l’instance d’appel. Cette décision illustre la rigueur des exigences procédurales et probatoires dans le contentieux de la construction, tant au stade de l’exercice des voies de recours qu’à celui de la démonstration des manquements contractuels invoqués.

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Hassan KOHEN
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