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La procédure de traitement du surendettement des particuliers constitue un dispositif protecteur dont le bénéfice peut être retiré en cas de mauvaise foi du débiteur. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans le 13 août 2025 illustre les contours de cette notion et les conséquences d’une dissimulation patrimoniale dans le cadre d’une telle procédure.
En l’espèce, un couple avait saisi la commission de surendettement d’une demande de traitement de leur situation le 29 septembre 2020. Cette demande fut déclarée recevable par jugement du 11 février 2022. Le 18 août 2022, la commission imposait un rééchelonnement des créances sur 84 mois au taux de 0 %, assorti d’un effacement partiel ou total des dettes à l’issue du plan. Entre-temps, un bien immobilier appartenant à une SCI détenue par les débiteurs avait été vendu le 17 juin 2022 au prix de 750 000 euros.
Après recours, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Tours prononçait, par jugement du 17 juin 2024, la déchéance des débiteurs du bénéfice de la procédure de surendettement, constatant notamment l’absence de justification de l’utilisation du solde de la vente et l’existence de paiements irréguliers au profit de tiers. Les débiteurs interjetèrent appel de cette décision le 26 juin 2024.
Les appelants soutenaient leur bonne foi, arguant que « la simple imprudence ou imprévoyance n’est pas constitutive de mauvaise foi ». Ils contestaient également le montant du solde restant après la vente, l’évaluant à 41 739,47 euros et non à 419 167,91 euros comme retenu par le premier juge. Ils admettaient avoir effectué un virement de 45 000 euros sur le compte de leur fille, affirmant que ces sommes avaient servi à régler des charges courantes.
Les établissements bancaires créanciers sollicitaient la confirmation du jugement, produisant un courrier électronique par lequel les débiteurs reconnaissaient avoir opéré des virements « pour éviter tout risque de saisie privilégiant d’autres créanciers ».
La question posée à la cour était de déterminer si les débiteurs avaient fait preuve de mauvaise foi justifiant leur déchéance du bénéfice de la procédure de surendettement, notamment par l’organisation de transferts patrimoniaux au profit de tiers pendant le cours de la procédure.
La Cour d’appel d’Orléans confirme le jugement de première instance. Elle retient que les versements effectués au profit de la fille des débiteurs et de sociétés tierces à la procédure constituent une violation des dispositions de l’article L. 761-1 du code de la consommation. Elle constate que les appelants « reconnaissent, et même invoquent le fait qu’ils ont opéré des versements au profit de tiers au détriment de leurs créanciers ».
Cette décision invite à examiner les éléments constitutifs de la mauvaise foi dans le cadre du surendettement (I) avant d’en apprécier les manifestations par l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité (II).
I. La caractérisation de la mauvaise foi du débiteur surendetté
La mauvaise foi constitue un motif de déchéance du bénéfice de la procédure de surendettement, dont les critères d’appréciation méritent d’être précisés (A), au regard des obligations déclaratives pesant sur le débiteur (B).
A. Les critères d’appréciation de la mauvaise foi
La cour rappelle que la mauvaise foi doit être distinguée de la simple imprudence ou imprévoyance. Les débiteurs invoquaient cette distinction classique issue de la jurisprudence de la Cour de cassation, soutenant que « la négligence du débiteur en l’absence de conscience de créer ou d’aggraver l’endettement en fraude des droits des créanciers » ne saurait caractériser leur mauvaise foi.
La juridiction écarte cependant cette argumentation. Elle constate que les débiteurs « n’avaient fourni que des éléments parcellaires pour apprécier la situation ». Cette observation révèle que la mauvaise foi peut se déduire non seulement d’actes positifs mais également d’une attitude de dissimulation systématique.
Le premier juge avait relevé « de nombreuses irrégularités dans le montant de leur patrimoine déclaré et sur le montant des paiements effectués ». Ces irrégularités, maintenues malgré la réouverture des débats destinée à permettre aux débiteurs d’apporter les justifications nécessaires, participent à la caractérisation de la mauvaise foi.
La cour approuve cette analyse en considérant « que c’est de façon pertinente que le premier juge a relevé les éléments relatifs à la mauvaise foi ». Cette formulation témoigne d’une appréciation globale du comportement des débiteurs, intégrant tant leurs déclarations incomplètes que leurs actes de disposition.
B. Le manquement aux obligations déclaratives
L’article L. 761-1 du code de la consommation impose au débiteur bénéficiant d’une procédure de surendettement des obligations de transparence et de loyauté. La cour relève expressément que le virement de 45 000 euros effectué au profit de la fille des débiteurs « constitue une violation des dispositions de l’article L. 761-1 du code de la consommation ».
Cette qualification juridique précise ancre la décision dans le cadre légal applicable. Les débiteurs avaient l’obligation de déclarer l’ensemble de leurs ressources et de leurs actes de disposition. La vente d’un bien immobilier pour 750 000 euros constituait un événement majeur devant faire l’objet d’une information complète.
Les appelants tentaient de minimiser l’ampleur du solde disponible après la vente, l’évaluant à 41 739,47 euros plutôt qu’aux 419 167,91 euros retenus par le premier juge. Cette contestation portait sur l’affectation du prix de vente au passif de la SCI, dont « l’ampleur n’avait pas été démontrée » selon la juridiction.
La charge de la preuve de l’utilisation légitime des fonds incombait aux débiteurs. Leur incapacité à justifier de cette affectation renforce la présomption de détournement au détriment des créanciers de la procédure.
II. L’organisation frauduleuse de l’insolvabilité
Les transferts patrimoniaux opérés au profit de tiers révèlent une stratégie délibérée de soustraction d’actifs (A), dont les conséquences excèdent le cadre du surendettement (B).
A. La soustraction délibérée d’actifs au détriment des créanciers
La cour retient que « les appelants reconnaissent, et même invoquent le fait qu’ils ont opéré des versements au profit de tiers au détriment de leurs créanciers ». Cette reconnaissance spontanée, loin d’atténuer leur responsabilité, aggrave leur situation en démontrant le caractère conscient et assumé de leurs agissements.
Le courrier électronique du 14 février 2025 produit aux débats constitue un élément déterminant. Les débiteurs y indiquaient avoir effectué des virements sur le compte de leur fille « pour éviter tout risque de saisie privilégiant d’autres créanciers ». Cette formulation révèle une intention manifeste d’organiser leur insolvabilité.
Les paiements effectués au profit de la SCI et de la SARL tierces à la procédure aggravaient cette situation. La cour souligne que la seconde société « avait été dissoute le 31 décembre 2022, soit antérieurement au paiement intervenu à son profit ». Ce détail chronologique interroge sur la réalité et la légitimité de la créance prétendument réglée.
La juridiction en conclut que « l’affectation d’une partie des sommes constituant le produit de la vente du bien immobilier revient à mettre à la charge des créanciers les dettes des débiteurs au profit d’une SARL tierce à la procédure ». Cette analyse traduit une rupture de l’égalité entre créanciers, principe fondamental du droit des procédures collectives.
B. Les limites de la protection du patrimoine affecté
La cour valide l’argumentation des établissements bancaires selon laquelle « ce n’est pas aux créanciers personnels du couple qu’il appartient de supporter les dettes fiscales dans le cadre de l’entreprise individuelle » de l’épouse. Cette observation prend un relief particulier au regard du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
Le patrimoine affecté à l’activité professionnelle répond des dettes nées de cette activité, tandis que le patrimoine personnel répond des dettes personnelles. L’utilisation de ressources personnelles pour éteindre des dettes professionnelles, alors qu’une procédure de surendettement personnel était en cours, constitue un détournement de la protection légale.
Cette décision rappelle que le bénéfice d’une procédure de surendettement implique une collaboration loyale avec les organes de la procédure. Les transferts patrimoniaux opérés sans autorisation judiciaire et au mépris des droits des créanciers justifient pleinement la sanction de déchéance prononcée.
L’indemnité de fin de carrière perçue par l’époux avait pareillement échappé à la procédure. La cour constate que « les sommes concernées ont échappé à la procédure de surendettement qui avait été engagée selon déclaration du 29 septembre 2020 ». Cette ressource exceptionnelle aurait dû bénéficier aux créanciers de la procédure.