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La Cour d’appel d’Orléans, 15 juillet 2025, statue sur l’évaluation du préjudice économique d’un conjoint survivant et de deux enfants mineurs après un décès imputable à un accident de la circulation à l’étranger. La question porte sur la méthode de calcul, notamment le choix du barème de capitalisation, la détermination du revenu de référence, la part d’autoconsommation et la répartition des pertes.
Les faits tiennent au décès du conducteur non professionnel, laissant un conjoint et deux enfants, dont l’un à naître au jour du drame. Le véhicule était prêté par son propriétaire, et l’accident s’est produit au Portugal. Les survivants ont entrepris une action indemnitaire contre l’assureur du véhicule.
Par jugement du tribunal judiciaire d’Orléans, 6 septembre 2023, plusieurs postes ont été alloués, incluant les frais d’obsèques, le préjudice d’affection et le préjudice économique. L’assureur a relevé appel, contestant en substance l’évaluation économique et sollicitant l’application d’un barème antérieur, avec des paramètres différents de consommation et de retraite. Les intimés ont conclu à la confirmation, en actualisant leurs demandes au regard du barème de la Gazette du Palais 2022.
La question de droit tient à la méthode d’indemnisation du préjudice économique des proches de la victime directe, en particulier le barème de capitalisation applicable, le paramètre d’autoconsommation, la base de revenus à retenir et la clé de répartition entre conjoint et enfants. La cour adopte le barème 2022 à taux 0, retient 15 % d’autoconsommation du défunt, calcule la perte annuelle sur le seul revenu du foyer effectivement disponible, capitalise viagèrement sur le paramètre du conjoint statistiquement premier décédé, et alloue des rentes temporaires aux enfants jusqu’à 25 ans. Le préjudice d’affection est porté à 30 000 euros pour chacun des proches, tandis que le plafond contractuel des frais d’obsèques est maintenu.
I. Le sens de la décision
A. Revenu de référence et autoconsommation
La cour fixe d’abord la méthode en retenant le revenu annuel effectivement disponible au moment du décès. Elle explique que « Le processus d’évaluation de ce préjudice pour le conjoint survivant et les enfants consiste à rechercher la perte annuelle pour les survivants, à la répartir entre eux en fonction de la durée pendant laquelle ils pouvaient normalement y prétendre. » La solution écarte toute projection spéculative au profit des ressources effectivement perçues au jour du sinistre.
Le revenu annuel pris en compte est celui du défunt, le conjoint survivant étant sans emploi. La part d’autoconsommation est fixée à 15 %, ce qui détermine une perte annuelle nette de 20 751,49 euros. Cette proportion s’inscrit dans une pratique jurisprudentielle de pondération sobre, adaptée à un foyer avec deux enfants, et cohérente avec la finalité strictement indemnitaire. La cour refuse également toute imputation de prestations qui ne présentent pas de caractère indemnitaire avéré ou qui ne sont pas perçues.
Ce calibrage concentre l’évaluation sur la réalité économique du foyer, réduit le risque de double indemnisation et prépare la répartition ultérieure entre les bénéficiaires. La démarche répond à l’exigence de prévisibilité, sans céder aux schémas mécaniques inadaptés aux circonstances particulières du foyer.
B. Capitalisation et répartition des pertes
La cour adopte la capitalisation viagère au moyen du barème de la Gazette du Palais 2022 à taux 0. Elle rappelle que « Il convient d’évaluer le préjudice économique global de la famille en capitalisant cette perte annuelle, c’est à dire en multipliant ce préjudice annuel par le prix de l’euro de rente viagère correspondant à l’âge et au sexe de celui des deux conjoints qui serait normalement décédé le premier, en l’espèce l’homme qui a une espérance de vie moindre. » Le prix retenu pour un homme de 28 ans est de 51,864, produisant un capital de 1 076 255,27 euros.
La répartition interne suit une clé asymétrique mais usuelle. La cour indique qu’« on peut proposer une répartition de 15% pour chacun des enfants et 60% pour le conjoint. » Elle capitalise ensuite les pertes des enfants jusqu’à 25 ans, selon un euro de rente temporaire de 23,968 pour l’aîné et de 24,885 pour le cadet, conduisant à 74 605,67 euros et 77 460,03 euros. Après déduction, le solde du conjoint survivant s’élève à 924 189,57 euros.
Le choix du paramètre « premier décédé » confirme une orthodoxie acturarielle consacrée, qui évite une surévaluation par référence à l’espérance de vie la plus longue. La capitalisation à taux 0, adossée au barème 2022, privilégie une neutralité intertemporelle prudente, compatible avec l’objectif de réparation intégrale en contexte de taux volatils.
II. Valeur et portée
A. Le choix du barème et des paramètres
La cour refuse le barème 2020 proposé par l’assureur et privilégie celui de 2022, plus récent et adapté à l’environnement financier du litige. Elle retient un taux de capitalisation nul, qui prévient les biais d’actualisation défavorables en période d’incertitude monétaire. Le calibrage 2022, conjugué à l’âge et au sexe du « premier décédé », cadre la réparation sur des hypothèses démographiques réalistes et transparentes.
Cette solution rehausse mécaniquement le quantum par rapport à des tables plus anciennes, mais elle reflète la nécessaire actualisation des références. Elle renforce l’exigence d’objectivation du calcul, tout en ouvrant la voie à une harmonisation accrue entre juridictions du fond. L’exclusion des avantages non indemnitaires, faute de versement, illustre enfin l’orthodoxie du raisonnement quant à la causalité et à la non-cumulabilité.
B. Conséquences pratiques et articulation des chefs
La cour clarifie la fonction du préjudice d’affection, dont elle rappelle la définition normative : « Le préjudice d’affection est le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès de la victime directe. » L’octroi de 30 000 euros à chacun des proches s’ajuste aux circonstances lourdes de l’espèce, incluant la très jeune âge des enfants et la grossesse au moment des faits.
S’agissant des frais d’obsèques, la solution se conforme au contrat, en maintenant la limitation prévue par les conditions générales. La primauté de la stipulation assurantielle, contrôlée par le juge, s’articule avec l’office de réparation sans méconnaître l’impératif d’intégralité, ici borné par la garantie. L’ensemble forme un dispositif cohérent, où la capitalisation actualisée, la clé de répartition et la définition des chefs extra-patrimoniaux structurent une pratique d’indemnisation lisible et reproductible.