Cour d’appel de Orléans, le 15 juillet 2025, n°24/03154

Le litige opposant un organisme de sécurité sociale à un employeur relativement à l’imputabilité des arrêts de travail et soins consécutifs à un accident du travail soulève des questions fondamentales quant aux obligations de transmission documentaire pesant sur les caisses et quant à l’étendue de la présomption d’imputabilité. La cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt du 15 juillet 2025, apporte des précisions significatives sur ces deux aspects.

Un salarié d’une société spécialisée dans la livraison de matériel médical a déclaré avoir été victime d’un accident du travail le 18 novembre 2022 : alors qu’il reprenait un lit chez un patient, il aurait perdu l’équilibre dans les escaliers, la base du lit lui heurtant la fesse droite. Le certificat médical initial du 21 novembre 2022 faisait état d’une « D# sciatique S1 ». La caisse primaire d’assurance maladie a notifié à l’employeur sa décision de prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle. Le salarié a bénéficié de 379 jours d’arrêts de travail.

L’employeur a saisi la commission médicale de recours amiable le 19 mai 2023, contestant l’imputabilité des arrêts et soins à l’accident déclaré. Dans le cadre de ce recours, il a désigné un médecin pour recevoir les pièces médicales. La commission a rejeté sa contestation par décision du 21 septembre 2023. L’employeur a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Châteauroux le 16 novembre 2023. Par jugement du 17 septembre 2024, le tribunal l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

L’employeur a interjeté appel. Il demandait l’annulation de la décision de la commission de recours amiable, l’infirmation du jugement et la désignation d’un expert médical. Il soutenait que seul le certificat médical initial lui avait été transmis malgré 379 jours d’arrêts de travail, que la durée de l’arrêt était disproportionnée au regard des recommandations de la Haute autorité de santé, et que le refus de la caisse de transmettre les certificats médicaux le mettait dans l’impossibilité d’apporter un commencement de preuve. La caisse soutenait avoir transmis les éléments médicaux au médecin mandaté et rappelait que l’absence de transmission du rapport médical était sans incidence sur l’opposabilité de sa décision.

La question posée à la cour était celle de savoir si l’absence de transmission par la caisse de l’intégralité des certificats médicaux de prolongation au médecin mandaté par l’employeur, dans le cadre du recours médical préalable, justifiait l’organisation d’une mesure d’expertise judiciaire.

La cour d’appel d’Orléans a ordonné une expertise médicale sur pièces. Elle a relevé que « dans le cadre du recours médical initié par la société [6], la [10] n’a pas transmis au Dr [Y] l’ensemble des certificats médicaux de prolongation nécessairement établis pour 379 jours d’arrêts ‘ pas plus qu’elle ne les produit devant la Cour – et qu’elle ne démontre ainsi pas la continuité des symptômes et des soins lui permettant d’invoquer la présomption d’imputabilité ». Elle a précisé que « si l’absence de transmission de l’ensemble des certificats médicaux de prolongation au médecin mandaté par la société, empêchant un débat contradictoire loyal, au stade du recours médical amiable n’est pas sanctionné par l’inopposabilité des soins et arrêts, elle justifie en revanche en l’espèce, d’ordonner une mesure d’expertise ».

Cette décision présente un intérêt particulier en ce qu’elle articule les obligations documentaires de la caisse avec le jeu de la présomption d’imputabilité. Il convient d’examiner successivement l’encadrement des obligations de transmission documentaire pesant sur la caisse (I), puis les conséquences procédurales attachées au manquement à ces obligations (II).

I. L’encadrement des obligations de transmission documentaire de la caisse

La cour d’appel d’Orléans rappelle avec précision le contenu des obligations pesant sur la caisse (A), avant d’en constater le non-respect caractérisé en l’espèce (B).

A. Le contenu légal des obligations de transmission

L’article L.142-6 du code de la sécurité sociale impose au praticien conseil du contrôle médical de transmettre, pour les contestations de nature médicale, « l’intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l’examen clinique de l’assuré, ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision ». Cette transmission s’effectue à l’attention exclusive de l’autorité compétente pour examiner le recours préalable, ou, à la demande de l’employeur, au médecin qu’il mandate à cet effet.

L’article R.142-1-A précise le contenu de ce rapport médical. Il doit comprendre l’exposé des constatations faites par le praticien-conseil, ses conclusions motivées, ainsi que « les certificats médicaux, détenus par le praticien-conseil du service du contrôle médical et, le cas échéant, par la caisse, lorsque la contestation porte sur l’imputabilité des lésions, soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle ».

La cour reprend ces textes dans leur intégralité. Elle souligne ainsi que l’obligation de transmission ne se limite pas au certificat médical initial mais s’étend à l’ensemble des certificats de prolongation. Cette exigence répond à une logique d’équité procédurale : l’employeur qui conteste l’imputabilité des arrêts doit pouvoir disposer des éléments lui permettant d’apprécier la continuité des symptômes et des soins.

B. Le manquement caractérisé de la caisse

En l’espèce, la caisse prétendait avoir satisfait à ses obligations en produisant un courrier du 30 août 2023 indiquant la transmission de « l’intégralité du rapport médical mentionné à l’article L.142-6 du code de la sécurité sociale ». La cour n’a pas retenu cette affirmation.

Le médecin mandaté par l’employeur a relevé dans son avis du 1er septembre 2023 que « seul le certificat médical initial du 21 novembre 2022 » lui avait été communiqué. Il a également noté que selon le médecin conseil, il n’y avait « pas de dossier disponible » et qu’aucun examen n’avait été réalisé au service médical. Il en a conclu que « la communication qui m’a été faite ne respecte pas les dispositions des articles L.142-6 et L.142-10 du code de la sécurité sociale ».

La cour a constaté que la caisse « n’a pas transmis au Dr [Y] l’ensemble des certificats médicaux de prolongation nécessairement établis pour 379 jours d’arrêts ». Elle a également relevé que la caisse ne produisait pas davantage ces certificats devant elle. Ce double constat établit de manière irréfutable le manquement de la caisse à ses obligations légales de transmission documentaire.

II. Les conséquences procédurales du manquement aux obligations de transmission

La cour adopte une position nuancée en refusant l’inopposabilité des arrêts comme sanction (A), tout en ordonnant une mesure d’expertise pour restaurer le contradictoire (B).

A. Le refus de l’inopposabilité comme sanction du manquement

La cour affirme clairement que « l’absence de transmission de l’ensemble des certificats médicaux de prolongation au médecin mandaté par la société […] n’est pas sanctionné par l’inopposabilité des soins et arrêts ». Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui distingue les irrégularités de procédure des causes d’inopposabilité.

L’inopposabilité sanctionne les manquements de la caisse aux règles de procédure destinées à protéger les droits de l’employeur dans le cadre de l’instruction du dossier d’accident du travail. Les défaillances dans la transmission documentaire au stade du recours médical amiable relèvent d’une autre logique. Elles n’affectent pas la régularité de la décision initiale de prise en charge mais compromettent l’exercice effectif du droit au recours.

Cette distinction présente une cohérence certaine. Admettre l’inopposabilité pour tout manquement aux obligations de transmission conduirait à des solutions disproportionnées. Un salarié victime d’un accident du travail incontestable pourrait voir sa prise en charge remise en cause du seul fait d’une négligence administrative de la caisse dans la constitution du dossier médical.

B. L’expertise judiciaire comme remède au défaut de contradictoire

La cour tire les conséquences du manquement de la caisse en ordonnant une expertise médicale sur pièces. Elle relève que l’absence de transmission « empêch[e] un débat contradictoire loyal » et que la caisse « ne démontre ainsi pas la continuité des symptômes et des soins lui permettant d’invoquer la présomption d’imputabilité ».

Le raisonnement de la cour opère un renversement de la charge probatoire. En principe, la présomption d’imputabilité s’applique aux lésions initiales et s’étend pendant toute la période d’incapacité précédant la consolidation, comme le rappelle la cour en visant l’arrêt de la deuxième chambre civile du 18 février 2021. L’employeur doit prouver que les arrêts ont une cause totalement étrangère au travail. Toutefois, cette présomption suppose que soit établie la continuité des symptômes et des soins.

En refusant de transmettre les certificats de prolongation, la caisse s’est privée de la possibilité de démontrer cette continuité. La cour en déduit logiquement que l’expertise s’impose pour pallier cette carence. L’expert désigné devra « indiquer, de façon motivée, si les arrêts de travail et les soins prescrits à compter de l’accident du travail et jusqu’à la date où M. [O] a été déclaré consolidé […] sont imputables dans leur intégralité à l’accident et à ses suites ».

Cette solution présente l’avantage de préserver les droits de toutes les parties. L’employeur pourra enfin disposer d’un examen contradictoire des éléments médicaux. La caisse conserve la possibilité de voir confirmée l’imputabilité des arrêts si l’expertise établit la continuité des symptômes. Le salarié n’est pas directement affecté par cette mesure d’instruction ordonnée dans les rapports entre l’employeur et la caisse.

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Hassan KOHEN
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