Cour d’appel de Orléans, le 15 juillet 2025, n°24/03256

L’arrêt rendu le 15 juillet 2025 par la chambre des affaires de sécurité sociale de la Cour d’appel d’Orléans vient préciser les modalités d’appréciation de la situation financière d’un assuré sollicitant une remise de dette née d’un trop-perçu d’indemnisation consécutif à une décision de justice ultérieurement réformée.

Un salarié, chauffeur livreur, a été victime d’un accident du travail le 17 novembre 2009. Par jugement du 16 mai 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale a reconnu la faute inexcusable de l’employeur, ordonné la majoration de la rente et alloué une provision de 10 000 euros. Le 23 octobre 2018, le même tribunal a liquidé les préjudices à hauteur de 91 334,20 euros, somme versée par la caisse le 8 novembre 2018. La provision ayant déjà été réglée, l’assuré l’a restituée le 10 janvier 2019. Saisie d’un appel de l’employeur, la Cour d’appel d’Orléans a, par arrêt du 25 février 2020, réduit l’indemnisation globale à 56 334 euros. La caisse a alors notifié un trop-perçu de 35 000 euros. La commission de recours amiable a accordé une remise partielle de 15 000 euros, maintenant une créance de 20 000 euros. Le pôle social du tribunal judiciaire d’Orléans, par jugement du 27 septembre 2024, a accordé une remise totale. La caisse a interjeté appel, contestant le mode de calcul du reste à vivre retenu par les premiers juges.

La question posée à la cour était de déterminer si, pour apprécier la précarité financière d’un assuré sollicitant une remise de dette, il convient de prendre en compte les ressources de son conjoint lorsque la dette présente un caractère personnel.

La Cour d’appel d’Orléans confirme le jugement entrepris. Elle retient que la dette litigieuse constitue une dette personnelle de l’assuré et qu’il n’y a donc pas lieu d’intégrer les revenus du conjoint dans le calcul du reste à vivre. Elle approuve la méthode consistant à ne retenir que les ressources propres de l’intéressé et à diviser les charges du couple par moitié.

La solution rendue par la cour repose sur une articulation entre le caractère personnel de la dette et la méthode d’évaluation des capacités contributives (I), tout en s’inscrivant dans une approche protectrice de l’assuré victime d’un accident du travail (II).

I. Le caractère personnel de la dette comme critère déterminant du calcul du reste à vivre

La cour consacre une corrélation logique entre la nature de la dette et le périmètre des ressources à considérer (A), adoptant ainsi une méthode de calcul favorable à l’assuré (B).

A. La qualification de dette personnelle et ses conséquences

La cour énonce que « la dette litigieuse est une dette personnelle » de l’assuré. Cette qualification emporte une conséquence majeure : « il n’y a pas lieu de tenir compte des revenus de son épouse pour déterminer le reste à vivre ». Cette position s’inscrit dans une logique juridique cohérente. La dette trouve son origine dans un trop-perçu d’indemnisation allouée à l’assuré seul, en réparation de préjudices qui lui sont exclusivement personnels. Il serait paradoxal d’exiger d’un tiers, fût-il le conjoint, qu’il contribue au remboursement d’une somme à laquelle il n’avait aucun droit.

La caisse soutenait pourtant une approche différente, invoquant les ressources globales du foyer de 2 382,47 euros pour aboutir à un reste à vivre de 865,04 euros. Cette méthode, si elle peut se justifier pour des dettes ménagères ou solidaires entre époux, apparaît inadaptée lorsque la dette est née d’un événement strictement personnel.

B. Une méthode de calcul protectrice

La cour approuve expressément la méthode retenue par le tribunal consistant à « ne retenir que ses propres ressources et en divisant les charges du couple par moitié ». Cette approche présente l’avantage de la cohérence : si seules les ressources personnelles sont prises en compte, il serait inéquitable de faire peser sur l’assuré l’intégralité des charges du ménage. Le partage par moitié constitue une solution d’équilibre.

Le reste à vivre ainsi calculé s’établit à 403,10 euros, somme que la cour juge insuffisante pour faire face à une dette de 20 000 euros. La précarité de la situation se trouve ainsi caractérisée de manière objective, justifiant l’octroi d’une remise totale plutôt que partielle.

II. Une approche protectrice de la victime d’accident du travail

Cette décision s’inscrit dans le contexte particulier de la faute inexcusable de l’employeur (A) et pose la question de sa portée pour les litiges similaires (B).

A. Le contexte de la faute inexcusable

L’arrêt ne peut se comprendre sans rappeler que l’assuré a été reconnu victime de la faute inexcusable de son employeur. Cette circonstance confère à l’affaire une dimension particulière. L’intéressé se trouve, comme le soulignait le tribunal, « dans l’incapacité la plus totale d’occuper un quelconque emploi ». Son préjudice, loin de s’atténuer, s’est aggravé au fil du temps.

La cour fait sienne cette analyse en adoptant « les exacts motifs » des premiers juges. Elle refuse ainsi de faire supporter à la victime les conséquences financières d’une réduction d’indemnisation décidée sur appel de l’employeur fautif. Si la caisse dispose légitimement d’une créance de répétition, le recouvrement forcé de celle-ci ne saurait placer l’assuré dans une situation de détresse financière incompatible avec la finalité même du droit de la sécurité sociale.

B. La portée de la décision

Cet arrêt, s’il statue sur une espèce particulière, énonce un principe susceptible d’application plus large. Chaque fois qu’une dette de sécurité sociale présentera un caractère strictement personnel, le reste à vivre devra être calculé sur les seules ressources du débiteur. Cette solution pourrait trouver à s’appliquer dans d’autres hypothèses de trop-perçu, notamment en matière de prestations familiales ou d’allocations diverses.

La caisse est condamnée aux dépens et au paiement de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette condamnation, bien que modeste, sanctionne un appel qui n’avait guère de chances de prospérer au regard des principes rappelés par les premiers juges. La cour confirme ainsi que l’organisme social ne saurait, par la voie du recours, contraindre un assuré précaire à rembourser une dette que sa situation personnelle lui interdit d’honorer.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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