Cour d’appel de Orléans, le 24 juillet 2025, n°23/01820

La Cour d’appel d’Orléans, par un arrêt du 24 juillet 2025, se prononce sur le droit à commission d’un agent commercial immobilier après la cessation de son contrat d’agence. Une personne physique avait exercé une activité d’agent commercial pour le compte d’une société entre le 1er avril et le 31 décembre 2019. Ayant appris que deux mandats obtenus avant son départ avaient débouché sur des ventes, elle sollicitait le paiement des commissions afférentes.

Les faits de l’espèce révèlent que l’agent avait conclu deux mandats de vente durant son activité. Pour le premier, elle avait rencontré la propriétaire, signé le mandat, présenté le bien à l’acquéreur et effectué plusieurs visites. Pour le second, elle avait accompli l’intégralité des démarches jusqu’à l’obtention d’une offre d’achat acceptée avant son départ. Les deux ventes ont été réalisées respectivement en juillet et mai 2020, soit dans les huit mois suivant la cessation du contrat.

Par jugement du 24 février 2023, le tribunal de commerce de Tours avait condamné la société au paiement de 9 500 euros de commissions, rejetant toutefois la demande d’indemnisation du préjudice moral. La société a interjeté appel, contestant le principe même du droit à commission et sollicitant reconventionnellement des dommages-intérêts.

La question posée à la cour était double. Elle concernait d’abord les conditions d’application du droit de suite de l’agent commercial prévu à l’article L. 134-7 du code de commerce et la méthode de calcul des commissions dues. Elle portait ensuite sur la caractérisation d’un manquement à l’obligation de bonne foi contractuelle ouvrant droit à réparation.

La cour infirme partiellement le jugement. Elle réduit le montant des commissions à 6 041,50 euros tout en reconnaissant, par infirmation, le préjudice moral de l’agent à hauteur de 1 000 euros.

La décision présente un intérêt certain en ce qu’elle précise les critères d’appréciation du droit de suite de l’agent commercial (I) et illustre les contours de l’obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat d’agence (II).

I. La détermination du droit de suite de l’agent commercial

La cour procède à une application rigoureuse des critères légaux et contractuels du droit de suite (A), avant d’exercer son pouvoir modérateur dans le calcul des commissions (B).

A. L’application cumulative des critères légaux et contractuels

L’article L. 134-7 du code de commerce dispose que l’agent commercial a droit à commission pour toute opération conclue après la cessation du contrat lorsque « l’opération est principalement due à son activité au cours du contrat d’agence » et qu’elle « a été conclue dans un délai raisonnable ». La cour vérifie méthodiquement ces deux conditions.

S’agissant du délai raisonnable, la cour retient que la vente « finalement réitérée en juillet 2020 soit dans les 8 mois du départ » de l’agent « a été conclue dans un délai raisonnable au sens de l’article L 134-7 précité ». Elle observe que « le contrat d’agent commercial conclu entre les parties ne prévoit pas de délai s’agissant du droit de suite de l’agent ». Cette absence de clause contractuelle restrictive laisse au juge une marge d’appréciation. Un délai de huit mois apparaît conforme à la pratique immobilière où les transactions nécessitent plusieurs mois entre la prospection et la signature authentique.

Quant au critère de l’activité principale, la cour articule les dispositions légales avec les stipulations contractuelles. L’article 10-1 du contrat prévoyait le droit aux commissions « en cas de cessation du présent contrat et quelle que soit la cause de cette rupture ». La cour interprète cette clause comme ne dérogeant pas à l’exigence légale mais la complétant. Elle recherche « dans quelle mesure les ventes réalisées […] l’ont été via l’intervention » de l’agent et « peuvent être considérées comme étant principalement dues à son activité ».

Cette méthode d’interprétation témoigne de la volonté du juge de ne pas se satisfaire d’un critère purement formel. La seule intervention de l’agent ne suffit pas ; encore faut-il que cette intervention ait été déterminante dans la conclusion de l’opération.

B. L’exercice du pouvoir modérateur dans la fixation des commissions

La cour opère une distinction remarquée entre les deux mandats litigieux. Pour le second mandat, elle constate que l’agent « a réalisé l’ensemble des démarches attendues d’elle jusqu’à la rédaction du compromis de vente » et que « l’offre d’achat […] a d’ailleurs été acceptée par le vendeur avant son départ ». Elle en déduit que « la vente […] est principalement due à son activité » et reconnaît un droit aux entières commissions.

Pour le premier mandat, l’analyse est plus nuancée. Si l’agent a « fait visiter et a présenté le bien à l’acquéreur », la cour relève que « son aboutissement est dû tout autant à l’important travail » du gérant de la société mandante. Celui-ci avait dû s’investir « significativement » face à des « difficultés apparues postérieurement au départ » de l’agent, relatives au bail en cours et à des travaux envisagés par le syndic.

La cour exerce alors le « pouvoir souverain reconnu au juge du fond de déterminer le salaire dû à un intermédiaire en tenant compte des circonstances de la cause et des services rendus ». Elle accorde l’intégralité de la commission d’entrée de mandat mais seulement la moitié de la commission de sortie. Cette solution équilibrée reconnaît la contribution de l’agent tout en tenant compte du travail accompli par le mandant après la cessation du contrat.

La réduction globale des sommes allouées par rapport au jugement de première instance s’explique également par la déduction de la TVA, que les premiers juges avaient omise. La cour souligne qu’il « aurait été aisé » d’obtenir cette rectification « en dehors de toute procédure judiciaire, dans le cadre, par exemple, de la médiation ».

II. La sanction du manquement à l’obligation de bonne foi

L’arrêt caractérise avec précision les comportements déloyaux du mandant (A) et en tire les conséquences indemnitaires (B).

A. La caractérisation de la déloyauté contractuelle

Les articles 1103 et 1104 du code civil imposent que les contrats soient exécutés de bonne foi. La cour identifie plusieurs manquements successifs du gérant de la société mandante.

Le premier manquement réside dans le défaut d’information. La cour relève que le gérant « n’a pas tenu spontanément » l’agent « informé du devenir des signatures des compromis et des ventes afférents aux deux mandats litigieux, malgré son engagement pris en ce sens ». Ce silence était d’autant plus critiquable qu’il « n’ignorait pas que celle-ci était susceptible de prétendre au paiement de commissions sur ces ventes ». La cour qualifie ce comportement de « déloyauté à l’endroit de son ancienne collaboratrice mandataire ».

Le deuxième manquement concerne l’attitude dilatoire face aux réclamations légitimes. Alors que le gérant « ne pouvait sérieusement contester » le droit de l’agent à certaines commissions, il « n’a eu de cesse de contester les demandes » en la « laissant ainsi que son avocate le relancer régulièrement pendant une année, sans lui proposer à tout le moins de manière concrète le règlement d’une part de commissions non discutable ».

Le troisième manquement porte sur le refus de médiation. Alors que le contrat « faisait obligation aux parties de soumettre leur litige à un médiateur avant toute éventuelle action judiciaire », le gérant « a refusé toute médiation » au motif que le partage des honoraires du médiateur n’était pas justifié. La cour souligne que cette attitude s’est poursuivie après l’introduction de l’instance, la société n’ayant toujours pas réglé les causes du jugement au début de l’année 2024.

B. L’allocation d’une indemnité au titre du préjudice moral

Les premiers juges avaient écarté la demande indemnitaire au motif succinct qu’elle n’était fondée « ni dans son principe ni dans son quantum ». La cour censure cette appréciation en relevant que l’agent « justifie pourtant de l’intégralité de ses démarches ».

La cour qualifie l’attitude du gérant de « fautive » en ce qu’elle a été « source de tracasseries particulières ». Elle observe que « la jeune femme » avait « dû multiplier vainement les démarches pendant plus d’un an, à l’aide de son avocate, pour chercher à obtenir la rétribution du maigre fruit de son travail réalisé au cours des 8 mois passés au sein de l’agence ».

L’indemnité allouée de 1 000 euros demeure modeste au regard des 2 000 euros sollicités. Ce montant reflète toutefois une réalité contentieuse où le préjudice moral résultant de tracasseries administratives est traditionnellement évalué avec retenue. La cour sanctionne moins un dommage matériel quantifiable qu’une atteinte à la confiance légitime dans l’exécution loyale des conventions.

Cette solution présente une portée pratique significative. Elle rappelle aux mandants que le refus injustifié de payer les commissions dues à un agent commercial ne constitue pas seulement un manquement contractuel susceptible de condamnation au principal. Il peut également caractériser une faute autonome ouvrant droit à réparation du préjudice moral causé par les démarches vaines et les tracasseries subies par le créancier.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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