Cour d’appel de Orléans, le 26 juin 2025, n°23/01690

Le régime du temps de travail de l’apprenti demeure une source significative de contentieux prud’homal. La cour d’appel d’Orléans, par un arrêt du 26 juin 2025, vient préciser les obligations pesant sur l’employeur en matière de contrôle des heures et de respect des durées maximales de travail.

Un salarié a été engagé du 7 octobre 2019 au 28 août 2021 par une société dans le cadre d’un contrat d’apprentissage en vue de préparer un BTS management opérationnel. La relation de travail relevait de la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997. L’apprenti a saisi le conseil de prud’hommes de Blois le 1er février 2022 afin d’obtenir le paiement de rappels de salaire au titre d’heures supplémentaires, d’une indemnité compensatrice de congés payés et de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail.

Le conseil de prud’hommes de Blois, par jugement du 1er juin 2023, a condamné l’employeur à verser 1 698,95 euros de rappel de salaire, 722,19 euros au titre des congés payés, 1 500 euros de dommages-intérêts et 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’employeur a interjeté appel le 1er juillet 2023, sollicitant l’infirmation du jugement et le débouté intégral du salarié. Le salarié a demandé la confirmation du jugement et formé une demande de dommages-intérêts portée à 3 000 euros, ainsi que 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

La cour d’appel d’Orléans devait déterminer si l’apprenti avait satisfait à son obligation probatoire en matière d’heures supplémentaires et si l’employeur avait respecté les durées maximales de travail quotidienne et hebdomadaire prévues par le code du travail et la convention collective applicable.

La cour confirme intégralement le jugement de première instance. Elle retient que le salarié a présenté des éléments suffisamment précis, notamment des tableaux d’horaires quotidiens et un récapitulatif chiffré, permettant à l’employeur de répondre utilement. Elle constate que l’employeur « ne produit aucune pièce permettant de déterminer objectivement les heures de travail effectuées » et « se limite à critiquer les pièces produites par l’apprenti ». Elle condamne en outre l’employeur pour non-respect des durées maximales de travail, relevant que le salarié « a été amené à plusieurs reprises à accomplir des heures de travail au-delà des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail ».

La présente décision illustre les exigences du régime probatoire des heures supplémentaires (I) et confirme les sanctions attachées au dépassement des durées maximales de travail (II).

I. La charge probatoire partagée en matière d’heures supplémentaires

L’arrêt rappelle le cadre légal applicable au contentieux des heures supplémentaires (A) avant d’en tirer les conséquences quant à l’obligation documentaire de l’employeur (B).

A. L’exigence d’éléments suffisamment précis à la charge du salarié

La cour d’appel d’Orléans applique le régime probatoire issu de l’article L. 3171-4 du code du travail. Elle rappelle qu’il appartient au salarié de présenter « des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Cette formulation reprend la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, notamment les arrêts du 18 mars 2020 et du 27 janvier 2021 expressément visés par la cour.

Le salarié a produit ses bulletins de paie couvrant l’intégralité de la période d’apprentissage, des tableaux mentionnant pour chaque jour ses horaires de travail ainsi qu’un récapitulatif chiffrant ses demandes. La cour considère ces éléments comme suffisamment précis pour transférer la charge de la contradiction à l’employeur. Elle précise qu’il « importe peu que le salarié n’ait pas formulé de demande afin que soient mentionnées sur les bulletins de salaire les heures supplémentaires dont il demande en justice le paiement ». Cette précision revêt une importance pratique considérable. Elle interdit à l’employeur de se prévaloir de l’absence de réclamation antérieure du salarié pour contester la réalité des heures revendiquées.

La cour rappelle également que le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies « avec l’accord au moins implicite de l’employeur » ou lorsque « la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ». Elle vise à cet égard l’arrêt de la chambre sociale du 14 novembre 2018. L’accord implicite de l’employeur suffit donc à fonder la créance salariale, ce qui dispense le salarié de rapporter la preuve d’un ordre exprès d’accomplir des heures supplémentaires.

B. L’insuffisance de la simple contestation des pièces adverses

Face aux éléments produits par le salarié, l’employeur s’est borné à critiquer la fiabilité des pièces adverses sans produire ses propres documents de suivi du temps de travail. La cour relève qu’il « ne produit aucune pièce permettant de déterminer objectivement les heures de travail effectuées » et « se limite à critiquer les pièces produites par l’apprenti ». Cette attitude procédurale s’avère insuffisante au regard des exigences jurisprudentielles.

L’employeur invoquait les retards et absences du salarié pour justifier les écarts de rémunération constatés. Il arguait également de l’absence de réclamation durant la formation et de l’insuffisance des pièces produites. Ces arguments n’ont pas prospéré. L’obligation légale de contrôle des heures de travail impose à l’employeur de conserver les documents permettant de justifier les horaires effectivement accomplis. Le défaut de production de tels documents conduit le juge à retenir la version du salarié dès lors que celle-ci repose sur des éléments suffisamment étayés.

La solution retenue par la cour s’inscrit dans une jurisprudence constante qui sanctionne l’employeur défaillant dans son obligation probatoire. Le juge forme sa conviction au regard de l’ensemble des éléments produits et peut évaluer souverainement l’importance des heures supplémentaires « sans être tenu de préciser le détail de son calcul ». Cette liberté d’appréciation bénéficie au salarié lorsque l’employeur ne verse aucun élément objectif permettant de contredire les décomptes produits.

II. Les conséquences du dépassement des durées maximales de travail

Le non-respect des durées maximales de travail constitue un manquement distinct ouvrant droit à réparation (A), tandis que l’étendue de la réparation demeure encadrée par les règles procédurales de l’appel (B).

A. La caractérisation du manquement aux durées maximales légales et conventionnelles

La cour retient que l’employeur a méconnu les articles L. 3121-18, L. 3121-20 et L. 3121-27 du code du travail ainsi que l’article 19 de la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants. Elle rappelle que « la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures » et que « la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures ».

Les décomptes produits par le salarié établissent des dépassements récurrents. La cour constate que l’apprenti « a été amené à plusieurs reprises à accomplir des heures de travail au-delà des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail », notamment « au cours des mois de juillet, août, septembre et octobre 2020 et juin, août et octobre 2021 ». L’employeur ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d’avoir respecté ces durées maximales.

Le secteur de l’hôtellerie-restauration se caractérise par une activité saisonnière intense. Les mois mentionnés par la cour correspondent aux périodes de forte fréquentation touristique. Cette circonstance explique les dépassements constatés mais ne saurait les justifier juridiquement. L’employeur demeure tenu de respecter les durées maximales de travail, y compris en période d’activité accrue. La protection de la santé et de la sécurité du travailleur constitue un impératif d’ordre public qui ne souffre pas d’exception liée aux contraintes économiques de l’entreprise.

Le caractère systématique des dépassements, étalés sur plusieurs mois et sur deux années consécutives, révèle une organisation du travail structurellement défaillante. L’apprenti, par définition en situation de subordination renforcée et engagé dans un parcours de formation, se trouvait dans l’impossibilité pratique de refuser les horaires imposés.

B. L’encadrement procédural de la réparation du préjudice

Le salarié sollicitait 3 000 euros de dommages-intérêts alors que les premiers juges lui avaient alloué 1 500 euros. La cour relève une difficulté procédurale significative. Le salarié demandait la confirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions tout en réclamant une somme supérieure à celle accordée en première instance. Or, il n’avait formé aucun appel incident et n’avait sollicité l’infirmation d’aucun chef de dispositif.

La cour rappelle un principe fondamental de la procédure d’appel selon lequel « l’appel ne pouvant aboutir à aggraver la situation de l’appelant, la condamnation prononcée par la cour d’appel à titre de dommages-intérêts ne saurait excéder, dans son montant, celle du conseil de prud’hommes ». Elle limite donc la condamnation à 1 500 euros. En application de l’article 12 du code de procédure civile, la cour considère que le salarié, en demandant la confirmation du jugement, « est réputé s’approprier les motifs du conseil de prud’hommes ».

La cour précise également qu’elle n’a pas besoin d’examiner les autres chefs de préjudice invoqués par le salarié, à savoir le versement irrégulier des salaires et le délai excessif de remise des documents de fin de contrat. Le manquement aux durées maximales de travail suffit à justifier la condamnation prononcée. Cette motivation économe permet de confirmer le jugement sans rouvrir l’ensemble des débats sur les différentes fautes alléguées.

La portée de cet arrêt réside dans la confirmation du régime probatoire favorable au salarié en matière d’heures supplémentaires et dans le rappel de l’effectivité des sanctions attachées au non-respect des durées maximales de travail. Les employeurs du secteur de l’hôtellerie-restauration doivent mettre en place des systèmes fiables de décompte du temps de travail et respecter strictement les plafonds légaux et conventionnels, sous peine de condamnations cumulant rappels de salaire et dommages-intérêts.

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Hassan KOHEN
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