Cour d’appel de Orléans, le 26 juin 2025, n°23/02412

Par un arrêt du 26 juin 2025, la Cour d’appel d’Orléans, chambre sociale, tranche un litige relatif à une prise d’acte motivée par des griefs de harcèlement moral et de manquement à l’obligation de sécurité. Le salarié, embauché comme monteur-soudeur, a été affecté à des tâches de maintenance impliquant manipulations de produits chimiques et port de charges, ainsi que des interventions sur site soumis à habilitations. Estimant n’avoir reçu ni formation adéquate ni équipements de protection suffisants, il a pris acte de la rupture puis a saisi le conseil de prud’hommes de Tours.

Le premier juge a requalifié la rupture en licenciement nul, accordant diverses sommes. En appel, l’employeur a sollicité l’infirmation, le salarié la confirmation et des compléments, notamment au titre de l’obligation de sécurité. La question posée portait sur la qualification des faits allégués, l’étendue des obligations de prévention, la nature des effets de la prise d’acte et l’évaluation des conséquences indemnitaires.

La Cour écarte le harcèlement, retient un manquement à l’obligation de sécurité et juge que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle réduit l’indemnité attachée au manquement de sécurité, applique le barème de l’article L.1235-3 du code du travail et ordonne le remboursement partiel des allocations de chômage.

I. Le contrôle du harcèlement moral et de la sécurité

A. Le test probatoire du harcèlement moral

La Cour rappelle le régime probatoire applicable en ces termes: « Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. » Elle ajoute: « Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié […] et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. »

Au regard de cette méthode, la Cour constate l’insuffisance des éléments avancés. L’allégation ne reposait que sur un fait isolé lié à une affectation contestée sur un site requérant habilitation, sans faisceau d’indices concordants ni répétition d’agissements. L’isolement du fait, l’absence d’éléments objectifs convergents et l’offre de discussion demeurée sans suite ne permettaient pas de franchir le seuil probatoire. Le moyen est donc écarté sans ambiguïté.

B. La violation de l’obligation de sécurité et ses limites

S’agissant de la prévention, la Cour retient la norme de référence: « Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » Elle constate un changement d’affectation effectif vers des missions de maintenance, sans formation idoine à la manipulation de produits dangereux et sans preuve convaincante d’équipements de protection spécifiques, malgré l’existence de dispositifs généraux de sensibilisation. L’employeur ne justifie pas de mesures adaptées au poste effectivement confié; le manquement est caractérisé.

La Cour distingue ensuite le dommage indemnisable devant le juge prud’homal de celui relevant de la législation professionnelle: « Or, l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’ils soient ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire et non pas de la juridiction prud’homale. » Elle indemnise donc l’atteinte autonome liée à la carence de prévention, tout en excluant la réparation du préjudice rattaché à une pathologie professionnelle litigieuse, et réduit le quantum à 2 500 euros. La réitération des manquements appréciés in concreto structure la suite de la décision.

II. La qualification de la prise d’acte et ses suites

A. Les effets juridiques retenus par la Cour

La Cour énonce le standard de qualification: « La prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture […] cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse […], soit, dans le cas contraire, d’une démission. Lorsque ce sont des faits de harcèlement moral qui sont invoqués, la rupture produit les effets d’un licenciement nul. »

Ayant écarté le harcèlement mais retenu un manquement récurrent à l’obligation de sécurité, la Cour adopte une solution intermédiaire et cohérente: « C’est pourquoi la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. » L’atteinte aux obligations de prévention empêchait la poursuite du contrat, sans atteindre le seuil d’anéantissement associé aux hypothèses de nullité. La requalification prononcée en première instance est donc partiellement infirmée sur ce point.

B. L’indemnisation encadrée et les accessoires

Pour l’indemnité principale, la Cour applique le barème légal: « L’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit une indemnité variant dans ses montants minimum et maximum en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et de la taille de l’entreprise. » Tenant l’ancienneté globale retenue, l’âge et la rapidité de reclassement, elle évalue le préjudice à 15 000 euros, dans l’amplitude pertinente du barème.

Les accessoires suivent des principes constants. D’une part, « L’indemnité légale de licenciement constitue une créance que le juge ne fait que constater et sur laquelle les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la demande valant mise en demeure. » D’autre part, la Cour réaffirme la règle relative aux organismes sociaux: « La règle du remboursement s’applique, non seulement en cas de licenciement prononcé par l’employeur, mais également en cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail imputable à l’employeur. » Elle ordonne le remboursement dans les limites légales, fixe les points de départ des intérêts, prononce la capitalisation et refuse l’astreinte pour la remise des documents, jugée non nécessaire.

L’ensemble dessine une solution équilibrée. Elle confirme l’exigence d’une prévention concrète et adaptée au poste, encadre strictement la réparation selon le droit positif, et précise les effets de la prise d’acte en l’absence de harcèlement établi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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