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La rémunération variable constitue, en droit du travail, un enjeu majeur de la relation salariale. Son régime juridique, façonné par la jurisprudence, repose sur un équilibre entre la liberté contractuelle de l’employeur et la protection des droits du salarié. La question de la fixation des objectifs conditionnant cette part variable suscite un contentieux abondant devant les juridictions prud’homales.
Un salarié engagé en 1992 occupait les fonctions de Business Development Manager au sein d’une société relevant de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie. Son contrat prévoyait une rémunération variable pouvant atteindre 45 % du salaire de base, subordonnée à la réalisation d’objectifs liés tant à la performance de l’entreprise qu’à la contribution individuelle du salarié. En août 2020, les parties ont conclu un accord organisant le départ du salarié, lequel a bénéficié d’une dispense d’activité puis a fait valoir ses droits à la retraite le 31 août 2021. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir le paiement intégral de sa rémunération variable au titre des exercices 2019, 2020 et 2021, au motif que les objectifs individuels n’avaient pas été fixés en début d’exercice.
Le conseil de prud’hommes de Tours, par jugement du 14 juin 2023, a partiellement fait droit aux demandes du salarié en condamnant l’employeur au paiement de la prime pour l’année 2020, tout en rejetant les demandes relatives aux années 2019 et 2021. Le salarié a interjeté appel de cette décision.
L’employeur peut-il valablement invoquer le caractère discrétionnaire d’un bonus pour refuser son versement lorsqu’il a omis de porter à la connaissance du salarié les objectifs conditionnant cette rémunération en début d’exercice ?
La cour d’appel d’Orléans, par arrêt du 3 juillet 2025, infirme partiellement le jugement entrepris. Elle condamne l’employeur à verser au salarié diverses sommes au titre de la rémunération variable pour les trois exercices litigieux. La cour retient que l’absence de fixation des objectifs individuels en début d’exercice prive l’employeur de la faculté d’invoquer le caractère discrétionnaire du bonus. Elle juge en outre que le salarié dispensé d’activité peut prétendre à la rémunération variable prorata temporis jusqu’à son départ effectif.
Cette décision invite à examiner l’encadrement jurisprudentiel de l’obligation de fixer des objectifs (I), avant d’analyser le régime du droit à rémunération variable en période d’inactivité (II).
I. L’obligation de fixer des objectifs précis, condition du pouvoir de modulation de l’employeur
L’arrêt commenté rappelle avec fermeté l’exigence de détermination préalable des objectifs (A), tout en précisant les conséquences de la carence de l’employeur sur le droit à rémunération du salarié (B).
A. L’exigence de critères objectifs et préalablement définis
La cour d’appel d’Orléans rappelle le principe selon lequel une clause de rémunération variable ne peut valablement faire dépendre le droit à rémunération de critères imprécis. Elle énonce ainsi que « le contrat de travail ne peut faire dépendre le droit à rémunération variable de critères imprécis », reprenant la formulation de la Cour de cassation dans son arrêt du 30 mai 2000. Cette exigence procède de la nécessité de garantir au salarié une prévisibilité minimale quant aux conditions d’acquisition de sa rémunération.
La jurisprudence a progressivement construit un régime protecteur en la matière. L’arrêt du 9 mai 2019, expressément visé par la cour, pose les conditions de validité d’une clause de variation de rémunération : celle-ci doit être fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne pas faire porter le risque d’entreprise sur le salarié et ne pas réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels. Ces trois critères cumulatifs forment le socle de l’encadrement judiciaire de la rémunération variable.
En l’espèce, le plan de bonus prévoyait que la contribution individuelle serait appréciée « à la discrétion de la direction en fonction de vos performances ». La cour juge qu’une telle formulation, dépourvue de tout critère objectif, ne satisfait pas aux exigences jurisprudentielles. L’employeur ne saurait se prévaloir d’une clause lui conférant un pouvoir unilatéral et discrétionnaire de détermination de la rémunération.
La cour précise également que la faculté de modulation que s’était réservée l’employeur « ne saurait le dispenser de son obligation de porter à la connaissance du salarié en début d’exercice des objectifs réalisables ». Cette formulation suggère que l’existence d’un pouvoir contractuel de modulation ne dispense pas l’employeur de ses obligations fondamentales en matière de fixation des objectifs.
B. Les conséquences de l’absence de fixation des objectifs sur le droit à rémunération
L’arrêt tire les conséquences de la carence de l’employeur en reconnaissant au salarié le droit au paiement intégral de la part de rémunération correspondant aux objectifs non fixés. La cour retient ainsi que « M. [S] est fondé à obtenir le paiement dans son intégralité de la part de rémunération variable correspondant à sa contribution individuelle au titre de l’année 2019 ». Cette solution s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle inaugurée par l’arrêt du 15 décembre 2021, expressément cité par la cour.
La sanction de l’absence de fixation des objectifs réside dans le versement intégral de la rémunération variable contractuellement prévue. L’employeur ne peut se retrancher derrière sa propre carence pour refuser le paiement d’une rémunération à laquelle le salarié pouvait légitimement prétendre. Cette solution traduit une application du principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
La cour opère toutefois une distinction selon la nature des objectifs. Pour les objectifs liés à la performance de l’entreprise, régulièrement fixés et portés à la connaissance du salarié, celui-ci ne peut prétendre qu’au versement correspondant aux résultats effectivement atteints. En revanche, pour la part relative à la contribution individuelle, dont les critères n’ont pas été définis, le salarié peut réclamer l’intégralité du montant correspondant. Cette distinction témoigne d’une approche nuancée, évitant l’enrichissement injustifié du salarié tout en sanctionnant efficacement la carence de l’employeur.
S’agissant de l’exercice 2020, la cour va plus loin en jugeant qu’« une clause de rémunération contractée sous une condition potestative ne peut être valablement opposée au salarié ». L’employeur qui n’a fourni aucune information sur les conditions d’attribution du bonus ne peut invoquer son caractère discrétionnaire pour refuser tout versement. Cette solution renforce considérablement la protection du salarié face aux tentatives de l’employeur de se prévaloir de la souplesse contractuelle pour éluder ses obligations.
II. Le maintien du droit à rémunération variable en période d’inactivité conventionnelle
L’arrêt précise les conditions du droit à rémunération variable pour le salarié dispensé d’activité (A), tout en écartant les moyens tirés de la discrimination et de l’inégalité de traitement (B).
A. Le droit au prorata de la rémunération variable pour le salarié présent aux effectifs
La cour d’appel consacre le droit du salarié dispensé d’activité à percevoir sa rémunération variable prorata temporis. Elle énonce que « la prime litigieuse constituant la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, celui-ci peut y prétendre au prorata de son temps de présence, peu important que ladite prime ait été versée, pour les salariés en bénéficiant, en mars 2022 ». Cette formulation, reprenant les termes de l’arrêt du 23 mars 2011, consacre un droit au prorata indépendant de l’exécution effective du travail.
Le salarié avait été dispensé d’activité du 1er janvier au 31 mars 2021, puis avait bénéficié de ses droits au titre du compte épargne temps et des congés payés jusqu’au 31 août 2021. La cour retient qu’il était « présent dans les effectifs de l’entreprise » jusqu’à cette date. Cette présence juridique, distincte de la présence physique, suffit à fonder le droit à rémunération variable.
La cour relève que la rémunération variable repose partiellement sur les résultats de l’entreprise, « lesquels sont indépendants de la présence effective du salarié à son poste ». Cette observation est déterminante. Elle permet de dissocier la composante collective du bonus, liée aux performances de l’entreprise, de la composante individuelle, liée à l’activité personnelle du salarié. Le salarié dispensé d’activité conserve un droit sur la première, quand bien même il n’aurait pas contribué aux résultats par son travail effectif.
La solution retenue garantit ainsi au salarié le bénéfice d’une rémunération à laquelle il pouvait légitimement s’attendre au moment de la conclusion de l’accord de départ. L’employeur ne peut modifier unilatéralement les conditions de rémunération d’un salarié dont le départ a été organisé d’un commun accord.
B. Le rejet des moyens fondés sur la discrimination et l’inégalité de traitement
Le salarié invoquait également une discrimination en raison de l’âge et une atteinte au principe d’égalité de traitement. La cour écarte ces moyens en procédant à un examen rigoureux des éléments de preuve.
S’agissant de la discrimination, la cour rappelle le mécanisme probatoire prévu par l’article L. 1134-1 du code du travail : le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, à charge ensuite pour l’employeur de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La cour constate que le départ du salarié « est intervenu dans le cadre d’un accord intitulé « consentement mutuel » » et qu’aucun élément ne démontre l’existence de pressions. Les faits présentés ne laissent pas supposer l’existence d’une discrimination liée à l’âge.
S’agissant de l’inégalité de traitement, la cour relève que le salarié « ne fournit aucun élément précis permettant de comparer sa situation professionnelle, en termes de fonctions, de niveau hiérarchique ou de critères d’évaluation, à celle des salariés concernés ». Cette exigence de comparaison pertinente constitue une constante de la jurisprudence en matière d’égalité de traitement. La simple allégation d’une exclusion du bénéfice du bonus ne suffit pas à caractériser une différence de traitement en l’absence d’éléments de comparaison appropriés.
Cette double rejection illustre la rigueur probatoire exigée en matière de discrimination et d’égalité de traitement. Le salarié qui entend se prévaloir de ces moyens doit fournir des éléments factuels précis, susceptibles de fonder une présomption ou une comparaison. La cour refuse de suppléer la carence probatoire du demandeur, fût-il par ailleurs fondé dans ses demandes relatives à la rémunération variable.