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La présomption d’imputabilité en matière d’accident du travail constitue l’un des mécanismes protecteurs essentiels du droit de la sécurité sociale. Son renversement par l’employeur demeure toutefois possible lorsque celui-ci établit l’existence d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte. La cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt rendu le 8 juillet 2025, apporte une illustration significative de cette problématique en matière d’arrêts de travail.
Un salarié, employé en qualité de métallier, a été victime d’un accident du travail le 14 mai 2018. L’employeur a aussitôt formulé des réserves dans sa déclaration d’accident, invoquant un état pathologique préexistant. Le salarié se plaignait en effet de douleurs dorsales depuis plusieurs mois et avait été arrêté pour ces problèmes avant l’accident. Une déclaration de maladie professionnelle pour « sciatique par hernie discale L5-S1 » avait été déposée le 20 avril 2018, soit antérieurement au fait accidentel.
La société employeur a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’Orléans afin de contester l’opposabilité des arrêts de travail prescrits au salarié. Par jugement du 9 juillet 2020, les premiers juges ont débouté la société de sa demande. L’employeur a interjeté appel de cette décision. Par arrêt du 17 mai 2022, la cour d’appel d’Orléans a ordonné une expertise médicale. L’expert, après examen du dossier, a conclu que l’accident avait provoqué un lumbago aigu justifiant deux mois d’arrêt, avec retour à l’état antérieur à compter du 15 juillet 2018. La caisse primaire d’assurance maladie s’en est remise à justice sur les conclusions expertales.
La question posée à la cour était de déterminer si les arrêts de travail prescrits au salarié postérieurement au 14 juillet 2018 demeuraient imputables à l’accident du travail ou s’ils relevaient d’un état antérieur évoluant indépendamment du fait accidentel.
La cour d’appel d’Orléans infirme le jugement entrepris. Elle déclare inopposables à l’employeur les arrêts de travail prescrits au salarié postérieurement au 14 juillet 2018, retenant que ceux-ci se rattachent à un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.
L’intérêt de cet arrêt réside dans l’application rigoureuse des conditions du renversement de la présomption d’imputabilité (I) et dans la délimitation temporelle des conséquences de l’accident face à un état antérieur caractérisé (II).
I. Le renversement de la présomption d’imputabilité par la preuve d’un état antérieur autonome
A. Le rappel du mécanisme de la présomption d’imputabilité
La cour rappelle le cadre juridique applicable en visant « les articles L.411-1, L.431-1 et L.433-1 du code de la sécurité sociale ». Elle énonce que « la présomption d’imputabilité s’applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l’état pathologique antérieur aggravé par l’accident du travail, pendant toute la période d’incapacité, précédant la guérison complète ou la consolidation ». Cette présomption couvre également, selon la cour, « toutes les conséquences directes de l’accident du travail ».
La juridiction précise que « le seul versement des indemnités journalières jusqu’à la date de consolidation entraîne une présomption d’imputabilité à l’accident jusqu’à la date de consolidation », reprenant ainsi la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 18 février 2021. Ce mécanisme protège le salarié victime en lui évitant d’avoir à prouver le lien de causalité entre chaque arrêt de travail et le fait accidentel initial.
La présomption d’imputabilité constitue une présomption simple. Elle peut donc être renversée par la preuve contraire. La cour indique clairement les conditions de ce renversement : « il convient de rechercher et de prouver que les arrêts de travail prescrits à l’assuré, ainsi que les soins prodigués ont une cause totalement étrangère au travail et résultent en fait d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation, notamment l’arrêt du 5 avril 2012.
B. La caractérisation de l’état antérieur par la reconnaissance d’une maladie professionnelle
L’arrêt présente une particularité notable. L’état antérieur n’est pas simplement déduit d’éléments médicaux épars. Il résulte de la reconnaissance formelle d’une maladie professionnelle. La cour relève que « M. [P] a présenté une déclaration de maladie professionnelle le 20 avril 2018, pour ‘sciatique par hernie discale L5-S1’, laquelle a été prise en charge par la caisse au titre du tableau n°98 des maladies professionnelles ». Elle en déduit que « l’état antérieur est caractérisé par l’existence de cette maladie prise en charge ».
Cette situation crée une configuration juridique singulière. Le salarié bénéficiait simultanément de deux prises en charge distinctes : une maladie professionnelle déclarée le 20 avril 2018 et un accident du travail survenu le 14 mai 2018. Les deux affections concernaient la région lombaire mais correspondaient à des pathologies différentes. La maladie professionnelle visait une lombosciatique avec atteinte radiculaire. L’accident a provoqué un lumbago, soit une atteinte musculaire sans composante neurologique.
L’expertise médicale a permis de distinguer ces deux pathologies. L’expert a clairement indiqué que « les différents certificats médicaux de prolongation mélangent les deux pathologies à savoir le lumbago et la lombosciatique L5 ». Cette confusion dans les certificats médicaux initiaux justifiait pleinement le recours à une expertise judiciaire pour démêler l’imputabilité des arrêts successifs.
II. La délimitation temporelle des conséquences indemnisables au titre de l’accident
A. La distinction entre l’effet déclencheur temporaire et l’évolution autonome de l’état antérieur
L’expert a procédé à une analyse précise des effets de l’accident sur l’état de santé du salarié. Il a retenu que « l’accident de travail a entraîné des manifestations douloureuses à type de lumbago qui ont vraisemblablement acutisé les phénomènes douloureux en rapport avec la maladie professionnelle ». Cette acutisation, c’est-à-dire cette exacerbation temporaire des douleurs, constitue bien une conséquence de l’accident.
L’expert a cependant fixé une limite temporelle à cette imputabilité. Il a considéré que « les arrêts de travail prescrits à compter du 14 mai 2018 sont à prendre en charge pour une durée de deux mois en rapport avec le lumbago ayant entraîné une acutisation des douleurs lombaires ». Au-delà de cette période, il a conclu à un « retour à l’état antérieur à partir du 15 juillet 2018 ».
La cour entérine cette analyse en relevant que « l’existence d’un état antérieur évoluant pour son propre compte est clairement établie par les différents éléments versés au dossier et confirmée par le rapport clairement motivé du Dr [V] ». Elle souligne également l’absence de contradiction émanant de la caisse, qui « ne présente aucun élément de nature à contredire les affirmations » de l’expert. Cette passivité de l’organisme social a nécessairement pesé dans l’issue du litige.
B. Les conséquences de l’inopposabilité partielle des arrêts de travail
La cour prononce l’inopposabilité des arrêts de travail postérieurs au 14 juillet 2018 à l’égard de l’employeur. Cette décision emporte des conséquences pratiques importantes. L’employeur ne supportera plus, dans le calcul de son taux de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles, les prestations servies au salarié après cette date au titre de l’accident.
L’inopposabilité ne prive pas le salarié de ses droits. Celui-ci conserve le bénéfice des indemnités journalières qui lui ont été versées. La décision affecte uniquement les rapports entre l’employeur et la caisse primaire. Cette distinction entre opposabilité et droit aux prestations illustre la dualité du contentieux de la sécurité sociale en matière d’accidents du travail.
La solution retenue présente une cohérence certaine. L’accident a produit des effets limités dans le temps, correspondant à la durée habituelle de guérison d’un lumbago aigu. La pathologie lombaire chronique, reconnue comme maladie professionnelle, suivait par ailleurs son cours propre. L’imputation prolongée des arrêts de travail à l’accident aurait conduit à faire supporter à l’employeur les conséquences d’une affection dont le fait générateur lui était pourtant étranger. La cour d’appel rétablit ainsi une juste répartition des charges entre les différents risques professionnels.