Cour d’appel de Orléans, le 9 septembre 2025, n°19/01824

La Cour d’appel d’Orléans, 9 septembre 2025, tranche un contentieux de sécurité sociale articulé autour de la reconnaissance d’une pathologie psychique hors tableau et de la faute inexcusable. Le litige naît d’une dégradation des conditions de travail consécutive à un engagement représentatif, suivie d’arrêts et d’un suivi psychiatrique qui ont conduit à une demande de prise en charge au titre des risques professionnels.

La procédure a été nourrie. Après des décisions relatives aux conditions de travail, un comité régional s’est prononcé sur le lien entre la pathologie et le travail, puis une prise en charge a été décidée. Le premier juge a retenu la faute inexcusable et ordonné une expertise. En appel, un nouvel avis de comité a été sollicité avant dire droit, puis rendu. L’employeur a contesté la régularité de la procédure médicale et le caractère professionnel de la pathologie, a sollicité un sursis lié au taux d’incapacité, et a combattu la faute inexcusable ainsi que les conséquences indemnitaires, tandis que le salarié sollicitait la confirmation et la caisse le bénéfice de la subrogation.

La juridiction d’appel écarte la nullité de l’avis, confirme le caractère professionnel de la maladie, refuse le sursis, retient la faute inexcusable et complète la mission d’expertise par l’évaluation du déficit fonctionnel permanent, tout en admettant le recours subrogatoire de la caisse. La question centrale porte d’abord sur la valeur à accorder à un avis rendu dans un dossier incomplet plusieurs années après les faits, ensuite sur les conditions probatoires du lien essentiel et direct, enfin sur les critères et effets de la faute inexcusable.

I. La reconnaissance du caractère professionnel d’une pathologie psychique hors tableau

A. La régularité de la saisine et de l’avis du comité

La cour rappelle d’abord la portée des textes régissant la procédure devant le comité. Elle cite utilement que « Le comité peut entendre la victime et l’employeur, s’il l’estime nécessaire ». Elle ajoute, dans le même esprit, que « Il convient de relever d’emblée que ces textes n’instaurent pour le comité aucune obligation d’entendre la victime et l’employeur, le comité étant invité par le texte à le faire s’il l’estime nécessaire ». L’obligation d’audition n’existe donc pas, et l’examen médical relève du service du contrôle médical qui rapporte ensuite au comité.

La difficulté majeure résidait dans l’absence d’avis du médecin du travail longtemps après les faits. La cour constate une déperdition probatoire liée à l’ancienneté de la déclaration et retient l’impossibilité matérielle pour la caisse de produire cet avis sans remettre en cause la saisine. Elle souligne que, même en cas de vice, « La seule conséquence en serait la saisine d’un nouveau comité ». Elle renonce à cette voie, estimant qu’elle reproduirait les mêmes impasses probatoires, et que le juge n’est en toute hypothèse pas lié par l’avis.

Cette solution se justifie par une lecture pragmatique des textes et par l’économie de la preuve dans le temps. Elle se concilie avec l’évolution réglementaire ayant allégé le rôle du médecin du travail lors de l’instruction et préserve l’office du juge, qui demeure libre d’appréciation sur la valeur et la portée d’un avis consultatif.

B. Le lien essentiel et direct au travail habituel

Sur le fond, la cour retient le lien causal requis pour une pathologie psychique hors tableau. Le raisonnement s’appuie sur la chronologie, l’enquête administrative, les témoignages convergents et une expertise décrivant une symptomatologie dépressive réactionnelle à des méthodes managériales délétères. La motivation répond, point par point, aux causes personnelles invoquées par l’employeur, qu’elle écarte faute de concordance temporelle et d’éléments objectifs.

La cour énonce clairement que « Par conséquent, l’employeur ne démontre pas les causes personnelles alléguées alors que l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale, pour qu’une pathologie psychologique puisse être reconnue maladie professionnelle, n’exige pas un lien exclusif entre cette dernière et la pathologie mais simplement un lien essentiel et direct ». Elle conclut, de manière pédagogique, que « Le caractère professionnel de la maladie est donc démontré à suffisance ».

La solution s’inscrit dans un cadre contentieux précis sur le taux d’incapacité mobilisable à ce stade. La cour applique fermement la jurisprudence de principe en rappelant que « En raison de son caractère provisoire, le taux prévisible n’est pas notifié aux parties. Il ne peut, dès lors, être contesté par l’employeur pour défendre à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable ». La demande de sursis fondée sur un contentieux distinct du taux définitif est logiquement rejetée, car impropre à retarder l’appréciation de l’origine professionnelle.

II. La faute inexcusable et ses incidences

A. Conscience du danger et carence de prévention

La cour adopte la définition jurisprudentielle constante de la faute inexcusable. Elle rappelle, en des termes particulièrement clairs, que « Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677) ».

La juridiction ajoute, conformément à l’assemblée plénière, que « Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié mais qu’il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage (Cass . Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038) ». Elle caractérise ensuite une entreprise de déstabilisation managériale en lien avec l’exercice de mandats, une conscience prévisible du danger liée à des pratiques humiliantes et un défaut avéré de mesures de prévention.

L’articulation probatoire est rigoureuse. La concomitance entre la dégradation des conditions de travail et l’altération de la santé, l’atteinte directe à la dignité dans le collectif, l’exclusion d’événements structurants, et l’absence de réaction protectrice suffisent à emporter la conviction. La motivation, sobre et précise, satisfait à l’exigence d’un contrôle concret de la conscience du risque et de la carence de prévention.

B. Portée indemnitaire et office du juge

Les effets de la faute inexcusable appellent deux précisions. D’abord, la majoration de rente relève de la seule faute inexcusable, indépendamment des contestations d’opposabilité du taux de consolidation dans le rapport caisse–employeur. Ensuite, l’évaluation des préjudices personnels est complétée par l’examen du déficit fonctionnel permanent, en cohérence avec la jurisprudence récente.

La cour consacre l’autorité du recours de la caisse en énonçant que « Il est jugé que l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur est sans aucune incidence sur l’action récursoire exercée par la caisse (2e Civ., 31 mars 2016, n° 14-30.015 : Bull. 2016, II, n° 92 ; 24 mai 2017, n° 16-17.726 ; 21 oct. 2021, n° 2010.541 ; 26 nov. 2020, n° 19-21.890 ; 26 nov. 2020, n° 19-18.244) ». La solution est cohérente avec l’économie du livre IV, qui dissocie l’effet externe de la prise en charge et la dette spécifique issue de la faute inexcusable.

La mission d’expertise intègre l’évaluation du déficit fonctionnel permanent, élément nécessaire à la réparation intégrale des préjudices personnels complémentaires. L’office du juge est ici pleinement assumé: il fixe le périmètre utile de l’expertise, refuse les mesures inopérantes et rappelle l’irrélevance d’un nouveau débat médical sur l’existence actuelle de la pathologie pour écarter l’indemnisation due au titre de la faute inexcusable.

Cette décision, rendue par la Cour d’appel d’Orléans, 9 septembre 2025, affirme une ligne constante et lisible. Elle clarifie l’articulation entre l’avis consultatif, l’appréciation souveraine du juge, la charge probatoire du lien essentiel et direct, et le régime propre de la faute inexcusable, dans un contentieux où l’enjeu humain et la temporalité probatoire imposent mesure et rigueur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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