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L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Orléans le 9 septembre 2025 porte sur une question classique du droit des assurances, celle de la déchéance de garantie pour fausse déclaration de sinistre. Un assuré exploitant un garage automobile avait déclaré deux vols survenus en 2017. L’assureur lui avait opposé la déchéance de garantie au motif de prétendues incohérences dans ses déclarations.
Les faits de l’espèce révèlent qu’un professionnel avait souscrit un contrat d’assurance pour son activité de garagiste. Dans la nuit du 28 février au 1er mars 2017, deux véhicules stationnés dans l’enceinte de son entreprise ont été volés puis retrouvés calcinés. Dans la nuit du 17 au 18 avril 2017, son local a fait l’objet d’une effraction avec vol d’un quad et de matériel professionnel. L’assureur a diligenté des expertises et, par courrier du 18 juin 2018, a opposé la déchéance de garantie pour les deux sinistres.
L’assuré a assigné son assureur devant le tribunal judiciaire d’Orléans le 20 février 2019 afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices. Par jugement du 2 novembre 2023, le tribunal a débouté l’assuré de ses demandes, l’a condamné à verser à l’assureur une somme au titre de son préjudice moral et au remboursement des frais d’enquête. L’assuré a interjeté appel le 4 décembre 2023.
La question de droit soumise à la cour d’appel d’Orléans était la suivante : l’assureur peut-il valablement opposer la déchéance de garantie à son assuré lorsque les incohérences qu’il invoque dans les déclarations de sinistre ne sont pas établies et que la preuve de la mauvaise foi n’est pas rapportée ?
La cour d’appel d’Orléans infirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle rejette la demande de déchéance de garantie formée par l’assureur, de même que sa demande subsidiaire de résolution du contrat pour mauvaise foi. Elle condamne l’assureur à indemniser l’assuré au titre des deux sinistres et à lui verser des dommages-intérêts pour préjudice financier et moral résultant du retard mis à répondre à ses demandes.
L’arrêt invite à examiner l’exigence probatoire pesant sur l’assureur qui invoque la déchéance de garantie (I), avant d’analyser les conséquences de l’inexécution de l’obligation d’indemnisation (II).
I. L’exigence probatoire pesant sur l’assureur invoquant la déchéance de garantie
La cour rappelle le cadre juridique de la déchéance de garantie (A) avant de procéder à une appréciation rigoureuse des prétendues incohérences invoquées par l’assureur (B).
A. Le rappel du cadre juridique de la déchéance de garantie
La cour d’appel d’Orléans fonde son analyse sur les stipulations contractuelles et les principes généraux du droit des assurances. Elle relève que les conditions générales du contrat prévoyaient qu’« en cas de fausses déclarations faites sciemment sur la nature, les causes, les circonstances ou les conséquences d’un sinistre, l’Assuré perd, pour ce sinistre, le bénéfice des garanties du contrat ». Cette clause de déchéance suppose donc la réunion de deux éléments : une fausse déclaration et son caractère intentionnel.
La cour se réfère également à l’obligation de loyauté inscrite à l’article 1134, alinéa 3, du code civil dans sa version applicable au contrat. Elle en déduit que cette obligation impose à l’assuré de déclarer le risque tel qu’il s’est réalisé. Le manquement à cette obligation peut justifier la déchéance de garantie. La cour énonce le principe cardinal selon lequel « l’assureur qui entend se prévaloir d’une clause de déchéance de garantie pour déclaration frauduleuse du sinistre doit apporter la preuve de la mauvaise foi de l’assuré ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Elle traduit l’équilibre que le droit des assurances s’efforce de maintenir entre la protection de l’assuré et la sanction des comportements frauduleux. La déchéance de garantie, sanction contractuelle grave puisqu’elle prive l’assuré de tout droit à indemnisation, ne peut être prononcée que si l’assureur établit positivement la mauvaise foi de son cocontractant.
B. L’appréciation rigoureuse des prétendues incohérences
L’assureur invoquait plusieurs incohérences pour justifier la déchéance de garantie. La cour d’appel d’Orléans procède à leur examen méthodique et les écarte une à une.
S’agissant du premier sinistre, l’assureur relevait que l’ordre de réparation du véhicule confié portait le numéro 1 et était daté du 24 février 2017, quatre jours avant le vol. La cour répond que « le fait que la 1ère réparation de l’année 2017 soit intervenue le 24 février ne prouve pas la mauvaise foi de l’assuré », l’entreprise n’ayant été créée qu’au début de l’année 2016.
L’assureur invoquait également des contradictions sur les circonstances de l’effraction, le portail ayant été décrit tantôt comme enfoncé, tantôt avec la poignée cassée. La cour relève que les fonctionnaires de police ont constaté l’effraction et que l’assureur « ne prétend pas que l’enfoncement du portail ou le bris de la poignée avait une influence sur son appréciation des circonstances du sinistre alors que l’effraction ne peut être niée ».
Concernant le dépôt tardif de plainte, la cour constate que les forces de l’ordre s’étaient transportées sur les lieux dès le lendemain du vol. Elle considère que « ce dépôt tardif de plainte, dont la compagnie Groupama n’indique pas l’incidence sur l’appréciation du sinistre, ne peut constituer l’assuré de mauvaise foi ».
Pour le second sinistre, l’assureur soutenait que le quad n’aurait pu être évacué par la porte d’accès au local en raison de ses dimensions. La cour répond qu’il ressort des constatations de la police technique et scientifique que le quad se trouvait derrière une porte métallique déroulante dont les dimensions sont inconnues. Elle conclut que « la compagnie Groupama ne prouve pas la mauvaise foi de M. [T] ».
La cour fait ainsi une application stricte de la charge de la preuve. Elle refuse de déduire la mauvaise foi de l’assuré de simples suspicions ou d’incohérences mineures non corroborées par des éléments objectifs.
II. Les conséquences de l’inexécution de l’obligation d’indemnisation
L’échec de la demande de résolution du contrat formée par l’assureur (A) ouvre droit à une indemnisation complète de l’assuré (B).
A. L’échec de la demande de résolution du contrat
À titre subsidiaire, l’assureur sollicitait la résolution judiciaire du contrat d’assurance pour manquement de l’assuré à son obligation de bonne foi. Il invoquait les articles 1134 et 1183 anciens du code civil et soutenait pouvoir invoquer l’exception d’inexécution pour s’exonérer de ses propres obligations.
La cour d’appel d’Orléans rejette cette demande en relevant que « la compagnie Groupama ne se prévaut d’aucune clause contractuelle, portée à la connaissance de l’assuré, édictant la possibilité pour elle de se prévaloir de la résolution du contrat d’assurance ». Elle ajoute que « la résolution du contrat, en droit des assurances, étant évincée par sa déchéance ».
Cette solution mérite approbation. Le droit des assurances organise un régime spécial de sanctions des manquements de l’assuré. La déchéance de garantie constitue la sanction des déclarations frauduleuses de sinistre, tandis que la nullité sanctionne les fausses déclarations intentionnelles lors de la souscription du contrat. La résolution du contrat de droit commun n’a pas vocation à s’appliquer en présence de ces mécanismes spéciaux qui assurent un équilibre entre les intérêts des parties.
La cour relève au surplus que la mauvaise foi de l’assuré n’est pas démontrée. Dès lors, les conditions de la résolution pour inexécution ne sont pas réunies.
B. L’indemnisation complète de l’assuré
La cour condamne l’assureur à indemniser l’assuré au titre des deux sinistres, dans les limites contractuelles. Pour le premier sinistre, elle alloue une somme de 2 525,34 euros hors taxes correspondant à la valeur de remplacement des véhicules à dire d’expert, déduction faite de la franchise contractuelle. Pour le second sinistre, elle accorde 1 950 euros hors taxes, soit le plafond contractuel pour le quad et une indemnité pour le matériel.
La cour se fonde ensuite sur l’article 1231-1 du code civil pour condamner l’assureur à réparer le préjudice causé par son retard. Elle relève que « ce n’est que par courrier recommandé du 18 juin 2018 que la compagnie Groupama a fait savoir à M. [T] qu’elle lui opposait la déchéance de garantie », soit plus d’un an après les sinistres. Elle retient que l’assureur « ne justifie pas que l’exécution de son obligation envers son assuré a été empêchée par la force majeure ».
La cour reconnaît un préjudice financier qu’elle évalue à 3 000 euros. Elle considère que « le silence de l’assureur alors qu’il était confronté à l’obligation d’indemniser les propriétaires des véhicules dérobés a nécessairement conduit M. [T] à reprendre un emploi salarié au mois juin 2017 et à mettre fin à son activité ».
Elle accorde également 2 000 euros au titre du préjudice moral, relevant que « le retard mis par l’assureur à répondre à M. [T] et la déchéance de garantie qui lui a été, à tort, opposée ont eu forcément sur lui un retentissement moral ».
Cette solution témoigne de la sévérité des juridictions à l’égard des assureurs qui opposent des déchéances de garantie non fondées. Le préjudice né du refus injustifié d’indemnisation peut excéder le montant des garanties elles-mêmes et englober les conséquences économiques et morales subies par l’assuré. L’arrêt incite les assureurs à la prudence dans le maniement de la déchéance de garantie, sanction qui ne saurait être invoquée sur le fondement de simples soupçons non étayés par des preuves tangibles de la mauvaise foi de l’assuré.