Cour d’appel de Orléans, le 9 septembre 2025, n°24/03151

Par un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 9 septembre 2025 (chambre des affaires de sécurité sociale), la juridiction statue sur plusieurs questions liées à un accident du travail. Sont en cause la recevabilité d’une demande d’opposabilité, la matérialité du fait accidentel et la faute inexcusable dans un contexte d’intervention d’une entreprise extérieure.

Les faits tiennent à la blessure d’un salarié intérimaire, affecté à l’apposition d’étiquettes au voisinage d’une machine de conditionnement, qui a subi des lésions à la main droite. Un certificat médical initial daté du lendemain du fait et des déclarations d’accident ont été établis, avec mention de fractures et luxation.

Par jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Blois du 13 septembre 2024, la faute inexcusable a été retenue, la rente majorée à son maximum, une expertise ordonnée, et la garantie de l’entreprise utilisatrice au profit de l’employeur de travail temporaire prononcée. L’appelant sollicitait l’infirmation, contestait la matérialité et, subsidiairement, l’existence de la faute inexcusable, tandis que les autres parties demandaient la confirmation.

La question centrale porte d’abord sur l’office du juge d’appel face à une demande d’opposabilité visant un intervenant déjà appelé en première instance. Elle concerne ensuite la caractérisation de la faute inexcusable du substitué dans la direction au regard des obligations de prévention et de coordination applicables aux travaux réalisés par une entreprise extérieure. La solution confirme la recevabilité de la demande accessoire, consacre la matérialité de l’accident et caractérise la faute inexcusable, avec maintien de la garantie au profit de l’employeur de travail temporaire.

I. Clarification procédurale et matérialité du fait accidentel

A. Recevabilité de l’opposabilité de l’arrêt

La cour relève que le tiers en cause avait été valablement attrait devant le premier juge, de sorte que la demande d’opposabilité tend aux mêmes fins que les prétentions antérieures. L’accessoire de la prétention principale demeure recevable en appel lorsqu’il prolonge utilement le débat et n’aggrave pas l’objet du litige.

L’argumentation tirée d’un prétendu appel en garantie nouveau est écartée, faute d’être formulée dans le dispositif et débattue contradictoirement. Le raisonnement s’inscrit dans la logique de l’économie du procès, sans altérer l’équilibre des positions procédurales déjà fixées.

B. Matérialité et régime de preuve de l’accident du travail

Le contrôle de la matérialité s’opère au prisme de la définition prétorienne de l’accident du travail. La Cour de cassation affirme qu’« constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci » (Soc., 2 avril 2003). Elle ajoute que « les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail » (Soc., 20 décembre 2001).

S’agissant de la preuve, la victime doit « établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l’accident et son caractère professionnel » (Soc., 26 mai 1994). Il « importe qu’elles soient corroborées par d’autres éléments » (Soc., 11 mars 1999 ; Civ. 2e, 28 mai 2014).

La cour retient l’existence de deux déclarations d’accident concordantes, émanant de l’employeur et de l’entreprise utilisatrice, assorties d’un certificat médical initial et d’éléments relatifs à la prise en charge d’urgence. Les réserves, limitées à un prétendu non-respect de consignes, ne contredisent ni le lieu, ni le mécanisme lésionnel, ni la temporalité du fait. L’acceptation rapide par l’organisme de sécurité sociale renforce la cohérence du faisceau probatoire. La matérialité se trouve dès lors établie, les incertitudes alléguées ne faisant pas obstacle à la qualification.

II. Faute inexcusable et conséquences indemnitaires

A. Caractérisation de la faute inexcusable du substitué dans la direction

La définition jurisprudentielle est claire : « le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (Civ. 2e, 8 octobre 2020). De même, « il est indifférent que la faute inexcusable […] ait été la cause déterminante […] ; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire » (Ass. plén., 24 juin 2005).

Il « appartient au salarié de rapporter la preuve que l’employeur avait conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires » (Civ. 2e, 8 juillet 2004 ; 22 mars 2005). « Cette preuve n’est pas rapportée lorsque les circonstances de l’accident […] sont indéterminées » (Soc., 11 avril 2002). En l’espèce, les circonstances sont suffisamment établies, et la preuve d’un contexte à risques ressort des manquements relevés aux obligations de coordination et de prévention applicables aux interventions d’entreprises extérieures.

La cour constate l’absence d’inspection commune préalable, de plan de prévention et l’utilisation d’un équipement non conforme, autant de défaillances en lien direct avec l’exposition du salarié. Le substitué dans la direction « aurait dû avoir conscience du danger » au regard de l’organisation du poste et des interfaces matérielles, et n’a pas pris les mesures nécessaires. L’éventuelle maladresse de la victime, à la supposer établie, ne saurait exonérer mais seulement influer sur la majoration, conformément à la logique de causalité nécessaire. La solution renforce une conception exigeante de la vigilance organisationnelle dans les opérations multi‑entreprises.

B. Portée: garantie de l’employeur de travail temporaire

Le régime légal substitue l’entreprise utilisatrice à l’employeur pour la sécurité sur site, tout en maintenant les obligations propres de l’employeur de travail temporaire. Lorsque la faute inexcusable est retenue contre le substitué, l’employeur juridique peut obtenir le remboursement des compléments d’indemnisation servis à la victime sur le fondement du mécanisme de recours prévu par le code de la sécurité sociale (Civ. 2e, 24 mai 2007).

La cour confirme la garantie intégrale au profit de l’employeur de travail temporaire, qui justifiait d’une formation générale à la sécurité adaptée à un poste non classé à risques particuliers. La portée pratique est nette: la coordination des mesures de prévention in situ, l’analyse des interférences et le contrôle de la conformité des équipements pèsent sur le substitué, dont la carence emporte faute inexcusable et transfert des conséquences financières. Cette articulation clarifie la distribution des charges entre acteurs du travail temporaire et sécurise l’indemnisation complémentaire de la victime.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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