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L’arrêt rendu le 9 septembre 2025 par la chambre des affaires de sécurité sociale de la cour d’appel d’Orléans porte sur la recevabilité d’un appel formé contre un jugement mixte ordonnant une expertise médicale. Cette décision s’inscrit dans un contentieux récurrent relatif à la qualification des jugements avant dire droit.
Un salarié employé comme prothésiste dentaire a déposé une déclaration de maladie professionnelle le 28 juillet 2022, fondée sur un certificat médical initial mentionnant une tendinopathie de la coiffe des rotateurs droite. La caisse primaire d’assurance maladie, estimant que les conditions du tableau n°57 des maladies professionnelles n’étaient pas réunies, a saisi le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce comité a conclu le 2 mars 2023 à l’absence de lien direct entre la pathologie et l’activité professionnelle, ce qui a conduit au refus de prise en charge.
Le salarié a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Blois par requête du 23 juin 2023. Un premier comité régional ayant été désigné par ordonnance du 15 décembre 2023, celui-ci a rendu son avis le 13 février 2024. Par jugement du 15 novembre 2024, le tribunal a déclaré les prétentions du salarié recevables et ordonné avant dire droit une expertise médicale judiciaire. La caisse a interjeté appel de ce jugement le 24 décembre 2024, soutenant qu’il s’agissait d’un jugement mixte susceptible d’appel immédiat.
La caisse invoquait les articles 544 et 545 du code de procédure civile pour justifier la recevabilité de son appel. Elle soutenait que le tribunal avait tranché une partie du principal en statuant sur la recevabilité des demandes. Le salarié contestait cette analyse et concluait à la confirmation du jugement.
La question posée à la cour était de savoir si un jugement déclarant une demande recevable et ordonnant avant dire droit une expertise médicale, tout en sursissant à statuer sur le surplus, constitue un jugement mixte susceptible d’appel immédiat au sens de l’article 544 du code de procédure civile.
La cour d’appel d’Orléans a déclaré l’appel irrecevable. Elle a jugé que le jugement déféré, qui se bornait dans son dispositif à statuer sur la recevabilité et à ordonner une expertise avant dire droit, n’avait tranché aucune partie du principal. La caisse a été condamnée aux dépens d’appel.
I. La distinction entre recevabilité et fond dans la qualification du jugement
A. L’autonomie de la décision sur la recevabilité par rapport au principal
La cour d’appel d’Orléans rappelle un principe essentiel de procédure civile en affirmant que la décision sur la recevabilité ne constitue pas une décision sur le principal. Elle cite à cet égard un arrêt de la chambre commerciale du 15 décembre 2009 selon lequel « ne tranchent pas le principal le jugement qui, dans son dispositif, se borne à dire recevable l’intervention volontaire d’un tiers sans trancher le bien-fondé des prétentions respectives des parties ». Cette solution s’explique par la distinction fondamentale entre les conditions de recevabilité de l’action et le bien-fondé des prétentions au fond.
La recevabilité de la demande ne préjuge en rien de son succès. Elle vérifie seulement que le demandeur dispose des qualités requises pour agir et que sa demande n’est pas atteinte d’une fin de non-recevoir. Le tribunal de Blois avait déclaré les prétentions du salarié recevables sans se prononcer sur leur bien-fondé. Cette décision ne tranchait donc aucun élément du principal, lequel consiste en la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
L’argumentation de la caisse reposait sur une confusion entre la recevabilité et le fond du droit. Elle invoquait un arrêt de la troisième chambre civile du 17 décembre 2014 ainsi qu’une décision de la cour d’appel de Dijon du 7 mars 2024. Cependant, la cour d’Orléans écarte ces précédents en soulignant que ces jurisprudences concernaient des situations où le tribunal avait réellement tranché une partie du fond en statuant sur la recevabilité.
B. L’exigence d’une décision effective sur le fond pour caractériser le jugement mixte
La cour d’appel d’Orléans se fonde sur une jurisprudence précise de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 4 février 2021. Elle cite cette décision aux termes de laquelle une cour d’appel avait été censurée pour avoir jugé recevable un appel alors que « le jugement se bornait dans son dispositif à ordonner une expertise sans trancher une partie du principal ». La Haute juridiction avait retenu une violation des articles 150, 272, 544 et 545 du code de procédure civile.
Cette jurisprudence établit clairement que le simple prononcé d’une mesure d’instruction, même précédé d’une décision sur la recevabilité, ne suffit pas à caractériser un jugement mixte. Il faut que le dispositif du jugement tranche effectivement une question de fond. La cour d’Orléans relève que le jugement déféré avait « précisément sursis à statuer sur le surplus des demandes et a ordonné avant dire droit une expertise ». Cette formulation exclut toute décision sur le fond.
La rigueur de cette analyse s’impose pour préserver la cohérence du régime des voies de recours. Permettre l’appel immédiat contre tout jugement ordonnant une expertise conduirait à multiplier les recours intermédiaires. Le législateur a souhaité concentrer les voies de recours sur les décisions définitives ou partiellement définitives. L’exigence d’une décision effective sur le principal constitue le critère discriminant.
II. Les conséquences de la qualification sur le régime de l’appel
A. L’application stricte des articles 544 et 545 du code de procédure civile
La cour d’appel d’Orléans fait une application rigoureuse de l’article 544 du code de procédure civile, qu’elle cite expressément. Ce texte dispose que « les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel ». La conjonction « et » suppose la réunion cumulative de deux conditions. La simple ordonnance d’expertise ne suffit pas si aucune partie du principal n’est tranchée.
L’article 545 complète ce dispositif en posant le principe selon lequel « les autres jugements ne peuvent être frappés d’appel indépendamment des jugements sur le fond, que dans les cas spécifiés par la loi ». La cour d’appel constate qu’aucun texte spécial n’autorise l’appel immédiat dans le cas d’espèce. Le jugement ordonnant une expertise médicale dans le contentieux de la reconnaissance des maladies professionnelles ne bénéficie d’aucune dérogation légale.
Cette solution préserve l’économie procédurale voulue par le législateur. Les mesures d’instruction avant dire droit ont vocation à éclairer le juge avant qu’il ne statue au fond. Elles ne constituent pas des décisions définitives susceptibles d’exécution forcée. Leur remise en cause ne peut intervenir qu’avec le jugement au fond, permettant ainsi une appréciation globale du litige.
B. La portée de la décision dans le contentieux des maladies professionnelles
Cette décision présente un intérêt particulier pour le contentieux de la sécurité sociale. Les organismes de sécurité sociale contestent fréquemment les jugements ordonnant des expertises médicales, considérant que les avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles suffisent. La caisse soutenait en l’espèce que « la mesure d’expertise n’était pas nécessaire au vu des deux avis parfaitement concordants des deux comités régionaux ».
La cour d’appel d’Orléans refuse de se prononcer sur l’opportunité de l’expertise ordonnée. Elle se limite à constater l’irrecevabilité de l’appel. Cette position procédurale emporte une conséquence pratique importante. L’expertise judiciaire va pouvoir se dérouler sans être paralysée par un appel dilatoire. Le salarié bénéficiera d’un examen clinique individualisé que les comités régionaux, statuant sur dossier, ne peuvent offrir.
La condamnation de la caisse aux dépens d’appel sanctionne l’exercice d’une voie de recours manifestement irrecevable. Cette solution s’inscrit dans une volonté de dissuader les appels prématurés qui retardent le cours de la justice. Elle rappelle aux parties l’obligation de vérifier la qualification exacte du jugement avant d’exercer un recours. La rigueur procédurale constitue la garantie d’une bonne administration de la justice.