Cour d’appel de Papeete, le 26 juin 2025, n°24/00009

Par son arrêt du 26 juin 2025, la cour d’appel de Papeete a prononcé la nullité des conclusions aux fins de réaudiencement après radiation déposées par une locataire dans le cadre d’un litige l’opposant à ses anciens bailleurs. Cette décision illustre l’exigence rigoureuse du formalisme procédural, particulièrement s’agissant de la mention du domicile réel dans les actes de procédure.

Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Par acte sous seing privé du 12 février 2020, des bailleurs ont donné à bail une maison meublée à usage d’habitation moyennant un loyer mensuel de 160 000 XPF. La locataire a entrepris d’exercer dans les lieux une activité de toilettage pour animaux et procédé à divers aménagements. Les bailleurs ont sollicité la résiliation du bail pour non-respect de la destination des lieux. Une expertise judiciaire a été ordonnée, révélant des désordres imputables aux deux parties. Les bailleurs ont ensuite délivré un congé pour reprise à effet au 12 février 2022, puis un commandement de payer visant la clause résolutoire.

Le juge des référés du tribunal de première instance de Papeete, par ordonnance du 19 septembre 2022, a ordonné l’expulsion de la locataire, l’a condamnée au paiement d’une provision sur loyers échus et d’une indemnité d’occupation mensuelle. La locataire a relevé appel le 12 octobre 2022. L’affaire a été radiée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 10 mars 2023. La locataire a déposé des conclusions aux fins de réaudiencement le 22 décembre 2023, mentionnant une adresse qu’elle avait quittée depuis le 24 mai 2023, date à laquelle elle avait restitué les clés du logement par l’intermédiaire de son avocat.

Les bailleurs ont soulevé in limine litis la nullité de la requête d’appel et des conclusions de réaudiencement au motif de l’inexactitude de la mention du domicile. La locataire soutenait avoir régularisé cette irrégularité en faisant élection de domicile chez son avocat dans ses dernières écritures.

La question posée à la cour d’appel de Papeete était de déterminer si l’inexactitude de la mention du domicile réel dans les conclusions aux fins de réaudiencement après radiation constitue une cause de nullité de nature à faire grief, nonobstant une élection de domicile ultérieure chez l’avocat de la partie concernée.

La cour d’appel de Papeete a rejeté la demande de nullité de la requête d’appel initiale, considérant que l’adresse mentionnée, identique à celle figurant sur l’acte de signification de l’ordonnance attaquée, était suffisante. Elle a en revanche prononcé la nullité des conclusions aux fins de réaudiencement déposées le 22 décembre 2023 ainsi que des dernières conclusions du 10 mars 2025. La cour a retenu que l’absence ou l’inexactitude de la mention du domicile réel nuit nécessairement à l’exécution de l’arrêt à intervenir et que la signification à domicile élu n’est pas prévue en matière de référé-expulsion.

L’examen de cette décision conduit à analyser d’abord la confirmation de l’exigence formelle de la mention du domicile réel dans les actes de procédure (I), puis l’exclusion de l’élection de domicile comme mode de régularisation en matière d’expulsion (II).

I. La confirmation de l’exigence formelle de la mention du domicile réel

La cour d’appel de Papeete rappelle avec fermeté le caractère impératif de la mention du domicile dans les actes de procédure (A), tout en précisant les conditions de caractérisation du grief (B).

A. Le fondement textuel de l’obligation d’identification domiciliaire

L’article 18 du code de procédure civile de la Polynésie française prescrit que la requête introductive d’instance contient, à peine de nullité, le domicile réel ou élu du requérant personne physique. La cour souligne que « parmi les éléments d’identification d’une partie en justice figure son domicile dont il doit être fait mention à peine de nullité ». Cette exigence s’inscrit dans une conception fonctionnelle du formalisme procédural. Le domicile ne constitue pas une simple mention administrative, il conditionne l’effectivité de la décision de justice.

La juridiction polynésienne adopte une lecture téléologique de cette prescription formelle. L’identification du domicile vise à garantir la possibilité pratique de signifier et d’exécuter la décision rendue. La cour affirme que « l’exécution d’une décision de justice est le prolongement nécessaire de celle-ci ». Cette formule révèle une conception unitaire du procès civil intégrant l’instance et son aboutissement concret. L’acte de procédure ne saurait être dissocié des effets qu’il est destiné à produire.

B. L’appréciation in concreto du grief résultant de l’inexactitude

L’article 43 du code de procédure civile de la Polynésie française subordonne la nullité pour vice de forme à la démonstration d’un grief certain. La cour applique cette règle en distinguant nettement le traitement de la requête d’appel initiale et celui des conclusions de réaudiencement. S’agissant de la première, l’adresse mentionnée correspondait à celle utilisée pour la signification de l’ordonnance attaquée, attestant de son exactitude au moment de l’acte. L’absence de grief justifie le rejet de cette première demande de nullité.

Les conclusions de réaudiencement appellent une appréciation différente. La locataire avait quitté l’adresse mentionnée sept mois avant leur dépôt, ainsi que l’établit la remise des clés intervenue le 24 mai 2023. La cour caractérise le grief en ces termes : cette « mention erronée du domicile réel […] met d’ores et déjà les intimés dans l’impossibilité d’assurer la sauvegarde réelle et complète de leurs droits ». Le préjudice n’est pas hypothétique. L’impossibilité de prendre des mesures conservatoires effectives à l’encontre d’une partie déjà condamnée au paiement de diverses sommes sous le bénéfice de l’exécution provisoire démontre l’atteinte certaine aux intérêts des bailleurs.

II. L’exclusion de l’élection de domicile comme mode de régularisation

La cour d’appel de Papeete refuse de reconnaître l’efficacité de l’élection de domicile chez l’avocat (A), consacrant ainsi une conception restrictive de la régularisation des vices de forme (B).

A. L’inapplicabilité de la notification à domicile élu en matière d’expulsion

La locataire prétendait avoir régularisé l’irrégularité affectant ses conclusions en faisant élection de domicile chez son avocat dans ses dernières écritures. La cour rejette cet argument au visa de l’article 400 du code de procédure civile de la Polynésie française selon lequel « la notification est aussi valablement faite au domicile élu lorsque la loi l’admet ou l’impose ». Or, relève la juridiction, « aucun texte n’impose ni ne prévoit la notification à domicile élu d’un arrêt statuant en matière de référé expulsion ».

Cette solution procède d’une interprétation stricte du texte procédural. L’élection de domicile n’opère que dans les hypothèses expressément prévues par la loi. En l’absence de disposition spéciale en matière de référé-expulsion, seule la signification au domicile réel emporte validité. La spécificité des mesures d’expulsion, qui touchent directement à l’occupation effective d’un lieu, justifie cette rigueur. La décision ordonnant une expulsion doit pouvoir être portée à la connaissance personnelle de celui qu’elle concerne en un lieu où il peut effectivement en prendre connaissance.

B. Les conséquences de l’impossibilité de régularisation sur le sort de l’instance

L’article 43 du code de procédure civile de la Polynésie française prévoit que la nullité pour vice de forme « peut être couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si sa régularisation ne laisse subsister aucun grief ». La cour considère que l’élection de domicile chez l’avocat ne constitue pas une régularisation valable, faute de permettre une signification efficace de l’arrêt à intervenir.

Les conséquences procédurales de cette nullité méritent attention. La cour prononce la nullité des conclusions aux fins de réaudiencement du 22 décembre 2023 ainsi que des dernières conclusions du 10 mars 2025. Elle en déduit que « l’affaire reste donc en l’état de la radiation prononcée le 10 mars 2023 ». La locataire n’a pas perdu son droit d’appel, l’affaire demeurant radiée. Elle conserve théoriquement la faculté de solliciter un nouveau réaudiencement en mentionnant cette fois son domicile réel. Cette décision illustre la fonction disciplinaire du formalisme procédural, qui sanctionne le manque de diligence des parties sans nécessairement éteindre définitivement leurs droits. La portée de cet arrêt demeure circonscrite au droit polynésien, dont les règles procédurales diffèrent sur certains points du code de procédure civile métropolitain, notamment quant aux conditions de validité des actes introductifs d’instance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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