Cour d’appel de Paris, le 10 juillet 2025, n°22/04712

La salariée déclarée inapte à la suite d’un accident du travail peut-elle contester la rupture de son contrat décidée sans saisine préalable de la commission de réforme prévue par le statut du personnel de son employeur public ? Telle est la question tranchée par la cour d’appel de Paris, pôle 6, chambre 7, dans un arrêt du 10 juillet 2025.

Une salariée avait été engagée le 26 mars 2001 par un établissement public de transport en qualité d’élève animateur agent mobile. Elle occupait en dernier lieu le poste d’animateur agent mobile sur une ligne de métro. Elle soutient avoir été victime de plusieurs agressions dans l’exercice de ses fonctions, notamment le 7 août 2016. Le médecin du travail a prononcé son inaptitude provisoire le 10 octobre 2017, puis son inaptitude définitive le 25 septembre 2018, précisant qu’elle « pourrait être reclassée à un poste sans contact avec le public, sans conduite de véhicule, sans poste de sécurité ». L’employeur a proposé un poste de reclassement que la salariée a accepté le 22 octobre 2018. Le médecin du travail a toutefois émis une contre-indication médicale à ce poste le 16 novembre 2018, ajoutant des restrictions supplémentaires. L’employeur a informé la salariée le 21 janvier 2019 qu’aucun poste compatible ne pouvait lui être proposé, puis lui a notifié sa réforme pour impossibilité de reclassement le 26 février 2019.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes le 14 novembre 2019 afin d’obtenir la nullité de cette décision. Par jugement de départage du 5 avril 2022, le conseil de prud’hommes a dit la procédure de réforme nulle, ordonné la réintégration de la salariée et condamné l’employeur à lui verser 10 000 euros au titre de la discrimination fondée sur son état de santé. L’employeur a interjeté appel le 14 avril 2022.

Au soutien de son appel, l’employeur faisait valoir l’existence de deux procédures de réforme distinctes dans le statut du personnel : la réforme médicale, applicable lorsque la commission médicale a prononcé l’inaptitude à tout emploi, et la réforme administrative, applicable lorsque l’agent est déclaré inapte à son seul poste statutaire. Il soutenait avoir respecté la procédure de réforme administrative prévue par l’article 99 du statut. La salariée soutenait que la décision de réforme était nulle en raison de l’absence de saisine préalable de la commission de réforme et du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.

La question posée à la cour était de savoir si la rupture du contrat d’un salarié statutaire déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail, prononcée sans saisine de la commission de réforme, constitue une discrimination fondée sur l’état de santé justifiant l’annulation de cette décision et la réintégration du salarié.

La cour d’appel de Paris confirme le jugement entrepris et ordonne le versement des salaires dus entre la rupture et la réintégration. Elle retient que l’employeur a méconnu les garanties procédurales prévues par le statut du personnel en ne saisissant pas la commission de réforme préalablement à la décision de rupture, ce qui caractérise une discrimination fondée sur l’état de santé de la salariée.

La décision mérite examen tant au regard de l’articulation entre les procédures statutaires et le droit commun du licenciement pour inaptitude (I) qu’au regard des conséquences attachées à la qualification de discrimination (II).

I. L’exigence de saisine de la commission de réforme : une garantie substantielle pour le salarié inapte

L’arrêt se prononce sur les conditions procédurales de la rupture du contrat d’un salarié statutaire déclaré inapte (A), avant d’en tirer les conséquences sur la validité de la décision de réforme (B).

A. La dualité des procédures de réforme dans le statut du personnel

L’employeur invoquait l’existence de deux régimes distincts au sein du statut du personnel. L’article 98 organise la réforme médicale, applicable lorsque la commission médicale a constaté l’inaptitude du salarié à tout emploi. L’article 99 institue la réforme administrative, applicable lorsque l’agent est déclaré inapte à son seul poste statutaire sans remplir les conditions permettant la saisine de la commission médicale. L’employeur soutenait avoir régulièrement appliqué cette seconde procédure.

La cour refuse cette lecture cloisonnée du statut. Elle considère que les dispositions statutaires doivent être interprétées à la lumière des principes généraux du droit du travail, notamment ceux issus du code du travail en matière d’inaptitude consécutive à un accident du travail. La protection renforcée dont bénéficie le salarié victime d’un accident du travail implique le respect de garanties procédurales substantielles, parmi lesquelles figure la saisine d’une instance collégiale chargée d’examiner les possibilités de reclassement. Cette interprétation s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui impose à l’employeur de respecter l’ensemble des garanties prévues par les dispositions conventionnelles ou statutaires applicables.

B. L’irrégularité de la procédure suivie par l’employeur

La cour constate que l’employeur a prononcé la réforme pour impossibilité de reclassement sans avoir préalablement saisi la commission de réforme. Elle relève que cette commission constitue une garantie pour le salarié en ce qu’elle permet un examen collégial et contradictoire de sa situation. L’omission de cette formalité substantielle vicie la procédure dans son ensemble.

L’arrêt précise que le caractère substantiel de cette garantie ne saurait être écarté au motif que la salariée n’aurait pas elle-même demandé la saisine de la commission. Il appartenait à l’employeur, dès lors qu’il envisageait de rompre le contrat pour impossibilité de reclassement, de mettre en œuvre l’ensemble des procédures permettant d’examiner les alternatives à cette rupture. Cette solution s’inscrit dans la lignée des décisions imposant à l’employeur une obligation active dans la recherche de reclassement et dans le respect des procédures protectrices du salarié inapte.

II. La qualification de discrimination fondée sur l’état de santé : une sanction aux conséquences étendues

La cour retient la discrimination fondée sur l’état de santé pour qualifier l’irrégularité commise par l’employeur (A), ce qui emporte des conséquences indemnitaires significatives (B).

A. Le rattachement de l’irrégularité procédurale à la prohibition des discriminations

La salariée sollicitait la nullité de la décision de réforme sur le fondement de la discrimination en raison de son état de santé. La cour fait droit à cette qualification. Elle considère que le fait de priver un salarié déclaré inapte des garanties procédurales auxquelles il a droit constitue une différence de traitement directement liée à son état de santé. Cette analyse repose sur l’article L. 1132-1 du code du travail qui prohibe toute mesure discriminatoire fondée notamment sur l’état de santé.

Cette qualification peut surprendre dans la mesure où l’irrégularité procédurale pourrait être analysée comme un simple manquement aux règles de forme sans lien direct avec le critère prohibé. La cour considère toutefois que les garanties procédurales spécifiques aux salariés inaptes participent de la protection contre la discrimination. Leur méconnaissance révèle un traitement défavorable du salarié en raison de sa condition de santé. Cette approche extensive de la notion de discrimination s’inscrit dans le mouvement jurisprudentiel tendant à renforcer l’effectivité des protections accordées aux salariés vulnérables.

B. Les conséquences indemnitaires de la nullité : réintégration et rappel de salaires

La nullité de la décision de réforme emporte des conséquences importantes. La cour confirme la réintégration de la salariée ordonnée par les premiers juges et exécutée au cours de l’année 2022. Elle confirme également la condamnation de l’employeur au versement de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre de la discrimination.

L’apport principal de l’arrêt en cause d’appel réside dans la condamnation de l’employeur au versement des salaires dus entre la date de rupture et la date de réintégration. La cour accueille la demande de la salariée tendant à obtenir 89 932 euros correspondant à trente-sept mois de salaire, majorés de 10 % au titre des congés payés. Cette solution est conforme au régime de la nullité du licenciement qui impose la reconstitution intégrale de la situation du salarié. La cour précise que les sommes perçues par la salariée au titre des allocations chômage doivent être remboursées aux organismes concernés dans la limite de six mois, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Cette décision illustre le coût financier considérable que peut représenter pour l’employeur la méconnaissance des garanties procédurales applicables aux salariés protégés en raison de leur état de santé. Elle constitue un rappel de l’importance du respect scrupuleux des procédures statutaires ou conventionnelles, dont la violation peut être sanctionnée par la nullité de la rupture et ses conséquences indemnitaires.

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Hassan KOHEN
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