Cour d’appel de Paris, le 10 juillet 2025, n°22/05150

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Rendue par la Cour d’appel de Paris le 10 juillet 2025, la décision tranche un litige relatif à la rupture d’une période d’essai et aux manquements allégués en matière de santé et sécurité. Une salariée, engagée début décembre 2018, a vu sa période d’essai rompue au 2 janvier 2019, après des tâches de préparation à l’ouverture d’un magasin. Plusieurs ruptures sont intervenues le même jour, concomitamment à l’ouverture au public. En première instance, la juridiction prud’homale a jugé la rupture fondée et a rejeté les demandes indemnitaires. L’appelante a soutenu l’abus de l’essai, le défaut de visite d’information et de prévention, des conditions de travail dangereuses, ainsi qu’une exécution déloyale. L’employeur a invoqué la liberté de l’essai et la conformité des tâches confiées. La question posée est double. D’abord, l’essai a-t-il été détourné de sa finalité et rompu pour un motif non inhérent à la personne. Ensuite, l’employeur a-t-il satisfait à ses obligations de sécurité, et des préjudices distincts sont-ils établis. La Cour répond positivement au premier point et, pour partie, au second, en relevant que « la résiliation du contrat de travail [est] intervenue au cours de la période d’essai pour un motif non inhérent à la personne de la salariée », et que « l’employeur ne justifie pas avoir effectivement pris les différentes mesures nécessaires prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ».

I. Le sens de la décision sur la finalité de l’essai

A. Le contrôle du motif inhérent et le détournement de l’essai
Le cadre légal rappelé par la Cour est clair. « La période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail », selon l’article L.1221-20 du code du travail, cité par l’arrêt. L’office de l’essai est strictement fonctionnel et personnel. Or, la motivation retient que « l’intention de l’employeur était manifestement, dès l’origine, de limiter l’emploi de la salariée à la durée de l’essai dans la limite de la date d’ouverture du magasin ». La Cour constate une affectation presque exclusive à des tâches de nettoyage et de manutention lourde, dans le cadre de la seule préparation de l’ouverture, sans contact clientèle. Elle souligne que « l’employeur n’[a] pas été effectivement en mesure d’apprécier les qualités professionnelles de la salariée », faute d’exercice normal des fonctions contractuelles. Aucun élément ne révèle une inadéquation au poste. L’arrêt qualifie alors sans détour la cause de rupture, en jugeant que « la résiliation du contrat de travail [est] intervenue (…) pour un motif non inhérent à la personne de la salariée », ce qui caractérise l’abus et justifie l’allocation de dommages-intérêts. La solution, classique, confirme que la liberté de l’essai n’exclut ni la finalité, ni le contrôle du motif.

B. L’office du juge et l’appréciation souveraine des preuves
La Cour assoit son contrôle probatoire sur un principe ferme. « Il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement la valeur probante ainsi que la portée » des attestations non conformes à l’article 202 du code de procédure civile. Elle combine les témoignages concordants d’anciens collègues avec le registre du personnel, pour établir la concomitance des ruptures et la nature effective des tâches. Ce faisceau d’indices qualifie un usage instrumental de l’essai, destiné à couvrir des besoins ponctuels d’ouverture. La méthode se veut mesurée. Elle ne reconstitue pas les faits en dehors des pièces, mais relie le calendrier, les fonctions réellement exercées et l’absence d’évaluation des compétences attendues. Le raisonnement demeure interne au dossier et au texte visé, ce qui renforce la lisibilité de la qualification d’abus. L’arrêt donne ainsi un guide probatoire pragmatique aux litiges liés aux ouvertures de sites et périodes de montée en charge.

II. La valeur et la portée en matière d’obligation de sécurité et de réparation

A. L’exigence de mesures effectives et la VIP sans préjudice démontré
La Cour reproduit la structure des articles L.4121-1 et L.4121-2, puis forge son contrôle sur l’effectivité des moyens. Elle relève que la salariée ne disposait ni d’équipements de protection individuels adaptés, ni d’un matériel fonctionnel, dans des locaux non chauffés. Les pièces adverses ne prouvent pas une dotation effective. Dès lors, « l’employeur ne justifie pas avoir effectivement pris les différentes mesures nécessaires prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ». La faute est retenue, et un préjudice moral spécifique est indemnisé. Sur la visite d’information et de prévention, l’arrêt rappelle que « tout travailleur bénéficie d’une visite (…) dans un délai qui n’excède pas trois mois ». Le délai n’était pas expiré à la date de la rupture. Surtout, le « principe » et le « quantum » d’un préjudice ne sont pas établis. La solution distingue utilement l’obligation de sécurité, engagée par l’absence de mesures concrètes, de la VIP, où la seule carence alléguée ne suffit pas sans dommage caractérisé.

B. Le refus de cumul indemnitaire sans préjudice distinct
Au-delà des montants, la motivation s’ordonne autour de l’interdiction des doublons indemnitaires. Après avoir réparé l’abus de l’essai et le manquement à la sécurité, la Cour confirme le rejet du grief d’exécution déloyale, dès lors que « l’intéressée ne justifie (…) ni du principe ni du quantum du préjudice allégué, ni de son caractère distinct de ceux déjà réparés ». La rigueur s’étend au régime des intérêts. L’arrêt rappelle que « les condamnations portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt », et ordonne la capitalisation. La portée pratique est nette. Les salariés doivent individualiser les chefs de préjudice. Les employeurs doivent documenter la fourniture d’équipements et l’organisation concrète de prévention, particulièrement lors des phases d’ouverture. La décision éclaire enfin l’articulation des demandes indemnitaires, en cantonnant la réparation à des atteintes caractérisées, sans superposition des chefs pour des faits identiques.

La solution concilie donc l’exigence de finalité de l’essai et la substance de l’obligation de sécurité, tout en consolidant une économie de la réparation centrée sur le préjudice prouvé et distinct.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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