Cour d’appel de Paris, le 10 juillet 2025, n°22/08622

Cour d’appel de Paris, 10 juillet 2025. Le litige oppose une salariée cadre à son employeur à la suite d’un licenciement fondé sur des absences répétées prétendument perturbatrices. L’intéressée invoquait d’abord la nullité de la rupture pour harcèlement et discrimination en raison de l’état de santé, et, subsidiairement, l’absence de cause réelle et sérieuse. Le conseil de prud’hommes d’Evry-Courcouronnes, le 13 septembre 2022, avait écarté la nullité mais retenu l’absence de cause, allouant des dommages et intérêts et ordonnant un remboursement des allocations chômage. Les deux parties ont relevé appel. La cour confirme le rejet des griefs de harcèlement et de discrimination, rejette le manquement à l’obligation de sécurité, mais confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, en relevant l’insuffisance des preuves de désorganisation et un remplacement trop tardif. Elle maintient l’indemnité prud’homale, et limite le remboursement des allocations à six mois.

La question centrale porte, d’une part, sur l’application des régimes probatoires aménagés en matière de discrimination et de harcèlement moral, et, d’autre part, sur les conditions de validité d’un licenciement motivé par des absences répétées, tenant à la perturbation du service et à l’exigence d’un remplacement définitif dans un délai raisonnable. La décision retient une lecture exigeante de la preuve des agissements reprochés et du lien causal, mais demeure stricte sur la nécessité de justifier, concrètement, les perturbations alléguées et la réalité d’un remplacement effectif proche de la rupture.

I. Les griefs de harcèlement et de discrimination écartés

A. Le cadre probatoire aménagé et son maniement rigoureux
La cour rappelle la méthode probatoire. Elle énonce ainsi, à propos de la discrimination, que « En application de ces dispositions, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. » La grille est doublée, pour le harcèlement moral, de la définition textuelle, « Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail […] ».

La formation applique ce standard en triant les faits utiles. Sont retenus comme matérialisés l’absence d’évaluations sur certaines années et le maintien dans un même poste. Sont écartés les griefs d’inexécution des préconisations médicales ou d’organisation tardive des visites, la cour constatant des mesures d’aménagement adoptées et des reports non imputables à l’employeur. L’examen révèle l’absence d’agissements répétés et l’existence d’éléments objectifs pour expliquer les différences de trajectoires professionnelles au sein du service. Le contrôle de proportion et de causalité est mené sans excès de formalisme, mais avec une vigilance sur la répétition des faits allégués.

B. L’absence d’agissements répétés et de lien caractérisé
La cour constate que les pressions managériales ne sont pas établies par les échanges produits, et que la charge de travail inadaptée n’est pas objectivée. Elle souligne la présence d’avenants successifs conformes aux avis médicaux, et de suivis concrets des aménagements. S’agissant des évolutions de carrière comparées, les justifications tiennent à l’ancienneté, à l’expatriation ou aux périmètres continentaux, éléments étrangers à toute discrimination.

La décision tranche nettement : « En conséquence, il convient de retenir que la salariée n’a pas été victime de faits de discrimination ou de harcèlement, ou, comme elle le soutient de harcèlement discriminatoire. » La demande de nullité est donc logiquement rejetée. Le grief subsidiaire de manquement à l’obligation de sécurité, examiné à part, n’aboutit pas davantage, la cour rappelant que le seul défaut de suivi régulier d’un forfait en jours « n’ouvre pas, à lui seul, le droit à réparation », faute de préjudice distinct établi, et en l’absence d’éléments probants sur un épuisement professionnel.

II. Le contrôle du licenciement pour absences répétées

A. Perturbation du service et exigence d’un remplacement définitif
Pour la validité d’un licenciement motivé par des absences, la cour reprend la clause de sauvegarde du droit antidiscriminatoire. Elle précise : « L’article L. 1132-1 du code du travail […] ne s’oppose pas au licenciement motivé, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Ce salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié, lequel doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci. »

La cour exige des preuves circonstanciées de la désorganisation et des modalités de suppléance. Les seules énonciations de la lettre de rupture ne suffisent pas, faute d’éléments sur l’organigramme actualisé, le périmètre exact des tâches, et la manière dont les remplacements temporaires ont affecté le fonctionnement du service. Surtout, le remplacement définitif n’est pas intervenu dans un délai acceptable. L’arrêt relève que « Il en résulte qu’alors que la salariée a été licenciée le 14 décembre 2020, l’employeur n’a procédé à son remplacement définitif que le 22 mai 2022 ce qui constitue un dépassement du délai raisonnable. » La solution s’impose : « En conséquence, […] il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse. »

B. La réparation encadrée par le barème et l’office du juge
La cour valide l’application du barème légal, après avoir écarté les moyens d’inconventionalité. Elle retient que « Ce dont il résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée. » Partant, l’indemnité est fixée dans la fourchette attachée à l’ancienneté, sans majoration, au vu de la situation professionnelle et des démarches de reconversion démontrées. Le quantum retenu par les premiers juges est confirmé, l’évaluation apparaissant adéquate au préjudice de perte injustifiée d’emploi.

Pour l’accessoire, la décision module le remboursement des allocations chômage au plafond légal. Elle statue sans équivoque : « il sera uniquement dit que le remboursement devra intervenir dans la limite de six mois. » L’ensemble compose un dispositif cohérent : rejet des griefs de nullité, absence de cause réelle et sérieuse faute de preuves concrètes des perturbations et d’un remplacement à bref délai, et indemnisation conforme au barème, ce qui renforce la prévisibilité des solutions en la matière.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture