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La Cour d’appel de Paris, chambre 9, a rendu le 10 juillet 2025 un arrêt par défaut dans un litige opposant un établissement de crédit à deux emprunteurs solidaires. Ce contentieux porte sur un crédit personnel de regroupement conclu en 2020 et sur les conséquences du manquement du prêteur à ses obligations précontractuelles d’information.
Un établissement de crédit avait consenti le 12 octobre 2020 à deux particuliers un prêt personnel de 22 000 euros destiné au regroupement de crédits, remboursable en 108 mensualités au taux nominal de 5,05 %. Les emprunteurs ayant cessé d’honorer leurs échéances à compter de juillet 2022, le prêteur a prononcé la déchéance du terme après mise en demeure restée infructueuse. Par acte du 17 août 2023, la société de crédit a assigné les débiteurs devant le juge des contentieux de la protection. Ce dernier, par jugement réputé contradictoire du 22 décembre 2023, a déclaré l’action recevable mais a débouté le prêteur de ses demandes au motif que le contrat signé n’avait pas reçu d’avis favorable nécessitant l’envoi d’un nouveau contrat et qu’aucun document régularisé n’était produit. Le prêteur a interjeté appel le 26 mars 2024.
Le conseiller de la mise en état a soulevé d’office la question de la déchéance du droit aux intérêts. L’appelante soutenait que la production de la liasse contractuelle complète démontrait le respect de ses obligations. Les intimés, défaillants, n’ont constitué avocat ni en première instance ni en appel.
La question posée à la cour était de déterminer si le prêteur rapportait la preuve de la remise effective de la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées à l’emprunteur, condition du maintien de son droit aux intérêts contractuels.
La cour a infirmé partiellement le jugement. Elle a reconnu l’existence du contrat de crédit mais a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels. Elle a condamné solidairement les emprunteurs au paiement du seul capital restant dû, soit 16 259,47 euros, avec intérêts au taux légal non majoré.
La solution retenue par la cour invite à examiner successivement l’exigence probatoire renforcée pesant sur le prêteur en matière d’information précontractuelle (I), puis les conséquences de la déchéance du droit aux intérêts sur l’étendue de la créance (II).
I. L’exigence probatoire renforcée de la remise de la fiche d’informations précontractuelles
La cour applique avec rigueur les principes jurisprudentiels relatifs à la preuve de l’information précontractuelle (A), tout en admettant parallèlement l’existence du contrat malgré les défaillances documentaires (B).
A. L’insuffisance de la clause de reconnaissance corroborée par des éléments émanant du seul prêteur
La cour rappelle que « la clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles normalisées européennes, n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ». Cette exigence découle de l’article L. 312-12 du code de la consommation qui impose au prêteur de donner à l’emprunteur, préalablement à la conclusion du contrat, les informations nécessaires à la comparaison des offres.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 juin 2023, a précisé qu’« un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type de l’offre de prêt pour apporter la preuve de l’effectivité de la remise ». La cour d’appel fait application de cette jurisprudence en relevant que la FIPEN produite est « remplie mais non signée » par les emprunteurs. La production d’une liasse contractuelle paginée ne peut davantage servir de corroboration dès lors que les documents retournés signés par les emprunteurs ne comportent aucune pagination, ce qui démontre qu’ils ne sont pas issus de cette liasse.
Cette solution traduit une conception stricte de la charge de la preuve en droit de la consommation. Le prêteur professionnel ne saurait se contenter de produire des documents qu’il a lui-même établis pour démontrer l’exécution de ses obligations légales. L’exigence d’un élément extérieur ou d’une manifestation de l’emprunteur atteste d’une volonté de protection effective du consommateur contre les pratiques consistant à reconstituer a posteriori une apparence de conformité.
B. La reconnaissance de l’existence du contrat malgré l’absence de concordance documentaire
La cour infirme le jugement de première instance sur la question de l’existence même du contrat. Elle relève que les emprunteurs « ont bien signé un contrat de crédit dont l’original signé est ainsi produit et que la société de crédit a débloqué les fonds, que [les emprunteurs] ont remboursé des mensualités pour un total de 5 740,53 euros ».
Cette approche distingue clairement deux questions : celle de la formation du contrat et celle du respect des obligations d’information du prêteur. L’absence de correspondance entre la liasse contractuelle produite et les documents effectivement signés n’affecte pas la validité du consentement des parties. Le contrat existe dès lors que ses éléments essentiels sont établis : accord sur le montant, les modalités de remboursement et le taux. Le déblocage des fonds et le commencement d’exécution par le paiement de mensualités confirment cette réalité contractuelle.
La sanction n’est pas la nullité du contrat mais la déchéance du droit aux intérêts, ce qui préserve l’équilibre entre la protection du consommateur et la sécurité des transactions. Le prêteur conserve le droit au remboursement du capital prêté mais perd la rémunération de ce prêt.
II. Les conséquences mesurées de la déchéance du droit aux intérêts sur la créance du prêteur
La déchéance prononcée entraîne une réduction substantielle de la créance (A), tandis que la cour module l’application des intérêts légaux pour préserver l’effectivité de la sanction (B).
A. La limitation de la créance au seul capital restant dû
La cour fait application de l’article L. 341-8 du code de la consommation aux termes duquel « lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ». Le calcul opéré est simple : du capital emprunté de 22 000 euros est déduite la totalité des sommes payées, soit 5 740,53 euros, aboutissant à une condamnation de 16 259,47 euros.
Cette déduction globale des paiements effectués, sans ventilation entre capital et intérêts, constitue l’application la plus favorable aux emprunteurs. La cour précise que « la limitation légale de la créance du prêteur exclut qu’il puisse prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de la clause pénale prévue par l’article L. 312-39 du code de la consommation ».
La différence entre la somme réclamée par le prêteur (21 386,49 euros) et celle accordée (16 259,47 euros) représente plus de 5 000 euros, soit près de 25 % de réduction. Cette sanction significative illustre le caractère dissuasif voulu par le législateur pour inciter les établissements de crédit au respect scrupuleux de leurs obligations précontractuelles.
B. L’exclusion de la majoration des intérêts légaux au nom de l’effectivité de la sanction
La cour écarte l’application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier qui prévoit une majoration de cinq points du taux légal deux mois après le caractère exécutoire de la décision. Elle se fonde sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui a jugé que les dispositions nationales « doivent être écartées s’il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu’il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n’avait pas été prononcée, sauf à faire perdre à cette sanction ses caractères de dissuasion et d’efficacité ».
Le raisonnement repose sur une comparaison concrète : le taux contractuel s’élevait à 5,05 % l’an. Le taux légal majoré de cinq points dépasserait largement ce taux conventionnel, ce qui aboutirait à un résultat paradoxal où le prêteur fautif percevrait davantage que s’il avait respecté ses obligations.
Cette solution s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt Le Crédit Lyonnais de la Cour de justice du 27 mars 2014. Elle témoigne de l’influence du droit européen de la consommation sur les sanctions du droit interne. Le juge national doit procéder à un contrôle in concreto de proportionnalité pour garantir que la sanction conserve son effet utile.
La portée de cet arrêt réside dans la confirmation d’une jurisprudence désormais établie sur la preuve de la remise de la FIPEN. Les établissements de crédit ne peuvent plus se contenter de produire leurs propres documents pour justifier du respect de leurs obligations. Ils doivent organiser la traçabilité de leurs remises par des moyens impliquant une manifestation de l’emprunteur, telle qu’une signature spécifique sur la fiche elle-même. Cette exigence probatoire accrue participe de l’effectivité du droit de la consommation et incite les professionnels à une plus grande rigueur dans leurs pratiques contractuelles.