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La protection du consommateur de crédit face aux exigences probatoires de la signature électronique et de l’information précontractuelle constitue un terrain de contentieux récurrent devant les juridictions du fond.
Par arrêt du 10 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la validité d’un contrat de crédit à la consommation signé électroniquement et sur les conséquences du manquement du prêteur à ses obligations d’information précontractuelle.
En l’espèce, une banque avait consenti le 28 septembre 2019 un prêt personnel d’un montant de 15 000 euros à deux emprunteurs, remboursable en 60 mensualités au taux débiteur de 5,50 % l’an. Le contrat avait été signé par voie électronique. Les fonds furent débloqués le 7 octobre 2019 et les échéances prélevées sans difficulté jusqu’en février 2020, date à compter de laquelle des rejets pour défaut de provision survinrent. Face aux impayés persistants, la banque prononça la déchéance du terme le 8 décembre 2021 après mise en demeure infructueuse.
La banque assigna les emprunteurs en paiement du solde restant dû. Le juge des contentieux de la protection de Juvisy-sur-Orge, par jugement du 4 mars 2024, débouta l’établissement de crédit de l’intégralité de ses demandes. Le premier juge considéra que l’attestation de fiabilité des pratiques délivrée par l’ANSSI n’était pas produite et que la fiabilité de la signature électronique imputée aux défendeurs n’était pas garantie. La banque interjeta appel.
Devant la cour d’appel, le conseiller de la mise en état invita d’office la banque à formuler des observations sur la forclusion, les motifs de déchéance du droit aux intérêts et à produire divers documents dont la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées ainsi que les éléments relatifs à la fiabilité de la signature électronique. La banque ne répondit pas à ces demandes. Les emprunteurs ne constituèrent pas avocat.
La question se posait de savoir si le prêteur rapportait la preuve de l’existence du contrat signé électroniquement et, dans l’affirmative, s’il pouvait prétendre au paiement des intérêts contractuels malgré l’absence de preuve de la remise de la fiche d’informations précontractuelles.
La Cour d’appel de Paris infirme le jugement sur la preuve de l’existence du contrat et condamne les emprunteurs au paiement du capital restant dû. Elle prononce toutefois la déchéance du droit aux intérêts contractuels. Elle retient que « l’ensemble de ces éléments établit suffisamment l’obligation dont se prévaut l’appelante à l’appui de son action en paiement » s’agissant de la signature électronique, mais constate que « la simple clause de reconnaissance figurant au contrat est un élément insuffisant pour établir la prise de connaissance de cette fiche par la débitrice et le débiteur ».
Cette décision illustre la dualité du régime probatoire applicable aux crédits à la consommation conclus par voie électronique. La cour admet la validité de la signature électronique sans exiger la présomption de fiabilité (I) tout en sanctionnant sévèrement le défaut de preuve de l’information précontractuelle (II).
I. L’admission souple de la preuve du contrat signé électroniquement
La cour adopte une approche pragmatique de la preuve de la signature électronique en se fondant sur un faisceau d’indices concordants (A), ce qui révèle une conception extensive de la force probante de l’écrit électronique (B).
A. La constitution d’un faisceau d’indices probatoires
Le premier juge avait rejeté les demandes de la banque au motif que l’attestation de fiabilité délivrée par l’ANSSI n’était pas produite. Cette analyse se fondait sur une lecture stricte des articles 1366 et 1367 du code civil, interprétés à la lumière du décret du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique qualifiée.
La cour d’appel s’écarte de cette approche rigoriste. Elle constate que la banque produit « l’enveloppe de preuve contenant le fichier de preuve concernant le contrat litigieux, créé par la société Docusign, prestataire de service de certification électronique ». Ce fichier établit que les emprunteurs ont apposé leur signature électronique le 28 septembre 2019, que les date et heure de validation sont horodatées et que chaque signataire est identifié par son adresse électronique.
La cour complète ce constat par des éléments extrinsèques au processus de signature. L’historique de compte atteste du déblocage des fonds le 7 octobre 2019 et du prélèvement régulier des échéances pendant plusieurs mois. Les pièces d’identité des emprunteurs sont également versées aux débats. Ces éléments corroborent l’existence d’un engagement contractuel effectif.
B. Le dépassement de l’exigence de signature qualifiée
L’article 1367 alinéa 2 du code civil dispose que la fiabilité du procédé de signature électronique « est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garanti, dans des conditions fixées par décret en conseil d’État ». Le décret du 28 septembre 2017 précise que cette présomption bénéficie à la signature électronique qualifiée, laquelle suppose notamment un certificat qualifié répondant aux exigences du règlement européen eIDAS.
La cour ne constate pas l’existence d’une telle signature qualifiée. Elle ne mentionne ni certificat de l’ANSSI ni conformité aux articles 26, 28 et 29 du règlement eIDAS. Elle se contente de relever que le fichier de preuve émane d’un prestataire de certification et comporte les éléments d’identification et d’horodatage.
Cette position s’inscrit dans la distinction opérée par l’article 1367 entre la présomption de fiabilité, réservée à la signature qualifiée, et la simple preuve de la fiabilité que peut rapporter le prêteur par tous moyens. En l’absence de contestation des emprunteurs défaillants, la cour estime que les éléments produits « établissent suffisamment l’obligation ». Cette formulation traduit une appréciation souveraine de la valeur probante des pièces produites, distincte de la présomption légale de fiabilité.
II. La sanction rigoureuse du défaut de preuve de l’information précontractuelle
Si la cour admet l’existence du contrat, elle prononce la déchéance intégrale du droit aux intérêts en raison des carences probatoires du prêteur concernant ses obligations d’information (A), ce qui conduit à une réduction drastique de sa créance (B).
A. L’insuffisance de la clause de reconnaissance contractuelle
L’article L. 312-12 du code de la consommation impose au prêteur de remettre à l’emprunteur, préalablement à la conclusion du contrat, une fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées. L’article L. 341-1 sanctionne le manquement à cette obligation par la déchéance totale du droit aux intérêts.
La banque produisait une fiche d’informations précontractuelles « remplie mais non signée ». Le contrat comportait une clause type par laquelle les emprunteurs reconnaissaient avoir pris connaissance de ce document. La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle cette clause « n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires » et précise qu’un « document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type ».
La cour constate en outre qu’il « n’apparaît pas sur le fichier de preuve la visualisation de la Fipen et a fortiori sa signature ». Le processus de signature électronique ne trace donc pas la consultation effective du document d’information. Cette lacune est d’autant plus significative que les contrats conclus à distance impliquent des exigences renforcées de vérification de la solvabilité en application de l’article L. 312-17 du code de la consommation. La banque ne produit « ni justificatif de domicile ni justificatif de revenus », ce qui constitue un second motif de déchéance du droit aux intérêts.
B. Les conséquences patrimoniales de la déchéance
La déchéance du droit aux intérêts contractuels produit des effets considérables sur l’étendue de la créance du prêteur. L’article L. 341-8 du code de la consommation prévoit que l’emprunteur n’est alors tenu qu’au « seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu » et que les sommes perçues au titre des intérêts doivent être restituées ou imputées sur le capital restant dû.
La cour procède au calcul de la créance résiduelle. Elle déduit du capital emprunté de 15 000 euros l’ensemble des sommes versées, soit 5 201,26 euros avant déchéance du terme et 1 338,54 euros après. Le solde s’établit à 8 460,20 euros, alors que la banque réclamait 9 449,57 euros outre une indemnité de résiliation de 835,07 euros.
La cour écarte par ailleurs l’application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier prévoyant la majoration de cinq points du taux légal. Elle relève que le taux conventionnel de 5,50 % est supérieur au taux légal simple mais que la majoration permettrait au prêteur de percevoir davantage que ce taux conventionnel dont il a été déchu. Cette décision traduit le souci de ne pas priver d’effet utile la sanction de la déchéance. La limitation de la créance « exclut qu’il puisse prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de la clause pénale ».