Cour d’appel de Paris, le 10 juillet 2025, n°24/08630

Le litige relatif au crédit à la consommation met régulièrement en lumière les obligations précontractuelles du prêteur. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 10 juillet 2025, illustre cette exigence à travers la sanction de la déchéance du droit aux intérêts.

Un établissement de crédit avait consenti à un emprunteur, le 18 juillet 2018, un prêt personnel d’un montant de 45 671 euros remboursable en 84 mensualités au taux annuel de 4,50 %. Un avenant de réaménagement fut signé le 9 avril 2021 pour le remboursement du solde restant dû selon 99 mensualités. Des impayés conduisirent le prêteur à prononcer la déchéance du terme. Par acte du 19 mai 2023, la société assigna l’emprunteur devant le juge des contentieux de la protection aux fins de condamnation au paiement du solde.

Le juge des contentieux de la protection d’Aulnay-sous-Bois, par jugement du 25 janvier 2024, déclara l’action recevable mais prononça la déchéance du droit aux intérêts contractuels. Il condamna l’emprunteur au paiement de 26 904,68 euros sans intérêts. Le prêteur interjeta appel le 2 mai 2024, sollicitant l’infirmation du jugement sur la déchéance du droit aux intérêts et la condamnation de l’emprunteur au paiement de 43 639,56 euros avec intérêts au taux contractuel. L’intimé, défaillant, ne constitua pas avocat.

La cour devait déterminer si le prêteur rapportait la preuve du respect de son obligation de consultation du fichier des incidents de paiement et de remise de la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées.

La cour d’appel de Paris confirme partiellement le jugement. Elle juge que la consultation du fichier est régulièrement établie mais prononce la déchéance du droit aux intérêts pour défaut de preuve de la remise effective de la fiche précontractuelle, la production d’un document non signé émanant du seul prêteur étant insuffisante. Elle condamne l’emprunteur au paiement de 33 522,80 euros sans intérêts.

Cet arrêt permet d’examiner les modalités de preuve de la consultation du fichier des incidents de paiement (I) avant d’analyser l’exigence probatoire renforcée concernant la remise de la fiche précontractuelle (II).

I. La validation des modalités de preuve de la consultation du fichier des incidents de paiement

La cour admet la conformité du justificatif de consultation produit par le prêteur (A) tout en précisant les critères d’appréciation de ce document (B).

A. L’admission d’un justificatif interne conforme aux exigences réglementaires

L’article L. 312-16 du code de la consommation impose au prêteur de consulter le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers préalablement à la conclusion du contrat. Cette obligation vise à prévenir le surendettement en permettant au prêteur d’évaluer la situation financière de l’emprunteur potentiel.

La cour relève que « le prêteur ou l’intermédiaire de crédit donne à l’emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres ». L’arrêté du 26 octobre 2010 précise les modalités de conservation de la preuve de cette consultation. Il impose aux établissements de « conserver des preuves de cette consultation, de son motif et de son résultat, sur un support durable ».

Le prêteur produisait un document interne comportant « la mention résultat interrogation fichage FICP, le motif qui résulte du numéro de contrat, la date de la consultation, l’identité de l’emprunteur » et le résultat négatif. La cour valide ce justificatif car « aucun formalisme n’était exigé à l’époque de la consultation et de la signature du contrat quant à la justification de la consultation ». Elle observe que « la Banque de France ne délivrait pas à l’époque du contrat de récépissé de la consultation de son fichier ».

Cette solution consacre l’autonomie des établissements de crédit dans l’organisation de leur système de preuve. Elle reconnaît la réalité des pratiques bancaires où chaque établissement dispose de son propre processus informatique de traçabilité.

B. Les critères de validité du support durable de consultation

La cour définit les éléments constitutifs d’une preuve recevable. Le document doit comporter quatre mentions essentielles : l’identification du fichier consulté, le motif de la consultation rattaché au contrat concerné, la date de l’opération et son résultat.

La temporalité de la consultation revêt une importance particulière. La cour souligne que « la date de consultation au 18 juillet 2019 est antérieure à celle du déblocage des fonds le 26 juillet 2019 ». Cette antériorité garantit que la vérification a précédé l’engagement définitif du prêteur.

Le texte « n’imposait pas qu’une clé Banque de France figure sur le document ». Cette précision écarte l’exigence d’une certification externe qui aurait considérablement alourdi les obligations probatoires du prêteur. La cour privilégie une approche pragmatique tenant compte des contraintes techniques des établissements bancaires.

La solution préserve un équilibre entre protection du consommateur et faisabilité pratique pour les professionnels du crédit. Elle évite d’imposer des formalités que le système de la Banque de France ne permettait pas de satisfaire à l’époque des faits.

II. L’exigence renforcée de preuve de la remise de la fiche d’informations précontractuelles

La cour applique une jurisprudence restrictive quant à la valeur probante de la clause de reconnaissance (A) et en tire les conséquences sur la sanction applicable (B).

A. L’insuffisance de la clause de reconnaissance non corroborée par un élément extrinsèque

L’article L. 312-12 du code de la consommation impose la remise d’une fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées. La cour rappelle que « cette fiche d’informations précontractuelles est exigée à peine de déchéance totale du droit aux intérêts ». La charge de la preuve incombe au prêteur.

La cour précise que « la clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles normalisées européennes, n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ». Cette position s’inscrit dans la lignée de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 juin 2023.

La cour énonce qu’« un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type de l’offre de prêt pour apporter la preuve de l’effectivité de la remise ». Elle en déduit que « la production de la FIPEN remplie par le prêteur ne saurait suffire à corroborer cette clause, car ce qui doit être prouvé d’emblée par le prêteur est la remise effective ».

Le prêteur invoquait plusieurs arguments pour échapper à cette exigence. Il soutenait qu’aucun texte n’impose la signature de la fiche et que l’évolution jurisprudentielle heurterait le principe de sécurité juridique. La cour écarte ces moyens en jugeant que « la banque qui ne produit que le contrat comportant une clause de reconnaissance et une FIPEN remplie mais non signée ne rapporte pas suffisamment la preuve d’avoir respecté l’obligation qui lui incombe ».

B. Les conséquences de la déchéance du droit aux intérêts sur la créance du prêteur

La déchéance du droit aux intérêts produit des effets significatifs sur le montant de la créance. L’article L. 341-8 du code de la consommation dispose que « l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ». Les sommes perçues au titre des intérêts doivent être restituées ou imputées sur le capital restant dû.

La cour procède au calcul de la créance en déduisant du capital emprunté de 45 671 euros la totalité des versements effectués pour 12 148,20 euros. Elle fixe la somme due à 33 522,80 euros. Elle précise qu’il n’y a pas lieu de réintégrer les mensualités d’assurance, le prêteur « ne justifiant pas d’un mandat de recouvrement ».

La limitation légale de la créance « exclut qu’il puisse prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de la clause pénale ». La cour écarte également l’application des intérêts au taux légal. Elle relève que « les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal ne sont pas significativement inférieurs à ce taux conventionnel » de 4,50 %. Elle fait application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui exige que la sanction conserve « ses caractères de dissuasion et d’efficacité ».

Cette solution prive le prêteur de toute rémunération de son crédit. Elle illustre la rigueur des juridictions dans l’application du droit de la consommation et incite les établissements de crédit à adapter leurs pratiques documentaires pour sécuriser la preuve de leurs obligations précontractuelles.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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