- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La présente décision, rendue par la cour d’appel de Paris le 10 juillet 2025, porte sur le régime probatoire de la remise de la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées en matière de crédit à la consommation. Elle tranche une question récurrente depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2023 : celle de savoir quels éléments peuvent corroborer la clause de reconnaissance figurant dans le contrat de prêt.
Un établissement de crédit a consenti le 29 septembre 2015 à un particulier un prêt personnel de 37 800 euros destiné au regroupement de crédits, remboursable en 144 mensualités au taux nominal de 6,65 %. L’emprunteur a bénéficié de deux plans de surendettement à compter d’octobre 2017. Plusieurs échéances demeurant impayées, le prêteur s’est prévalu de la déchéance du terme.
Par acte du 10 novembre 2023, l’établissement de crédit a assigné l’emprunteur devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Saint-Ouen. Par jugement contradictoire du 19 février 2024, cette juridiction a déclaré l’action recevable, constaté l’acquisition de la déchéance du terme, mais prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels au motif que la preuve de la remise de la fiche précontractuelle n’était pas rapportée par la seule signature d’une clause de reconnaissance et la production d’un document non signé par l’emprunteur. Le prêteur a été débouté de sa demande d’application des intérêts au taux légal majoré.
L’établissement de crédit a interjeté appel le 24 mai 2024. Il soutenait que la production de la liasse contractuelle complète et personnalisée, dont l’emprunteur avait renvoyé certains éléments signés, constituait l’élément de corroboration exigé par la jurisprudence. L’emprunteur, défaillant, n’a pas constitué avocat.
La question posée à la cour était la suivante : le renvoi par l’emprunteur de documents issus d’une liasse contractuelle paginée et personnalisée, conservée intégralement par le prêteur, suffit-il à corroborer la clause de reconnaissance et à prouver la remise effective de la fiche d’informations précontractuelles ?
La cour d’appel de Paris répond par l’affirmative. Elle relève que la liasse produite comprend vingt-huit pages numérotées portant toutes le même numéro de contrat, incluant notamment la fiche précontractuelle renseignée. Elle constate que l’emprunteur a « renvoyé et signé la fiche de dialogue qui comporte le numéro de contrat et la numérotation 7 et 8 /28 le mandat de prélèvement qui comporte ce numéro de contrat et la numérotation 21/28 et l’exemplaire du contrat à renvoyer qui figurent dans cette liasse personnalisée ». Elle en déduit que « ce renvoi par [l’emprunteur] de documents issus de cette liasse complète et paginée dont la banque a conservé copie intégrale corrobore » la remise de la fiche précontractuelle.
La solution retenue présente un intérêt doctrinal certain. Elle précise les contours du standard probatoire applicable à l’obligation d’information précontractuelle. Elle illustre également les conséquences pratiques de l’exigence de corroboration sur les pratiques documentaires des établissements de crédit. Aussi convient-il d’examiner successivement l’encadrement probatoire de l’obligation d’information précontractuelle (I) puis la portée de la solution dégagée quant aux modalités de corroboration admises (II).
I. L’encadrement probatoire de l’obligation d’information précontractuelle
La cour rappelle d’abord les fondements textuels de l’exigence d’information (A) avant de préciser l’insuffisance de la clause de reconnaissance prise isolément (B).
A. Le fondement légal de l’obligation de remise de la fiche précontractuelle
L’article L. 311-6 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au contrat litigieux, impose au prêteur de remettre à l’emprunteur, « préalablement à la conclusion du contrat de crédit », une fiche d’informations « par écrit ou sur un autre support durable ». Cette fiche doit contenir « les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l’emprunteur, compte tenu de ses préférences, d’appréhender clairement l’étendue de son engagement ».
Le législateur a assorti cette obligation d’une sanction dissuasive. L’article L. 341-1 du même code prévoit la « déchéance totale du droit aux intérêts » en cas de manquement. Cette sanction civile vise à garantir l’effectivité de la protection du consommateur. Elle prive le prêteur de sa rémunération principale lorsqu’il n’a pas respecté son devoir d’information.
La cour souligne expressément qu’il « incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à son obligation d’information ». Cette charge probatoire découle du caractère impératif des dispositions consuméristes. Elle place le professionnel dans une position où il doit conserver les éléments attestant du respect de ses obligations.
La rigueur de ce régime se justifie par le déséquilibre structurel entre les parties. L’emprunteur profane ne dispose pas des mêmes moyens de conservation documentaire que l’établissement de crédit. Exiger de lui qu’il prouve l’absence de remise reviendrait à imposer une preuve négative. Le prêteur, organisateur de la relation contractuelle, est naturellement en mesure de documenter ses propres diligences.
B. L’insuffisance de la clause de reconnaissance prise isolément
La cour reprend fidèlement la position dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 juin 2023. Elle énonce que « la clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle les emprunteurs reconnaissent avoir pris connaissance de la fiche d’informations précontractuelles normalisées européennes, n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ».
Cette formulation traduit une évolution significative de la jurisprudence. Antérieurement, certaines juridictions admettaient que la clause de reconnaissance suffisait à établir la remise. La Cour de cassation a mis fin à cette lecture en exigeant une corroboration externe.
La cour précise également la nature des éléments susceptibles de corroborer cette clause. Elle rappelle qu’« un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer les mentions de cette clause type de l’offre de prêt pour apporter la preuve de l’effectivité de la remise ». Cette exclusion vise à éviter que le prêteur ne se constitue seul sa propre preuve.
L’exigence de corroboration répond à une préoccupation d’effectivité de la protection. Une clause pré-rédigée par le professionnel, insérée dans un contrat d’adhésion, ne garantit pas que l’emprunteur a réellement reçu et pu consulter le document. Elle peut être signée mécaniquement sans vérification de la réalité de la remise. Seul un élément extérieur, impliquant une démarche active de l’emprunteur, permet d’attester de cette effectivité.
II. La portée de la solution quant aux modalités de corroboration admises
La cour valide le recours à une liasse contractuelle paginée comme élément de corroboration (A), ce qui emporte des conséquences significatives pour la pratique des établissements de crédit (B).
A. La liasse paginée comme élément de corroboration suffisant
La solution adoptée par la cour d’appel de Paris constitue une application pragmatique de l’exigence de corroboration. Elle admet que la production d’une liasse contractuelle complète, paginée et personnalisée, dont l’emprunteur a renvoyé certains éléments signés, suffit à établir la remise effective de la fiche précontractuelle.
Le raisonnement de la cour repose sur un faisceau d’indices convergents. La liasse comprend vingt-huit pages numérotées de manière continue. Chaque page porte la référence du contrat signé par l’emprunteur. La fiche précontractuelle figure en pages 11 à 14, au milieu d’autres documents. L’emprunteur a renvoyé signés la fiche de dialogue située en pages 7 et 8, le mandat de prélèvement situé en page 21 et l’exemplaire du contrat situé en pages 17 à 20.
L’intérêt de cette approche réside dans la logique qu’elle déploie. Si l’emprunteur a reçu et renvoyé des documents situés avant et après la fiche précontractuelle dans une liasse paginée, il a nécessairement reçu l’ensemble de cette liasse, fiche comprise. La pagination continue et la personnalisation des documents excluent l’hypothèse d’une transmission partielle.
Cette solution ne contredit pas l’arrêt du 7 juin 2023. La Cour de cassation avait censuré le recours à un « document qui émane du seul prêteur ». Or, en l’espèce, la corroboration ne résulte pas de la seule production de la liasse par le prêteur. Elle procède du renvoi par l’emprunteur lui-même de documents issus de cette liasse, renvoi qui implique nécessairement réception préalable de l’ensemble.
B. Les implications pratiques pour les établissements de crédit
L’arrêt commenté illustre une adaptation réussie des pratiques professionnelles aux exigences jurisprudentielles. L’établissement de crédit avait organisé sa documentation de manière à pouvoir démontrer ultérieurement la remise effective des informations précontractuelles.
La solution présente l’avantage de la prévisibilité. Les établissements de crédit peuvent sécuriser leurs procédures en adoptant un système de liasse paginée comprenant l’ensemble des documents contractuels et précontractuels. La conservation d’une copie intégrale de cette liasse, combinée au renvoi signé de certains documents par l’emprunteur, permettra d’établir la remise de la fiche précontractuelle.
Il convient de relever que cette méthode probatoire suppose une rigueur particulière. La pagination doit être continue et apparente sur chaque page. Le numéro de contrat doit figurer sur l’ensemble des documents. La liasse conservée doit être intégrale et personnalisée, non une simple liasse-type vierge. L’absence de l’un de ces éléments pourrait fragiliser la démonstration.
La portée de cet arrêt demeure toutefois limitée aux circonstances de l’espèce. La cour d’appel de Paris ne pose pas de règle générale selon laquelle toute liasse paginée suffirait à établir la remise. Elle apprécie concrètement les éléments versés aux débats et leur cohérence interne. D’autres juridictions pourraient adopter une lecture plus exigeante des éléments de corroboration requis. La consolidation de cette solution suppose une confirmation par la Cour de cassation, qui n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur cette modalité spécifique de preuve.