Cour d’appel de Paris, le 10 juillet 2025, n°25/00668

La protection contractuelle du sportif professionnel contre le risque fiscal constitue un enjeu majeur des relations de travail internationales. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, Pôle 6, Chambre 2, le 10 juillet 2025, en offre une illustration remarquable à travers l’exécution d’une clause de prise en charge d’un redressement fiscal étranger.

Un joueur professionnel a conclu le 6 juillet 2018 un contrat à durée déterminée avec un club de football français. L’article 3-8 de ce contrat prévoyait une prise en charge par l’employeur, plafonnée à 250 000 euros, en cas de redressement de l’impôt sur le revenu italien au titre des revenus versés en 2018. Le 22 décembre 2021, le joueur s’est vu notifier par les autorités fiscales italiennes un redressement d’un montant de 1 213 563 euros. Par courrier du 30 mai 2024, il a sollicité l’application de la clause contractuelle, sans succès. Il a alors saisi le conseil de prud’hommes de Paris en référé aux fins d’obtenir le paiement de la somme de 250 000 euros à titre provisionnel.

Le conseil de prud’hommes, par ordonnance du 25 novembre 2024, a condamné le club au paiement de cette somme. L’employeur a interjeté appel, soutenant l’existence de contestations sérieuses tenant d’une part à l’inapplicabilité de la clause au motif que le joueur n’aurait pas respecté ses obligations déclaratives, d’autre part à la prescription de l’action.

La question posée à la cour était de déterminer si l’obligation de paiement de la prime d’impatriation supplémentaire était sérieusement contestable, tant au regard des conditions d’application de la clause que du délai de prescription applicable.

La Cour d’appel de Paris confirme pour l’essentiel l’ordonnance déférée. Elle retient que les conditions contractuelles sont réunies et que la prescription triennale, applicable aux éléments de rémunération, n’était pas acquise. Elle ajoute que la somme allouée portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.

I. L’appréciation des conditions d’exécution de la clause de garantie fiscale

La décision se prononce sur la qualification de la clause litigieuse (A), avant d’en examiner les conditions objectives d’application (B).

A. La nature salariale de la prime d’impatriation

La cour qualifie expressément la prime d’impatriation supplémentaire d’« élément de la rémunération ». Cette qualification emporte des conséquences déterminantes sur le régime juridique applicable, notamment quant à la prescription.

L’article 3-8 du contrat stipulait que la prise en charge du redressement fiscal « constituera une prime d’impatriation supplémentaire ». Les parties avaient ainsi conventionnellement rattaché cette garantie à la rémunération du joueur. La cour entérine cette analyse en retenant l’application de l’article L. 3245-1 du code du travail, lequel soumet à la prescription triennale « l’action en paiement ou en répétition du salaire ».

Cette solution s’inscrit dans une conception extensive de la rémunération, englobant l’ensemble des avantages consentis par l’employeur en contrepartie ou à l’occasion du travail. La prime litigieuse, bien que conditionnelle et liée à un événement fiscal, procède directement du contrat de travail. Elle visait à compenser un risque inhérent à la situation d’impatriation du salarié, c’est-à-dire à un élément indissociable de la relation de travail.

L’employeur soutenait que la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail était applicable. Cette disposition régit les actions portant sur l’exécution du contrat de travail. La cour écarte implicitement cette argumentation en privilégiant la qualification salariale de la créance. La distinction n’est pas sans portée pratique puisque le délai triennal, courant à compter du 22 décembre 2021, n’était pas expiré lors de la saisine d’octobre 2024.

B. La vérification des conditions objectives de la clause

La cour procède à une analyse méthodique des conditions énoncées par l’article 3-8 du contrat. Elle relève que la clause subordonnait la prise en charge à trois éléments : un redressement intervenu avant le 31 décembre 2023, portant sur les revenus versés en 2018 par le club, dans la limite de 250 000 euros.

L’employeur tentait d’ajouter une condition non prévue par le texte. Il soutenait que le joueur aurait dû se déclarer résident fiscal français auprès de l’administration italienne, de sorte que le redressement résulterait de ses propres choix déclaratifs. La cour rejette cet argument de manière catégorique. Elle observe que « cette condition n’étant pas mentionnée », le club ne saurait en imposer le respect a posteriori.

Cette lecture stricte de la clause contractuelle s’impose au juge des référés. L’obligation n’est sérieusement contestable que si son existence même ou son étendue prête à discussion. Or, la rédaction de l’article 3-8 ne laissait place à aucune ambiguïté sur les conditions de déclenchement de la garantie. Le redressement était intervenu le 22 décembre 2021, donc avant l’échéance du 31 décembre 2023. Il portait sur les revenus de l’année 2018, comprenant ceux versés par le club. Son montant excédait le plafond contractuel de 250 000 euros.

La cour souligne en outre que le joueur avait bien déclaré ses revenus en France au titre de l’année 2018. Elle relève qu’il lui avait été adressé en mai 2019 un guide fiscal établi par son employeur pour l’aider dans ses démarches déclaratives. Ces éléments attestent que le salarié s’était conformé aux obligations résultant de son contrat.

II. Les limites du pouvoir du juge des référés en matière de responsabilité

La cour statue également sur la demande de provision pour résistance abusive (A), illustrant les frontières du référé prud’homal (B).

A. Le rejet de la demande indemnitaire pour résistance abusive

Le joueur sollicitait une provision de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive de son employeur. Il estimait que le refus de paiement, maintenu malgré une mise en demeure, caractérisait une faute ouvrant droit à réparation.

La cour rejette cette prétention. Elle considère que « l’appréciation du caractère abusif de la résistance au paiement motivée par une interprétation divergente de la clause litigieuse ne relève pas des pouvoirs du juge des référés ». L’employeur avait opposé une lecture différente de la clause contractuelle, contestant son applicabilité aux circonstances de l’espèce. Cette divergence d’interprétation, fût-elle finalement écartée, ne peut être qualifiée d’abusive sans un examen approfondi excédant l’office du juge des référés.

La cour ajoute un second motif de rejet. Le joueur ne démontre pas « l’existence d’un préjudice distinct qui n’aurait pas déjà été indemnisé par la somme allouée à titre provisionnel augmentée des intérêts au taux légal ». L’indemnisation du retard de paiement par les intérêts moratoires, courant à compter de la mise en demeure du 10 juillet 2024, répare le préjudice causé par la privation temporaire des fonds. Le salarié n’établit pas avoir subi un dommage supplémentaire.

Cette motivation rappelle que la résistance abusive suppose la démonstration d’une faute distincte du simple refus de paiement. La contestation d’une créance, même infondée, ne devient abusive que si elle procède d’une mauvaise foi caractérisée ou d’une intention dilatoire manifeste.

B. L’office du juge des référés et la notion de contestation sérieuse

L’article R. 1455-7 du code du travail permet au juge des référés d’accorder une provision lorsque « l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Cette disposition délimite strictement son pouvoir juridictionnel.

La cour opère une distinction nette entre les deux demandes du salarié. S’agissant de la prime d’impatriation, les conditions contractuelles sont objectivement vérifiables. Le redressement fiscal, sa date, son objet et son montant sont des faits établis par des documents officiels. L’interprétation de la clause proposée par l’employeur ajoutait une condition non stipulée. L’obligation n’était donc pas sérieusement contestable.

La demande indemnitaire relève d’une appréciation différente. La qualification de résistance abusive implique un jugement sur le comportement du débiteur, sur sa bonne ou mauvaise foi, sur le caractère raisonnable ou non de sa contestation. Cette appréciation suppose un débat contradictoire approfondi sur des éléments subjectifs. Elle excède l’évidence requise pour l’octroi d’une provision.

Cette distinction illustre la fonction du référé prud’homal. Le juge peut mettre fin à un trouble manifestement illicite ou accorder une provision sur une créance non sérieusement contestable. Il ne saurait en revanche trancher des questions complexes nécessitant un examen au fond. La frontière passe entre la vérification de conditions objectives et l’appréciation de comportements fautifs.

L’arrêt confirme ainsi que le référé demeure un instrument efficace pour obtenir rapidement l’exécution d’obligations contractuelles claires, tout en préservant la compétence du juge du fond pour les questions impliquant une appréciation plus délicate des responsabilités.

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Hassan KOHEN
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