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La liquidation judiciaire constitue la procédure ultime du droit des entreprises en difficulté, prononcée lorsque tout espoir de redressement a disparu. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 10 juillet 2025, rappelle avec fermeté les conditions de son maintien face à une demande de conversion en redressement judiciaire.
Une société exerçant une activité de services à domicile a été assignée par l’Urssaf Ile-de-France en novembre 2024 pour une créance de 56 827,44 euros. Par jugement du 20 février 2025, le tribunal des activités économiques de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard, fixant la date de cessation des paiements au 4 mars 2024. La société a interjeté appel de cette décision le 18 mars 2025, sollicitant l’infirmation du jugement et l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. Elle soutenait disposer d’une trésorerie de 27 387,69 euros, de contrats en cours et de clients souhaitant poursuivre les prestations. Le liquidateur judiciaire désigné s’en est rapporté à justice tout en émettant des réserves sur les chances de succès d’un redressement.
La question posée à la Cour d’appel de Paris était de déterminer si la société débitrice démontrait des perspectives de redressement suffisantes pour justifier la conversion de la liquidation judiciaire en redressement judiciaire.
La Cour d’appel de Paris confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle retient que l’état de cessation des paiements est caractérisé et qu’aucune perspective de redressement n’est démontrée, le prévisionnel produit n’étant corroboré par aucun élément comptable et les allégations relatives aux contrats en cours n’étant étayées par aucune pièce.
Cette décision illustre la rigueur probatoire exigée pour le redressement judiciaire (I), tout en soulignant les conséquences irréversibles de la carence du débiteur (II).
I. L’exigence d’une démonstration positive des perspectives de redressement
La Cour rappelle le cadre légal applicable avant d’en tirer les conséquences quant à la charge de la preuve pesant sur le débiteur.
A. Le critère légal du redressement manifestement impossible
L’article L. 640-1 du code de commerce subordonne l’ouverture de la liquidation judiciaire à deux conditions cumulatives : l’état de cessation des paiements et l’impossibilité manifeste du redressement. La Cour vise expressément ce texte pour fonder son analyse. Elle constate que « l’état de cessation des paiements n’est pas contesté » et que « le passif déclaré de la société s’élève à la somme de 261 485,28 euros, dont 229 669,35 euros à titre privilégié ». L’actif disponible dans les mains du liquidateur, évalué à 27 858,69 euros, apparaît « insuffisant pour faire face au passif exigible ».
Cette disproportion entre actif et passif caractérise l’impossibilité de régler les dettes échues avec l’actif disponible. Le législateur a entendu réserver la liquidation judiciaire aux situations où le redressement apparaît exclu d’emblée. La formule « manifestement impossible » suppose une évidence, une absence totale de perspective raisonnable de continuation de l’activité. La Cour applique ce critère avec rigueur en relevant l’ancienneté des dettes sociales qui « remontent à avril 2023, soit près de deux ans avant le jugement d’ouverture ».
B. L’insuffisance des éléments probatoires produits par le débiteur
La société appelante produisait un prévisionnel d’exploitation et de trésorerie sur six mois. La Cour écarte cet élément au motif qu’« il n’existe cependant aucun moyen d’apprécier si ce prévisionnel a été respecté au jour où la cour statue en l’absence d’autres éléments comptables ou financiers venant corroborer les perspectives de redressement de la société ».
Cette exigence de corroboration révèle que le simple dépôt d’un document prévisionnel ne suffit pas. Le juge attend des éléments tangibles : bilans, comptes de résultat, justificatifs des mesures annoncées. La société affirmait disposer de « contrats en cours » et de « clients qui ont manifesté le souhait de poursuivre les prestations ». La Cour relève sèchement qu’« aucune pièce n’est versée au soutien de ces allégations ». Le liquidateur soulignait lui-même qu’« en l’absence de bilan ou de compte de résultat, il est difficile d’apprécier la capacité bénéficiaire structurelle » de la société.
Cette sévérité probatoire s’explique par la nature du contentieux. En appel d’un jugement de liquidation, le débiteur doit renverser une présomption défavorable établie par le premier juge. Les déclarations d’intention et les projections optimistes ne sauraient y suffire.
II. Les conséquences irrémédiables de l’absence de preuve du redressement
La carence probatoire entraîne la confirmation de la liquidation et produit des effets définitifs sur la structure de l’entreprise.
A. L’exécution provisoire et la disparition des moyens de redressement
La Cour relève un élément déterminant : « A défaut de suspension de l’exécution provisoire, tous les salariés de S & N Home Services ont été licenciés. » Cette observation révèle le paradoxe de la situation. Le jugement de liquidation emporte de plein droit exécution provisoire. La société n’ayant pas obtenu sa suspension, les licenciements sont intervenus avant l’examen de l’appel.
Dès lors, les perspectives de redressement invoquées par la société perdent leur consistance. Une entreprise de services à domicile privée de ses salariés ne dispose plus des moyens humains nécessaires à la poursuite de son activité. La Cour en tire la conclusion logique : « il en résulte qu’au vu des éléments produits, la société n’est pas dans la capacité de se redresser ».
Cette articulation entre exécution provisoire et capacité de redressement soulève une difficulté. Le temps judiciaire peut créer une situation irréversible. La société aurait pu solliciter la suspension de l’exécution provisoire devant le premier président. Son abstention à cet égard a scellé son sort.
B. La portée de la confirmation et l’office du juge d’appel
La Cour confirme le jugement « en toutes ses dispositions ». Cette formule emporte maintien de la liquidation judiciaire, de la désignation du liquidateur et de la date de cessation des paiements fixée au 4 mars 2024. Les dépens d’appel sont ordonnés en frais privilégiés de la procédure collective.
L’arrêt illustre l’office du juge d’appel en matière de procédures collectives. La cour exerce un contrôle complet sur les conditions d’ouverture de la procédure. Elle apprécie souverainement si le redressement demeure possible au jour où elle statue. Cette appréciation in concreto tient compte des événements survenus depuis le jugement de première instance.
La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant des éléments sérieux pour établir les perspectives de redressement. Le simple optimisme du dirigeant ne saurait suppléer l’absence de preuves comptables et contractuelles. La Cour d’appel de Paris rappelle ainsi que le passage de la liquidation au redressement judiciaire suppose une démonstration rigoureuse, non de simples affirmations. Cette exigence protège les créanciers contre des procédures dilatoires et préserve la cohérence du droit des entreprises en difficulté.